Le sort du créancier déclarant en cas d’extension d’une procédure collective pour confusion des patrimoines
Le jugement d’extension de la procédure ouvre un nouveau délai au créancier antérieur pour déclarer sa créance au passif du codébiteur solidaire à qui la procédure a été étendue.
Cass. com., 18 juin 2017, no 16-16746, ECLI:FR:CCASS:2017:CO00977, F–PBI
Une banque (la société BNP) a consenti à deux époux (M. et Mme X) un prêt garanti par une sûreté réelle. Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de l’un des codébiteurs solidaires, au passif duquel la banque a déclaré sa créance de prêt en limitant sa demande aux seuls intérêts à échoir et en omettant de déclarer sa sûreté hypothécaire. Puis, la banque a produit, au passif de la procédure étendue au second codébiteur solidaire, sa créance à titre privilégié incluant le capital restant dû au titre du prêt.
Après que le mandataire lui eut opposé la tardiveté de sa déclaration, la banque saisit le juge-commissaire aux fins d’un constat de non-forclusion. La cour d’appel considère que le mandataire judiciaire avait adressé à la créancière un avertissement dans le cadre de la procédure collective initiale et que, bien qu’incomplet, cet avis avait suffi à l’informer sur ses droits et obligations au regard de la nouvelle procédure unique. À l’occasion de son pourvoi, la banque soutient que l’extension d’une procédure collective à une seconde personne physique lui ouvre un délai de deux mois pour déclarer la créance détenue sur celle-ci et le droit d’être informée de cette obligation en tant que créancier privilégié. Autrement dit, les juges du droit ont eu à se prononcer sur les effets, à l’égard du créancier déclarant, du jugement d’extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines.
La démonstration de la banque convainc la Cour de cassation qui casse et annule la décision de la cour d’appel au visa des articles L. 622-24 (ancien) du Code de commerce et 1200 (ancien) du Code civil. La solution rendue dans le contexte particulier de l’extension d’une procédure, sous la forme d’un attendu de principe, met en exergue les droits et obligations de la banque en ses qualités de créancier antérieur (I) et de créancier privilégié (II).
I – L’obligation de déclarer en qualité de créancier antérieur
L’ouverture d’une procédure collective soumet les créanciers à la discipline collective, notamment à travers l’opération de déclaration de créances1. Cette obligation vaut pour toute créance antérieure ; tel est le cas en l’espèce de la créance de prêt née avant le jugement d’ouverture du redressement judiciaire.
La première difficulté soulevée réside dans la portée de la déclaration de créance réalisée dans le cadre de la procédure initiale. Quel est l’effet du jugement d’extension sur cette opération ?
L’extension d’une procédure collective aboutit à la création d’un patrimoine commun avec unicité d’actifs et de passif. Dans l’hypothèse d’une confusion des patrimoines, chacun conserve néanmoins sa personnalité juridique2. La Cour de cassation rappelle en l’occurrence que chaque codébiteur solidaire s’est engagé distinctement à l’égard du même créancier3. L’existence de cette solidarité liant les époux, débiteurs du même prêt, implique que le créancier puisse réclamer le paiement de l’intégralité de la dette à l’un ou à l’autre des codébiteurs, et qu’il soit ainsi amené à déclarer sa créance dans la procédure étendue au second codébiteur4. En outre, si la création d’un patrimoine commun a pour effet de permettre une déclaration unique entre les mains du mandataire judiciaire5, c’est à condition que cette déclaration ait été effectuée après le jugement d’extension de la procédure6. Dès lors, « le jugement qui étend à l’un la procédure collective ouverte à l’égard de l’autre fait courir au profit de ce créancier, à compter de sa date de publication, un nouveau délai pour déclarer sa créance quand bien même il l’a déjà déclarée au passif de la procédure initialement ouverte ».
Cependant, un second écueil tient au fait que le créancier n’avait fait état de sa créance qu’à titre chirographaire au passif de la procédure initiale. À l’appui de sa défense, la banque reprend une ancienne solution rendue par la chambre commerciale selon laquelle « le créancier qui aurait omis de déclarer cette dette au passif du premier débiteur peut déclarer la créance qu’il détient contre le codébiteur à l’égard duquel la procédure a été étendue »7. Ce raisonnement, approuvé par les juges du droit, offre ici au créancier antérieur l’opportunité de conserver ses droits hypothécaires grâce à la déclaration de sa créance au passif de la procédure unique.
II – Le droit d’être averti en qualité de créancier privilégié
L’obligation de déclarer s’applique à tout créancier antérieur, qu’il soit chirographaire ou privilégié8. En l’espèce, le prêt consenti aux époux était garanti par une hypothèque, créance privilégiée qui a été produite par la banque au passif de la procédure étendue. Déclarée forclose par le mandataire judiciaire, la banque fait valoir qu’elle n’avait pas été avertie de l’extension de la procédure et de la nécessité de déclarer sa créance détenue à l’encontre du second codébiteur solidaire. De leur côté, les juges du fond se sont fondés sur la spécificité de la confusion des patrimoines pour affirmer que le mandataire judiciaire avait adressé un avertissement à la banque d’avoir à déclarer sa créance dans la procédure initiale et que cet avertissement suffisait, au regard de l’unicité de la procédure, à informer la banque de ses droits et obligations.
Au contraire, la Cour de cassation tranche en faveur de l’autonomie des personnalités juridiques en cas de confusion des patrimoines. Elle confirme, en vertu de l’ancien article L. 622-24 du Code de commerce, que les créanciers titulaires d’une sûreté publiée doivent être avertis personnellement par le mandataire judiciaire « d’avoir à déclarer sa créance au passif de celui à qui la procédure a été étendue ». La banque aurait dû être informée, de façon non équivoque, de l’extension de procédure à l’égard du second codébiteur et de la possibilité de procéder à une nouvelle déclaration, afin de faire valoir ses droits en sa qualité de créancier hypothécaire. Par conséquent, le délai de déclaration de deux mois, dont le point de départ est fixé à la date de notification de l’avis, n’avait pas commencé à courir, faute d’avertissement préalable.
Les nouvelles rédactions des articles invoqués ne devraient pas modifier la portée de cette solution.
Notes de bas de pages
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1.
C. com., art. L. 622-24, al. 1er.
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2.
Pérochon F., Entreprises en difficulté, 10e éd., 2014, LGDJ, n° 338.
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3.
C. civ., art. 1200 anc. ; C. civ., art. 1300 nouv.
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4.
V. aussi, Roussel-Galle P., note sous même arrêt, Rev. sociétés 2017, p. 524.
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5.
Cass. com., 1er oct. 1997, n° 95-11210 ; v. aussi Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., 2016, LGDJ, n° 458.
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6.
Cass. com., 19 févr. 2002, n° 98-21839.
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7.
Cass. com., 11 déc. 2001, n° 98-22643.
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8.
Sauf quelques exceptions, V. Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., 2016, LGDJ, nos 769 et°770.