La Covid-19 a-t-elle mis en péril la procédure de conciliation ?

Publié le 06/11/2020

La procédure de conciliation fait partie des procédures préventives, lesquelles ont pour objet de traiter les difficultés des débiteurs avant qu’elles ne soient trop importantes. Il s’agit donc d’une des procédures choyées par le législateur, en raison des chances de sauvetage qu’elle offre au débiteur. Pourtant, la procédure de conciliation a été modifiée par les différentes mesures prises en réaction à la crise économique faisant suite à l’épidémie de Covid-19. Ces modifications pourraient perturber l’équilibre de la procédure de conciliation.

La prévention est devenue le maître-mot du droit des procédures collectives. Elle apparaît comme le moyen le plus efficace pour sortir les professionnels des difficultés économiques et financières auxquelles ils font face. Ainsi, en droit des entreprises en difficulté, la prévention fait figure de chance de réussite. La volonté d’anticiper les difficultés dans le but de les traiter avant qu’elles ne soient trop importantes s’est traduite pour la première fois dans le droit des procédures collectives avec l’ordonnance du 23 septembre 1967 ayant instauré la procédure de suspension provisoire des poursuites1. Cet objectif est devenu par la suite la priorité du législateur. Progressivement le législateur a mis en place divers instruments de détection des difficultés2. Il a également instauré des procédures préventives. Parmi ces dernières, la procédure phare est la procédure de sauvegarde prévue pour la première fois dans la loi du 26 juillet 20053. Il s’agit d’une véritable procédure collective dont l’ouverture peut être demandée par le débiteur en difficulté avant qu’il se trouve en état de cessation des paiements4. En intervenant avant que l’actif disponible du débiteur soit insuffisant pour faire face à son passif exigible, les acteurs des procédures collectives voient leurs chances de permettre le rebond du débiteur accrues.

La procédure de sauvegarde n’est toutefois pas la seule qui vise à traiter les difficultés des débiteurs avant qu’elles s’aggravent. Le mandat ad hoc et la conciliation poursuivent le même objectif. Cette dernière procédure, instaurée par la loi du 1er mars 1984, retiendra notre attention. La spécificité de cette procédure réside dans son caractère volontaire. Comme en procédure de sauvegarde, le débiteur ne peut être contraint d’avoir recours à la conciliation. La volonté du débiteur est dès lors indispensable au stade du choix de la procédure. La conciliation se distingue néanmoins de la sauvegarde en ce qu’elle dépend également de la volonté des créanciers. En effet, ces derniers ne sont pas malmenés en procédure de conciliation comme ils le sont en procédure collective5. Leur voix est encore entendue à ce stade. Cette spécificité de la conciliation résulte de ce que sa réussite dépend de la volonté des créanciers. Ces derniers doivent non seulement prendre part à la conciliation mais également se plier au jeu des négociations dans le but de permettre l’amélioration de la situation financière et économique de leur débiteur. Les créanciers qui refuseront de prendre part à la procédure de conciliation pourront seulement subir l’octroi de délais de grâce au débiteur6. Les créanciers qui accepteront de participer à la procédure collective tenteront de parvenir à la conclusion d’un accord7. Bien que l’accord de conciliation soit un accord collectif liant le débiteur et les différents créanciers ayant participé à la conciliation, chaque créancier reste maître de sa créance8. La différence entre la conciliation et les procédures collectives est grande dès lors qu’en procédure collective, l’adoption du plan n’est pas soumise à l’approbation de chacun des créanciers concernés9. En somme, les créanciers ne sont pas à la merci de la procédure de conciliation mais y participent activement. C’est pourquoi il apparaît indispensable de les inciter à se montrer conciliants envers leur débiteur en difficulté. Conscient de cette réalité, le législateur a mis en place divers moyens d’inciter les créanciers à participer à la procédure de conciliation10.

L’incitation des créanciers à participer à la conciliation résulte de la combinaison des mesures visant à attirer les créanciers et de la contrainte que fait peser sur eux l’éventualité d’une procédure de sauvegarde accélérée ou d’une procédure de sauvegarde financière accélérée. Ces mesures, élaborées au fil du temps et des évolutions du droit des entreprises en difficulté, ont été pensées pour parvenir à un système aussi efficace que possible. Ce système a été perturbé par les mesures adoptées en réponse à la crise économique liée à la Covid-19. Il convient dès lors de se demander si les mesures d’urgence risquent de porter atteinte à l’efficacité du système existant. Précisément, se pose la question de savoir si l’évolution récente du droit des entreprises en difficulté liée à la crise de la Covid-19 ne risque pas d’impacter la volonté des créanciers de participer à la procédure de conciliation. Pour répondre à cette interrogation, il convient d’observer les modifications apportées à la procédure de conciliation par les mesures liées à la Covid-19. Il sera alors possible de distinguer les mesures qui laisseront probablement inchangée l’incitation des créanciers à recourir à la conciliation (I), les mesures trompeuses qui n’auront pas l’effet attendu sur l’incitation à recourir à la conciliation (II) et les mesures qui renforceront l’incitation des créanciers à recourir à la procédure de conciliation (III).

I – L’incitation inchangée ?

Les mesures prises en raison de la crise économique n’entravent pas directement les procédés d’incitation des créanciers à recourir à la conciliation. En effet, ni la limitation de la responsabilité pour soutien abusif, ni le privilège de conciliation n’ont été modifiés. La procédure de sauvegarde financière accélérée et la procédure de sauvegarde accélérée ont été modifiées sans que leur effet incitatif n’en pâtisse. Ce constat est néanmoins insuffisant pour affirmer que l’incitation des créanciers à participer à la conciliation reste inchangée. Nous distinguerons notamment l’instauration d’un nouveau privilège qui est sans effet sur l’incitation des créanciers à recourir à la conciliation (A), de l’allongement du délai de la conciliation dont l’effet sur l’incitation est incertain (B).

A – L’instauration d’un privilège sans effet sur l’incitation

Le privilège de conciliation est présenté comme une mesure incitant les créanciers à participer à la procédure de conciliation de leur débiteur. Pour s’assurer du maintien de cette incitation, il convient de vérifier que le nouveau privilège de sauvegarde et de redressement ne bénéficie pas d’un rang supérieur, ce qui porterait atteinte à l’efficacité du privilège de conciliation. Rappelons que, lors de la conciliation, les créanciers qui aident leur débiteur en lui octroyant un nouvel apport en trésorerie ou en lui fournissant un nouveau bien ou service en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité sont favorisés. Leur créance est privilégiée en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective11. Un tel avantage est pertinent dès lors que le débiteur rencontre des difficultés. Il est vrai que pour être homologué, l’accord de conciliation doit permettre de mettre fin à la cessation des paiements si elle existe12. La situation du débiteur est néanmoins fragile et si l’accord de conciliation n’est pas parfaitement respecté, la cessation des paiements pourrait surgir ou resurgir rapidement. Ainsi, le privilège de l’article L. 611-11 du Code de commerce est un moyen de rassurer les créanciers qui acceptent d’apporter de l’argent frais au débiteur en conciliation. Ce privilège de la conciliation ne sera pas déclassé par l’instauration du privilège de sauvegarde et de redressement. En effet, le nouveau privilège de l’article 5, IV, de l’ordonnance du 20 mai 2020 s’inscrit « dans l’ordre prévu au III de l’article L. 622-17 et au III de l’article L. 641-13 du [Code de commerce], après les créances mentionnées au 1° de ces dispositions et avant celles mentionnées au 2° »13. Le privilège de conciliation reste mieux placé puisqu’il est mentionné au II des articles susvisés et n’est donc pas concerné par l’ordre établi au sein du III. Dès lors qu’il n’affecte pas l’efficacité du privilège de conciliation, l’établissement d’un nouveau privilège ne devrait avoir aucun impact sur l’incitation à recourir à la conciliation.

S’il est possible d’affirmer que l’instauration d’un nouveau privilège ne portera pas atteinte à l’intérêt pour les créanciers de participer à la conciliation, l’effet d’autres mesures sur la volonté des créanciers est moins certain.

B – L’allongement de la procédure à l’effet incertain sur l’incitation

Des mesures adoptées en raison de la Covid-19 portent directement sur la procédure de conciliation. Certaines d’entre elles pourraient avoir un effet sur l’incitation des créanciers à participer à la conciliation sans que cet effet puisse être anticipé avec certitude. Tel est le cas de la mesure prévue à l’article 1, II, de l’ordonnance du 27 mars 2020 qui allonge le délai de la procédure de conciliation14. La procédure est habituellement de 4 mois avec possibilité de la prolonger pour une durée de 1 mois. Ce délai classique est automatiquement allongé de 5 mois supplémentaires pour les procédures en cours et pour celles ouvertes pendant la période d’urgence sanitaire. Cette mesure pourrait avoir un impact sur la volonté des créanciers de participer à la conciliation15. En effet, pour un créancier, une procédure longue peut sembler effrayante alors qu’une procédure d’une durée de 4 mois semble moins hostile. La rapidité de la procédure permet de rassurer les créanciers qui ne demeureront pas dans l’incertitude quant à l’avenir de leur créance. Il est néanmoins difficile d’affirmer avec certitude que les créanciers seront réticents à s’engager dans une procédure de conciliation en raison de sa durée allongée.

Ainsi, l’instauration d’un nouveau privilège et la modification de la durée de la conciliation ne devraient pas avoir pour effet d’effrayer considérablement les créanciers qui souhaiteraient participer à la conciliation de leur débiteur. D’autres mesures prises par les ordonnances liées à la Covid-19 doivent être étudiées plus longuement. Elles semblent de prime abord avoir un effet spécifique sur l’incitation des créanciers mais cet effet ne résiste pas à l’analyse.

Dossier de conciliation

II – L’incitation trompée

Plusieurs mesures retiendront notre attention puisque leur effet sur le recours à la procédure de conciliation sera, à l’analyse, différent de l’effet attendu. Tel est le cas de l’ouverture de la procédure qui invite à penser qu’il y aura plus de recours à la conciliation (A) et du durcissement des pouvoirs du président du tribunal qui pourrait, à première vue, effrayer les créanciers (B).

A – L’ouverture de la conciliation sans incitation à y recourir

Le recours à la procédure de conciliation est facilité par la mesure de gel de la cessation des paiements adoptée en réponse à la crise économique. En effet, en application du premier article de l’ordonnance du 27 mars 2020, l’évaluation de l’état de cessation de paiements est gelée à la date du 12 mars 202016. Il en résulte que les débiteurs qui n’étaient pas en cessation des paiements ou qui étaient en cessation des paiements depuis moins de 45 jours à cette date, pourront demander l’ouverture d’une procédure de conciliation. Il n’est pas tenu compte de l’aggravation de leur situation économique postérieure à cette date. Il résulte de cette fiction que de nombreux débiteurs pourront se tourner vers la procédure de conciliation alors même que leurs difficultés auraient dû les conduire en redressement ou en liquidation judiciaire. Doit néanmoins être posée la question de savoir si leurs créanciers vont se prêter au jeu de la conciliation. Tel ne sera probablement pas le cas s’ils perçoivent que la situation de leur débiteur est irrémédiablement compromise. Ainsi, le gel de l’état de cessation des paiements permet d’ouvrir la procédure de conciliation à des débiteurs qui, au vu de leurs difficultés réelles, n’auraient pas pu en bénéficier. Néanmoins, cette mesure n’incite pas les créanciers à leur venir en aide.

De la même manière, la suppression du délai de carence de 3 mois entre deux procédures de conciliation permet d’augmenter les possibilités de recourir à la procédure de conciliation. Néanmoins, cette ouverture de la procédure pourrait être sans effet si les créanciers ne souhaitent pas y participer. Il n’est pas avéré que les créanciers se montreront réticents à participer à une procédure de conciliation qui serait ouverte à la suite d’une procédure récemment clôturée. Pourtant, il est possible d’imaginer le désarroi d’un créancier dont le débiteur demandera l’ouverture d’une seconde procédure de conciliation moins de 3 mois après la clôture de la précédente. Une telle proximité entre deux procédures successives pourrait être perçue comme le signe de difficultés persistantes. Les créanciers seraient alors en droit de se demander si la procédure de conciliation est réellement adaptée à la situation de leur débiteur. Cette interrogation ne les conduirait pas à participer activement à une telle procédure.

Ces deux mesures permettant d’ouvrir plus largement le recours à la conciliation ne sont donc pas suffisantes du point de vue de l’incitation des créanciers. Les procédures de conciliation qui seront ouvertes en application de ces mesures ne seront pas toujours adaptées à la situation du débiteur. Les créanciers observeront ce décalage entre les difficultés ancrées ou répétitives du débiteur et la procédure de conciliation habituellement réservée aux débiteurs ne se trouvant pas en état de cessation des paiements ou s’y trouvant depuis moins de 45 jours. Il serait difficile de blâmer ces créanciers s’ils refusaient de prendre part à une conciliation qu’ils ne pensent pas suffisante pour remettre sur pieds leur débiteur.

Ainsi, l’ouverture de la conciliation qui aurait dû entraîner un accroissement du recours à cette procédure ne produira pas l’effet attendu dès lors que les créanciers pourraient ne pas croire en ses chances de réussite. À l’opposé, la contrainte renforcée au cours de la procédure de conciliation ne devrait pas davantage produire l’effet redouté de répulsion des créanciers.

B – La crainte de la conciliation atténuée

À condition qu’elle ne concerne que les créanciers prenant part à la conciliation, la possibilité ouverte au président du tribunal d’imposer des mesures aux créanciers récalcitrants portera nécessairement atteinte à l’attrait de cette procédure. En effet, la mesure prévue à l’article 2, III, de l’ordonnance du 20 mai 2020 modifie profondément le déroulement de la procédure de conciliation17. Cette procédure pourra être le terrain de suspension des poursuites, d’échelonnements ou encore de reports de dettes imposés par le président du tribunal18. Habituellement, le juge ne pouvait octroyer que des délais de grâce pendant la procédure de conciliation. Ses pouvoirs ont été multipliés.

Les créanciers perdent seulement le contrôle sur leur créance pendant la procédure de conciliation. En effet, les atteintes au droit de poursuite des créanciers participant à la conciliation ne pourront être prononcées que pour la durée de la procédure de conciliation19. Ces atteintes aux droits des créanciers sont néanmoins significatives. La procédure de conciliation permet normalement aux créanciers de rester maîtres de leurs créances non seulement à l’issue de la procédure de conciliation, mais également pendant son déroulement. Avant le renforcement des pouvoirs du président du tribunal en procédure de conciliation, la seule atteinte qui pouvait être portée au recouvrement de leur créance était, comme en droit commun, l’octroi d’un délai de grâce à leur débiteur.

Ce durcissement dans le déroulement de la procédure de conciliation pourra conduire certains créanciers à refuser de prendre part à cette procédure. Ces créanciers restés en dehors de la procédure ne seront toutefois pas à l’abri des délais de grâce pouvant être octroyés par le président du tribunal. La possibilité d’obtenir de tels délais a été élargie par l’article 2 de l’ordonnance du 20 mai 202020. Le débiteur peut aujourd’hui en faire la demande avant même d’être poursuivi ou d’avoir été mis en demeure. Ainsi, les créanciers qui feront le choix de ne pas participer à la conciliation pourront néanmoins subir un blocage ordonné par le président du tribunal de commerce en charge de la procédure. En somme, les créanciers d’un débiteur demandant une procédure de conciliation auront le choix d’y participer ou non, mais ils risqueront en toute hypothèse de subir des délais de grâce.

Le durcissement des modalités de la conciliation pour les créanciers acceptant d’y prendre part est contrebalancé par la possibilité accrue d’obtenir des délais de grâce à l’encontre des créanciers qui ne participent pas à la procédure. La possibilité pour le président du tribunal de bloquer temporairement les droits de certains créanciers participants ne devrait donc pas constituer un véritable obstacle à la volonté des créanciers de prendre part à la conciliation.

Les évolutions récentes du droit des entreprises en difficulté sont variées. Aucune des mesures étudiées ne permet d’inciter les créanciers à s’engager dans la procédure de conciliation de leur débiteur. En revanche, s’ils acceptent de se prêter au jeu des négociations, ils seront incités à accepter les propositions formulées par le conciliateur.

III – L’incitation renforcée

Les mesures jusqu’ici étudiées ne permettent de renforcer ni l’incitation à recourir à la conciliation, ni l’incitation à accepter les propositions du conciliateur. Tel pourrait être le cas de la combinaison de deux réalités distinctes. D’une part, au stade des négociations entre le débiteur et ses créanciers, le champ d’application des procédés d’incitation légaux a été élargi (A). D’autre part, au stade de la participation à la procédure, le contexte de crise économique généralisée devrait renforcer la volonté des créanciers de prendre part à la conciliation (B).

A – L’incitation légale lors des négociations

Les ordonnances liées à la Covid-19 modifiant le droit des procédures collectives ont touché les procédures de sauvegarde financière et les procédures de sauvegarde financière accélérées. Ces deux procédures instituées respectivement en 2010 et en 2014 constituent des passerelles entre la conciliation et la sauvegarde21. Elles permettent en pratique de contraindre certains créanciers qui refusaient d’octroyer à leur débiteur les mesures comprises dans le projet d’accord élaboré par le conciliateur. En effet, les créanciers libres d’accepter ou non les mesures qui leur sont soumises dans le cadre de la conciliation ne bénéficient plus du même pouvoir de décision lorsqu’est ouverte une procédure de sauvegarde. Ainsi, les créanciers perdent en pratique leur pouvoir de blocage dès lors que le conciliateur a élaboré un projet de plan assurant la pérennité de l’activité du débiteur et susceptible de recueillir un soutien suffisamment large de la part des créanciers pour rendre vraisemblable son adoption dans le délai de 3 mois22.

Le champ d’application de ces procédures incitant les créanciers à accepter les propositions du conciliateur a été élargi par l’ordonnance du 20 mai 2020. Ces procédures accélérées ont été provisoirement ouvertes à toutes les entreprises alors qu’elles étaient réservées aux entreprises respectant certains seuils posés à l’article L. 628-1 du Code de commerce23. Cet accroissement de la possibilité de recourir aux procédures de sauvegarde accélérées est de nature à inciter les créanciers participant à la conciliation à accepter les mesures qui leur seront proposées par le conciliateur. Leur choix d’accepter ou non ces propositions sera contraint par la perspective d’une procédure de sauvegarde accélérée et ce quelle que soit l’entreprise en difficulté. Cette dernière modification du droit des entreprises en difficulté en lien avec la procédure de conciliation est donc de nature à favoriser sa réussite.

L’effet incitatif de l’éventualité de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de sauvegarde financière accélérée jouera quelle que soit l’entreprise en difficulté. Cette mesure d’incitation devrait être efficace. Rappelons qu’en temps normal, ce sentiment de contrainte des créanciers les conduit à aider leur débiteur en conciliation. En comparaison, l’octroi d’un privilège de conciliation apparaît moins efficace puisqu’il ne peut être octroyé qu’en présence d’un accord de conciliation homologué24. Il est possible de penser que l’existence de passerelles entre la procédure de conciliation et les procédures de sauvegarde est bien plus efficace. En pratique, on constate que peu de procédures de sauvegarde ou de sauvegarde financière accélérées sont ouvertes. L’efficacité de ces procédures ne tient pas à leur mise en œuvre mais à leur effet incitatif. Elles atteignent leur objectif en incitant les créanciers à accepter les propositions du conciliateur. Les créanciers réticents, s’ils sont minoritaires, ont conscience que leur refus ne tiendra pas si une procédure de sauvegarde est ouverte. Ces derniers acceptent donc les propositions qui leur sont faites par le conciliateur plutôt que d’attendre de voir leur débiteur placé en sauvegarde.

L’élargissement du domaine des procédures de sauvegarde et de sauvegarde financière accélérées semble pouvoir être une mesure efficace pour faciliter la conclusion d’un accord de conciliation. Cette nouvelle mesure sera sans impact sur les entreprises qui pouvaient déjà être soumises aux procédures de sauvegarde accélérées. Pour toutes les autres en revanche, son effet incitatif est important au stade des négociations. Elle pourrait d’ailleurs être pérennisée à l’occasion de la transposition de la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité25. Le choix de pérenniser cette mesure serait évidemment appréciable du point de vue de l’incitation des créanciers à se montrer conciliants avec leur débiteur.

Cette mesure d’incitation efficace ne touchera toutefois que les créanciers ayant accepté de participer à la conciliation. Il serait donc bon qu’elle soit complétée par une mesure incitant les créanciers à passer cette première étape consistant à entrer dans la procédure. Aucune mesure n’a été prise en ce sens, mais l’incitation pourrait venir de la crise elle-même.

B – L’incitation factuelle lors de l’entrée en procédure

Il est permis de penser que les créanciers seront réticents à participer à la procédure de conciliation. Ces créanciers savent d’une part que le président du tribunal disposera de pouvoirs importants pour aménager leur créance au cours de la procédure et d’autre part que leurs choix seront contraints au sein de la procédure de conciliation. Il nous semble pourtant que la crise économique elle-même incitera les créanciers à chercher un accord avec leurs débiteurs au sein de la procédure de conciliation. En effet, en présence d’une crise généralisée, les créanciers auront intérêt à participer à la conciliation dans le but d’obtenir un paiement partiel de leur créance plutôt que de refuser tout dialogue avec leur débiteur au risque de le voir placé en procédure collective. La crise économique crée un contexte particulier en touchant un nombre extrêmement important de débiteurs de manière simultanée. Beaucoup de créanciers ne seront pas confrontés à un seul débiteur en difficulté. Certains créanciers verront touchés la majorité de leurs débiteurs, voire l’ensemble de leurs débiteurs. Il apparaît peu probable que ces créanciers refusent toute négociation avec leurs débiteurs et risquent d’aggraver leurs situations respectives.

En définitive, les mesures adoptées en droit des procédures collectives à la suite de la crise liée à la Covid-19 devraient permettre un bon fonctionnement de la procédure de conciliation. Certaines mesures pouvaient faire craindre un recul de la volonté des créanciers de participer à la procédure de conciliation. Tel est notamment le cas de l’augmentation des pouvoirs du président du tribunal qui pourrait sembler hostile à certains créanciers. Toutefois, cette atteinte à l’incitation des créanciers est contrebalancée par d’autres mesures. En outre, au-delà de la réalité juridique, le contexte de crise économique devrait globalement pousser les créanciers à se montrer bienveillants envers leur débiteur en procédure de conciliation.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ord. n° 67-820, 23 sept. 1967, tendant à faciliter le redressement économique et financier de certaines entreprises.
  • 2.
    Tel est le cas par exemple des mesures d’alerte prévues aux articles L. 234-1 et s. du Code de commerce, L. 611-2 du Code de commerce et L. 2312-63 du Code du travail.
  • 3.
    L. n° 2005-845, 26 juill. 2005, de sauvegarde des entreprises.
  • 4.
    V. C. com., art. L. 620-1.
  • 5.
    La conciliation se démarque de la procédure de sauvegarde et ne peut être qualifiée de procédure collective dès lors que les créanciers concernés ne subissent pas de discipline collective. Ainsi, l’ouverture d’une procédure de conciliation n’entraîne pas en elle-même l’arrêt des poursuites et l’interdiction des paiements. Ces deux éléments phares de la discipline imposée aux créanciers du débiteur qui se trouve en procédure collective n’ont pas leur place dans la procédure de conciliation.
  • 6.
    En effet, l’article L. 611-7 du Code de commerce prévoit que, si au cours de la procédure le débiteur est mis en demeure ou poursuivi par un créancier, il peut demander au juge qui a ouvert la conciliation de faire application de l’article 1343-5 du Code civil. Cet article ne distingue pas les créanciers participants à la procédure de conciliation des créanciers restés en dehors.
  • 7.
    L’article L. 611-7, alinéa 1er, du Code de commerce dispose que « le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise ». Ainsi, bien que la conciliation implique une procédure judiciaire spécifique, elle n’aboutit pas à l’adoption d’un plan par le tribunal, mais à la conclusion d’un accord négocié entre le débiteur et ses différents créanciers. Pourtant, sur le plan de la procédure, la conciliation est proche des procédures collectives. En effet, l’article L. 611-6 du Code de commerce prévoit que le débiteur saisit le président du tribunal par requête, que ce dernier ouvre la procédure par le biais d’une ordonnance. Le même article précise encore que l’ordonnance ouvrant la procédure de conciliation porte désignation du conciliateur. Enfin, la procédure est ouverte pour une durée déterminée légalement. À propos de la conciliation, trois auteurs parlent de « contrat serti dans un processus judiciaire », v. Robine D., Jeantin M. et Le Cannu P., Droit des entreprises en difficulté, 8e éd., 2020, précis Dalloz, p. 86, n° 105.
  • 8.
    D’ailleurs un créancier peut participer à la conciliation pour une partie seulement des créances qu’il détient contre le débiteur en difficulté, v. Cass. com., 13 oct. 1998 : Bull. civ. IV, n° 235.
  • 9.
    En procédure de sauvegarde, le plan est voté par les créanciers au sein des comités. Il est par suite imposé par les créanciers majoritaires aux autres créanciers. V. C. com., art. L. 626-30.
  • 10.
    Ces mesures d’incitation sont à distinguer d’autres mesures également prévues pour favoriser le recours à la conciliation qui s’adressent aux débiteurs. Le législateur cherche à renforcer l’anticipation des difficultés et incite donc les débiteurs à recourir aux procédures de conciliation ou de sauvegarde. À ce titre, l’article L. 611-16 du Code de commerce répute non écrite les clauses qui modifient les conditions d’exécution du contrat en défaveur du débiteur qui recourt à une procédure préventive. Il en est de même des clauses faisant peser sur lui la charge financière de l’intervention de conseils assistant le créancier. V. l’article L. 611-16 du Code de commerce, instauré par l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.
  • 11.
    Le privilège de conciliation est prévu à l’article L. 611-11 du Code de commerce : « En cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, les personnes qui avaient consenti, dans le cadre d’une procédure de conciliation ayant donné lieu à l’accord homologué mentionné au II de l’article L. 611­8, un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité, sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l’article L. 622-17 et au II de l’article L. 641-13. Les personnes qui fournissent, dans le même cadre, un nouveau bien ou service en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité bénéficient du même privilège pour le prix de ce bien ou de ce service ».
  • 12.
    L’article L. 611-8, alinéa 1, du Code de commerce prévoit que le tribunal qui constate ou homologue l’accord de conciliation « statue au vu d’une déclaration certifiée du débiteur attestant qu’il ne se trouvait pas en cessation des paiements lors de la conclusion de l’accord, ou que ce dernier y met fin ».
  • 13.
    Ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, art. 5, IV.
  • 14.
    Ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale, art. 1, II : « La période mentionnée à la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 611-6 du Code de commerce est prolongée de plein droit d’une durée équivalente à celle de la période prévue au I ».
  • 15.
    Cet effet sur l’incitation des créanciers ne sera ressenti que par les créanciers qui n’étaient pas encore engagés dans une procédure de conciliation au jour de l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
  • 16.
    V. ord. n° 2020-341, 27 mars 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale, art. 1 : « I. – Jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée : 1° L’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020, sans préjudice des dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article L. 631-8 du Code de commerce, de la possibilité pour le débiteur de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou le bénéfice d’un rétablissement professionnel, et de la possibilité de fixer, en cas de fraude, une date de cessation de paiements postérieure ».
  • 17.
    Ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, art. 2 : « II. – Lorsqu’un créancier appelé à la conciliation n’accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, le débiteur peut demander au président du tribunal ayant ouvert cette procédure, qui statue par ordonnance sur requête :
  • 18.
    1° D’interrompre ou d’interdire toute action en justice de la part de ce créancier et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ;
  • 19.
    2° D’arrêter ou d’interdire toute procédure d’exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant la demande ;
  • 20.
    3° De reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues.
  • 21.
    Les observations du conciliateur sont jointes à la requête.
  • 22.
    Lorsqu’il est fait application du 1° ou du 2°, les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont suspendus. Lorsqu’il est fait application du 3°, les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
  • 23.
    Les mesures ordonnées par le président du tribunal ne produisent leur effet que jusqu’au terme de la mission confiée au conciliateur.
  • 24.
    L’ordonnance est communiquée au ministère public ».
  • 25.
    La conciliation ne donne pourtant pas lieu à l’application de la discipline collective propre aux procédures collectives. En effet, les restrictions de droit des créanciers décrites ne concerneront pas l’ensemble des créanciers de manière automatique mais seront imposées par le président du tribunal à certains créanciers.
  • 26.
    Cette limite est prévue à l’article 2, II, de l’ordonnance du 20 mai 2020 qui précise que « les mesures ordonnées par le président du tribunal ne produisent leur effet que jusqu’au terme de la mission confiée au conciliateur ».
  • 27.
    Ord. n° 2020-596, 20 mai 2020, portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, art. 2, III : « Par dérogation au cinquième alinéa de l’article L. 611-7 du Code de commerce, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de faire application de l’article 1343-5 du Code civil avant toute mise en demeure ou poursuite à l’égard d’un créancier qui n’a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance ».
  • 28.
    La procédure de sauvegarde financière accélérée a vu le jour avec la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière. La procédure de sauvegarde accélérée a été mise en place par l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.
  • 29.
    Ces conditions sont posées à l’article L. 628-1 du Code de commerce.
  • 30.
    L’article L. 628-1 du Code de commerce précise que « la procédure ne peut être ouverte qu’à l’égard d’un débiteur :
  • 31.
    - dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable et dont le nombre de salariés, le chiffre d’affaires ou le total de bilan sont supérieurs à l’un au moins des seuils fixés par décret ; ou
  • 32.
    - qui a établi des comptes consolidés conformément à l’article L. 233-16 ».
  • 33.
    En pratique peu de créanciers bénéficient du privilège de conciliation. En effet, seuls les accords de conciliation homologués donnent lieu à l’octroi de ce privilège, or la majorité des accords sont seulement constatés par le tribunal. Cette condition de l’octroi du privilège apparaît à l’article L. 611-11, alinéa 1, du Code de commerce. « En cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, les personnes qui avaient consenti, dans le cadre d’une procédure de conciliation ayant donné lieu à l’accord homologué mentionné au II de l’article L. 611-8, un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité, sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes les autres créances, selon le rang prévu au II de l’article L. 622-17 et au II de l’article L. 641-13. Les personnes qui fournissent, dans le même cadre, un nouveau bien ou service en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité bénéficient du même privilège pour le prix de ce bien ou de ce service ». Pierre-Michel Le Corre saluait cette condition en affirmant que « le droit à l’information sur la santé financière exacte d’une entreprise, qui s’inscrit dans une saine vision macro-économique, est supérieur au droit pour une entreprise de bénéficier confidentiellement de mesures destinées à lui permettre de se redresser » : Le Corre P.-M., « Le privilège de la conciliation », Gaz. Pal. 8 sept. 2005, n° F6848, p. 50. Dès lors que peu d’accords de conciliation sont homologués, il apparaît que le privilège de conciliation n’est pas le principal facteur d’incitation des créanciers à participer à la conciliation.
  • 34.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2019/1023, 20 juin 2019, relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) n° 2017/1132 (directive sur la restructuration et l’insolvabilité).
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