L’opposabilité de la propriété d’un aéronef immatriculé, l’inutilité de l’action en revendication
Le propriétaire d’un aéronef immatriculé n’est pas soumis à la procédure de revendication de l’article L. 624-9 du Code de commerce. Pour la première fois, la Cour de cassation énonce que la propriété de l’appareil par son immatriculation au registre national est opposable à tous, et nécessairement à la procédure collective.
Bien connaître le patrimoine d’une société placée en liquidation judiciaire permet de faciliter autant que possible l’apurement de son passif. Mais tous les biens détenus par le débiteur ne sont pas nécessairement sa propriété. Tel est ici le cas d’un aéronef.
Le 13 janvier 2019, il est prononcé la résolution du plan de sauvegarde de la société BCA et son redressement judiciaire. Le jugement est publié le même jour au BODACC. Le 27 février de la même année, la procédure est convertie en liquidation judiciaire et la société Jérôme Allais est désignée en qualité de liquidateur. Le 21 juin 2019, la société Blue Aero, mandatée par le GIE BE200, demande au liquidateur la restitution d’un aéronef, régulièrement immatriculé au registre national des aéronefs, qu’elle avait confié à la société BCA pour maintenance. Invoquant la forclusion, le liquidateur refuse la restitution. Le GIE saisit alors le juge-commissaire aux fins de restitution de l’appareil.
Le liquidateur fait grief à la cour d’appel de Lyon d’avoir ordonné la restitution de l’aéronef, ses équipements et sa documentation, en violation de l’article L. 624-10 du Code de commerce. Le liquidateur fait valoir que le GIE a demandé la restitution de l’appareil le 14 octobre 2020 invoquant l’immatriculation de celui-ci. Selon le liquidateur, le GIE n’a pas exercé l’action en revendication dans le délai de trois mois impartis à peine de forclusion, ainsi son droit de propriété était inopposable à la liquidation judiciaire.
Le propriétaire d’un aéronef immatriculé est-il tenu de respecter la procédure de revendication, lorsque l’appareil est entre les mains d’une entreprise en procédure collective ?
Après avoir rappelé les conditions et le but de l’action en revendication, la Cour de cassation se réfère au Code des transports applicable aux aéronefs. La Cour précise que l’inscription de l’aéronef au registre français d’immatriculation de la direction générale de l’aviation valait titre de propriété, opposable à tous, y compris nécessairement à la procédure collective. Ainsi, peu importe la forclusion, la procédure de revendication ne s’appliquait pas en l’espèce, l’aéronef devait être restitué au GIE et le pourvoi devait être rejeté.
Par cette solution de principe, la Cour de cassation pose l’opposabilité erga omnes d’un aéronef immatriculé (I) et cela en dépit du but de la liquidation judiciaire (II).
I – L’opposabilité erga omnes d’un aéronef immatriculé
Par cet arrêt, la Cour de cassation pose l’opposabilité d’un aéronef immatriculé au registre national à l’égard de tous et nécessairement de la procédure collective. Ainsi, la Cour répond à une question inédite qui était celle de l’application de la procédure de revendication à ce type de bien (A), et pose une exemption à l’article L. 624-9 du Code de commerce par la mise en œuvre de l’article L. 6121-2 du Code des transports (B).
A – La question de l’application de la procédure de revendication à un aéronef immatriculé
La revendication de biens meubles. À l’ouverture d’une procédure collective, le débiteur peut être en possession de biens qui ne sont pas sa propriété. Il revient alors aux propriétaires de demander la restitution de leurs biens ou les revendiquer par application de l’article L. 624-9 du Code de commerce, qui prévoit que la « revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure »1, et cela sous peine de forclusion.
L’aéronef, un bien meuble. Ce délai s’applique à la revendication de biens meubles, qu’ils soient corporels ou incorporels2. Mais qu’en est-il des aéronefs ? Relève de cette qualification « tout appareil capable de s’élever ou de circuler dans les airs »3. L’aéronef « constitue un bien meuble pour l’application des règles fixées par le Code civil »4. Si l’article L. 6121-2 du Code des transports a été largement utilisé pour les contentieux relatifs à la vente de ces appareils par la jurisprudence administrative5, il fallait encore connaître de son application lors d’une procédure collective.
L’aéronef, un bien meuble pas comme les autres. La question est de savoir si un aéronef immatriculé confié au débiteur pour des opérations de maintenance reçoit le même traitement que les autres biens meubles corporels. À titre d’exemple, la Cour de cassation a pu juger, à propos d’une voiture confiée pour réparation à un garagiste, que n’est pas en faute le liquidateur qui procède à la destruction du bien non revendiqué dans les délais6. Ainsi, convient-il d’appliquer cette jurisprudence à un aéronef immatriculé ? À cette question la Cour de cassation répond fermement par la négative. Dès lors que l’aéronef est immatriculé, sa propriété est opposable à tous et nécessairement à la procédure collective, ce qui a pour conséquence que le propriétaire n’est pas soumis à la procédure de revendication du Code de commerce.
B – L’exemption posée à la procédure de revendication, la première application de L. 6121-2 du Code des transports
Une solution de principe voulue par la Cour. La Cour de cassation a voulu faire de cette solution une solution de principe. L’emploi des articles 620, alinéa 1, et 1015 du Code de procédure civile en témoigne. Ainsi, dans le respect du contradictoire, la Cour de cassation a usé d’une faculté qui lui est ouverte, à savoir la substitution de motif de pur droit à un motif erroné. Cela n’est pas si courant et témoigne de la volonté de la Cour de poser par cet arrêt une véritable solution de principe et cela à plusieurs égards.
L’application inédite de l’article L. 6121-1 du Code des transports à une procédure collective. Cet arrêt est la première application de l’article L. 6121-1 du Code des transports à une procédure collective. La Cour de cassation énonce clairement que, si l’aéronef a été immatriculé, la procédure de revendication ne s’applique pas à son propriétaire. L’opposabilité posée empêche d’autres personnes de s’emparer de leurs biens. Si la Cour précise que la propriété est opposable à tous, « elle est nécessairement opposable à la procédure collective ». Si la précision vise, en l’espèce, le liquidateur et le juge-commissaire, l’emploi du terme « nécessairement » ne va pas sans questionner. L’article L. 6121-1 du Code des transports prévoit que l’« inscription au registre français d’immatriculation vaut titre de propriété. Le registre est public », ce qui signifie en creux qu’il est opposable à tous. Le texte est de portée générale. D’ailleurs, l’emploi du terme « nécessairement » par la Cour de cassation n’est qu’une précision des juges afin de marquer le caractère général de la disposition du Code des transports ; ce caractère général faisant ainsi obstacle à l’application de l’article L. 624-9 du Code de commerce.
L’application inédite en jurisprudence de l’article D. 6111-3 du Code des transports. Si l’application de l’article L. 6121-1 du Code des transports est une première dans le cadre d’une procédure collective, il faut également noter un autre élément inédit. Cet arrêt est la toute première application jurisprudentielle de l’article D. 6111-3 de ce même code, créé par le décret du 31 octobre 20237. Cet article apporte des précisions quant au registre d’immatriculation des aéronefs. Il « est ouvert à la direction générale de l’aviation civile. Ce registre est tenu à la disposition du public selon les modalités définies par arrêté du ministre chargé de l’aviation civile. Toute personne peut en obtenir copie conforme sur demande écrite ». L’opposabilité de l’aéronef, à tous et nécessairement à la procédure collective, est sous-tendue par les particularités de cette immatriculation, pour laquelle le registre est placé sous l’autorité du ministre chargé de l’aviation civile8. La Cour de cassation fait ici reproche aux acteurs de la procédure collective de ne pas avoir vérifié l’immatriculation de l’aéronef à ce registre, d’autant que celle-ci avait été invoquée par son propriétaire.
II – L’opposabilité affirmée en dépit du but de la liquidation judiciaire
L’aéronef n’est pas un élément de l’actif de la société BCA débitrice. La propriété de l’aéronef étant opposable, la tentative d’apurement du passif par le liquidateur est avortée (A). Cette solution ici posée ouvre également la voie de son extension (B).
A – La tentative avortée d’apurement du passif
L’absence de déclaration de créance, une erreur du liquidateur. Il faut rappeler que lors d’une procédure collective, s’il n’y a pas eu une demande de restitution ou de revendication dans le délai requis, le droit de propriété est inopposable à la procédure9. Le bien entre alors dans le gage commun des créanciers et s’il y a besoin le bien peut être vendu afin d’apurer le passif. En l’espèce, l’apurement du passif était légitimement le but du liquidateur, la vente de l’aéronef aurait pu rapporter des dizaines de milliers d’euros, facilitant cet apurement. Ainsi, même si le propriétaire de l’appareil invoquait l’immatriculation au registre comme titre de propriété, le liquidateur faisait notamment valoir l’absence de déclaration de créance du GIE, oubliant que la déclaration de créance n’est pas une condition de l’exercice de l’action en revendication10.
L’indifférence quant à la publicité du contrat. Afin d’apurer le passif par la vente du bien, le liquidateur recherchait l’application de l’article L. 624-10 du Code de commerce qui prévoit que le « propriétaire d’un bien est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l’objet d’une publicité (…) »11 avant le jugement d’ouverture de la procédure. Or, en l’espèce, le GIE avait confié l’aéronef à la société BCA pour des travaux de maintenance sur l’appareil. Bien que la Cour de cassation ne rapporte pas l’existence d’un contrat, il faut rappeler que le contrat de maintenance est un contrat d’entreprise qui ne relève d’aucun droit spécifique12 et qu’aucune réglementation particulière n’existe quant à sa publicité. La seule formalité de publicité ici ouverte et facultative aurait été l’enregistrement du contrat de maintenance au greffe du tribunal de commerce. Autrement dit, le liquidateur recherchait l’application d’une formalité que la loi ne prévoit pas.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, on comprend d’autant mieux la solution posée par les juges de cassation, qui d’ailleurs est susceptible d’être étendue.
III – L’extension envisageable de la solution
L’extension par application stricte de la loi. Considérant que la procédure de revendication de l’article L. 624-9 du Code de commerce est applicable tant en sauvegarde qu’en cas de redressement et liquidation judiciaires, la solution, ici rendue dans le cadre d’une liquidation judiciaire, n’y est pas enfermée. Seule la spécificité du bien, un aéronef régulièrement immatriculé sur le registre national, marque une dispense d’application de la procédure de revendication. Que les propriétaires d’aéronefs immatriculés se rassurent, la solution est transposable à la sauvegarde et au redressement judiciaire.
Des extensions par analogie. L’aéronef n’est pas un bien meuble comme les autres, notamment au regard de son immatriculation au registre national tenu sous l’autorité du ministre chargé de l’aviation civile. À cet égard la solution peut-elle être étendue ?
Ainsi, selon les articles L. 5112-1-11 et D. 5112-1 du Code des transports, les navires13 francisés14 sont enregistrés et un certificat est délivré par les services du préfet, ou du ministre chargé de la mer pour le cas des navires immatriculés au registre international français. La législation relative aux navires francisés ne précise pas si l’enregistrement vaut titre mais la vérification quant à la propriété serait aisément vérifiable par les acteurs de la procédure collective, ce qui pourrait laisser présumer une extension de la dispense d’application de la procédure de revendication.
L’extension est également envisageable pour les bateaux dont « le port en lourd est égal ou supérieur à vingt tonnes ou tout autre bateau dont le déplacement est égal ou supérieur à dix mètres cubes, circulant en France »15. Ces bateaux doivent être immatriculés par leur propriétaire sur le registre national informatisé tenu par le ministre chargé des transports16. Il est d’ailleurs précisé, comme pour les aéronefs, que le registre est public, toute personne pouvant en obtenir un extrait17. Si un jour la question de l’application de la procédure de revendication se pose pour un bateau, il y a lieu de penser que cet arrêt de la chambre commerciale du 27 mars 2024 servira de référence.
Notes de bas de pages
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1.
Cet article est applicable tant à la sauvegarde, qu’au redressement et liquidation judiciaires. Néanmoins, au regard de l’article L. 628-1 du Code de commerce, la procédure de revendication ne s’applique pas en cas de sauvegarde accélérée ou de sauvegarde financière accélérée.
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2.
Cass. com., 21 nov. 1995, n° 93-20531 à propos d’un fonds de commerce – Cass. com., 22 oct. 1996, n° 94-17768 à propos d’un brevet d’invention.
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3.
C. transp., art. L. 6100-1.
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4.
C. transp., art. L. 6121-2, al. 1er.
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5.
En ce sens : CE, 10e - 9e ch. réunies, 12 déc. 2018, nos 413429 et 415486 – CAA Paris, 9e ch., 29 mai 2019, n° 17PA02690 – CAA Douai, 4e ch., 3 oct. 2019, n° 17DA01128.
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6.
Cass. com., 3 déc. 2003, n° 01-02177.
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7.
D. n° 2023-10008, 31 oct. 2023 : JO, 1er nov. 2023.
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8.
C. transp., art. D. 6111-4.
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9.
Cass. com., 3 avr. 2019, n° 18-11247.
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10.
Cass. com., 20 oct. 1992, n° 90-18867 – Cass. com., 11 mars 1997, n° 94-20069 : Bull. civ. IV, n° 70 – Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-19672.
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11.
« (…) il peut réclamer la restitution de son bien dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ».
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12.
Sur ce sujet : P. Le Tourneau, « Le contrat de maintenance », Gaz. Pal. Rec. 1988, 2, doct., p. 446.
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13.
Selon l’article L. 5000-2 du Code des transports, entre dans cette qualification « 1° Tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci ; 2° Les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime, affectés à des services publics à caractère administratif ou industriel et commercial », sauf les navires de guerre.
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14.
C. transp., art. L. 5112-1-1, la « francisation confère au navire le droit de porter le pavillon de la République française et les avantages qui s’y attachent ».
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15.
C. transp., art. L. 4111-1.
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16.
C. transp., art. L. 4111-1.
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17.
C. transp., art. L. 4111-5.
Référence : AJU013l4