Précisions sur le régime de l’action en recevabilité du liquidateur judiciaire face aux actes accomplis en violation du dessaisissement

Publié le 24/04/2025
Précisions sur le régime de l’action en recevabilité du liquidateur judiciaire face aux actes accomplis en violation du dessaisissement
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La Cour de cassation précise que « les actes de disposition accomplis par le débiteur au mépris de la règle du dessaisissement (…) sont frappés d’une inopposabilité à la procédure collective dont le liquidateur peut se prévaloir, quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif ».

1. L’ouverture d’une procédure collective emporte des conséquences diverses vis-à-vis de la société qui est en état de cessation des paiements. Lorsque la juridiction compétence constate que la société concernée possède des capacités de restructuration, outre la sauvegarde, elle peut prononcer le redressement judiciaire. Ici, le dirigeant est assisté dans l’administration de sa société ; c’est la règle de l’assistance. En revanche, lorsqu’un jugement de liquidation judiciaire est prononcé, la situation de la société est irrémédiablement compromise. C’est le principe du dessaisissement. À compter du prononcé dudit jugement, outre les actes strictement personnels, aucun acte ne peut être accompli par la société sous peine d’inopposabilité. Dans son arrêt du 15 janvier 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle cette règle cardinale de la procédure de liquidation judiciaire en y apportant une précision notoire : « quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif ». L’analyse de la position de la haute juridiction requiert de présenter les faits : la société P est placée en redressement puis en liquidation judiciaires, la société Egide étant désignée liquidateur. La société P est titulaire d’un compte ouvert dans les livres d’un établissement de monnaie électronique au sens de l’article L. 526-1 du Code monétaire et financier. Le liquidateur informe celui-ci de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de la société. Il sollicite ensuite la clôture du compte et le versement de son solde créditeur. Une assignation est délivrée à l’établissement de monnaie électronique par le liquidateur aux fins de déclarer inopposables à la procédure collective les opérations en débit réalisées et voir condamner l’établissement à diverses sommes. Pour le liquidateur, la somme qui lui avait été remise ne correspondait pas au solde créditeur du compte tel qu’il devait résulter des opérations de paiement créditées depuis la date du jugement d’ouverture à la suite de nombreuses opérations portées au débit depuis cette date sur ordre de la société débitrice. L’établissement de monnaie électronique interjette appel devant la cour d’appel de Toulouse. D’après celui-ci, l’action du liquidateur est irrecevable. En effet, il est dépourvu de la qualité et d’intérêt à agir d’autant plus que son action n’a aucune influence sur le passif déclaré et l’actif. Cet argumentaire ne trouve pas un écho favorable auprès des juges d’appel qui condamnent in solidum l’établissement et son intermédiaire au paiement de la somme 129 661 € augmentée des intérêts au taux légal. L’affaire est portée devant la Cour de cassation. La question suivante a été mise en exergue : un acte passé par une société placée en liquidation judiciaire, au mépris de la règle du dessaisissement, peut-il être valable tenant compte du passif déclaré et de l’actif dans la procédure collective ? Ou alors, l’action en inopposabilité du liquidateur judiciaire vis-à-vis des actes accomplis par la société est-elle subordonnée à l’existence du passif déclaré dans la procédure collective ? Par arrêt de rejet, la haute juridiction note que l’action du liquidateur judiciaire visant l’inopposabilité des actes accomplis par la société est recevable (I). Cette décision s’inscrirait dans la construction par la Cour de cassation du régime applicable à la recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire face aux actes dits inopposables (II).

I – La recevabilité de l’action en inopposabilité du liquidateur judiciaire vis-à-vis des actes accomplis en violation du dessaisissement

2. L’arrêt rendu le 15 janvier 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation est un arrêt de rejet. En approuvant la décision de la cour d’appel de Toulouse, la haute juridiction s’est fondée sur l’article L. 641-9 du Code de commerce1. Elle justifie la recevabilité de l’action du liquidateur par la préservation de l’intérêt des créanciers couplée à la violation de la règle du dessaisissement. Autrement dit, elle met en avant le concept d’« intérêt collectif » des créanciers à travers la saisie collective du patrimoine du débiteur2.

3.  Le dessaisissement3 est un principe cardinal de la procédure collective. Pour un auteur4, c’est une notion incontournable du droit des entreprises en difficulté. Quoi qu’il en soit, le terme « dessaisissement » vient du verbe dessaisir qui signifie déposséder. Dans le cadre de la procédure collective, l’ouverture de la liquidation judiciaire dépossède le dirigeant des actes de gestion de la société tombée en faillite. Le fondement juridique de cette règle est d’encadrer les pouvoirs du dirigeant en les confiant à une tierce personne5 aux fins de protéger le patrimoine de la société en crise. La règle du dessaisissement peut aussi s’interpréter différemment : il est inadmissible de laisser le dirigeant gérer une société en crise alors qu’il a été incapable de la gérer lorsqu’elle était in bonis. Dans le cadre de l’affaire soumise devant la chambre commerciale de la Cour de cassation le 15 janvier 2025, la société P était-elle dans une situation financière obérée ? Aucun élément d’information ne permet de l’affirmer. Cependant, il est manifeste qu’elle a d’abord fait l’objet d’une procédure de redressement puis de liquidation judiciaire. Fort de cette situation, un liquidateur, en l’occurrence la société Egide, a été désigné pour assurer les opérations de liquidation. Cela étant, elle a informé l’établissement de monnaie électronique de l’ouverture d’une procédure de liquidation et a subséquemment demandé la clôture du compte et le versement du solde créditeur sur les comptes ouverts pour les opérations de liquidation, ce qui a été fait. Malheureusement, les sommes versées ne correspondant pas au solde créditeur tel qu’observé depuis la date du jugement d’ouverture, le liquidateur a lancé une action en inopposabilité. Cette action trouve droit d’être citée puisqu’elle est fondée sur l’article L. 641-9 du Code de commerce, « le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ».

4. Il convient de s’interroger à cette étape : l’action de la société Egide est-elle recevable ? La réponse est incontestablement affirmative. Elle a la qualité à agir : c’est une société investie dans la mission de liquidation désignée aux termes de ce jugement de procédure collective. Elle l’a également puisque son action vise à rendre inopposables à la procédure collective les opérations accomplies par l’établissement en violation du dessaisissement. In fine, la recevabilité de l’action de liquidation judiciaire a pour but de reconstituer le patrimoine de la société en crise en vue de désintéresser les créanciers de la société P. Sur la question de la recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sans conteste : « La recevabilité de son action n’est pas conditionnée à la démonstration préalable de l’existence d’une insuffisance d’actif, ni limitée au montant de cette dernière ».

5. De ce qui précède, il est judicieux de rappeler que l’action menée par un liquidateur judiciaire en vue de rendre inopposables les actes passés au mépris de la règle du dessaisissement est juridiquement fondée. Cette position réitérée de la haute juridiction ne présage-t-elle pas la construction d’un régime applicable aux actions du liquidation judiciaire ?

II – La construction d’un régime applicable aux actions du liquidateur judiciaire face aux actes accomplis en violation du dessaisissement

6.  Le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse a été formellement rejeté par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Ce rejet est significatif de la validité et/ou de la recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire à l’égard d’un acte passé en violation du dessaisissement. Cette recevabilité nous semble s’inscrire dans un processus de construction d’un régime applicable aux actions du liquidateur judiciaire face aux actes dits inopposables. Pour s’en convaincre, il suffit de faire état des arrêts rendus par la même juridiction sur les problématiques identiques. Dans le cadre d’une affaire soumise devant la chambre commerciale de la Cour en date du 23 mai 19956, les juges avaient été invités à se prononcer sur la problématique de la validité d’un acte de vente immobilier accompli après l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire d’une société. Se fondant sur l’article 152 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 réformé et aujourd’hui article L. 641-9 du Code de commerce, les hauts magistrats avaient sans ambiguïté relevé que « les actes juridiques accomplis par le débiteur en liquidation judiciaire, dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens, ne sont pas frappés de nullité, mais simplement d’inopposabilité à la procédure collective ». De manière implicite, le liquidateur judiciaire était investi de la mission d’agir en inopposabilité de cet acte de vente immobilière à la procédure collective. Une problématique identique a été soulevée dans le cadre du litige tranché par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 2 mars 20227. Deux sociétés sont en relation contractuelle dans le cadre des travaux d’aménagement. Un contractant est placé en liquidation judiciaire. Une banque se porte caution en faveur d’un des cocontractants au titre de la garantie applicable dans le cadre du marché. Le procès-verbal de la réception des travaux est établi le jour de la procédure de liquidation judiciaire d’une partie au contrat. L’autre partie assigne la banque pour paiement des sommes dues par l’entrepreneur. La banque a soulevé l’irrecevabilité de la demande au motif qu’elle avait été formée plus d’un an après la réception de l’ouvrage. S’est alors posée la problématique de la recevabilité du procès-verbal de réception de travaux et l’autorité habilitée à signer au vu de la faillite de la société. D’après la Cour de cassation, « seul le liquidateur peut se prévaloir de l’inopposabilité d’un acte juridique accompli par le débiteur au mépris de cette règle (dessaisissement), à condition que l’acte concerne les droits et actions inhérents à l’administration et à la disposition des biens dont le débiteur est dessaisi par l’effet du jugement de liquidation judiciaire ». Il serait loisible d’affirmer que la décision rendue le 15 janvier 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation constitue l’épilogue de la construction de ce régime. Aussi, à la question de savoir si l’action du liquidateur judiciaire vis-à-vis des actes accomplis en violation de la règle du dessaisissement est subordonnée à la démonstration préalable d’une insuffisance d’actif ou limitée au montant de cette dernière, la haute juridiction répond sans ambages par la négative. Elle note que les actes de disposition accomplis par le débiteur au mépris du principe du dessaisissement sont inopposables à la procédure collective dont le liquidateur peut se prévaloir « quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif ». L’expression « quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif » marque l’indifférence de la haute juridiction vis-à-vis de l’état liquidatif de la société en crise. Dans cette perspective, la violation de la règle du dessaisissement doit être purement et simplement sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte accompli.

7. Cette décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation emporte notre totale adhésion. Outre sa conformité à la loi, elle constitue l’aboutissement de la construction d’un régime des actions du liquidateur judiciaire face aux actes passés en violation du dessaisissement. C’est dire que, face aux actes dits inopposables, le liquidateur est, d’entrée de jeu, l’autorité investie8 de la mission de rendre ceux-ci inopposables à la procédure collective. Ensuite, il est la seule9 autorité à pouvoir s’en prévaloir. Enfin, il peut s’en prévaloir « quel que soit le montant du passif déclaré et de l’actif ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    D’après le I de l’article L. 641-9 du Code de commerce, « le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. »
  • 2.
    M. Sénéchal, L’effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, 2002, Litec.
  • 3.
    B. Ferrari, Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire – Contribution à l’étude de la situation du débiteur sous procédure collective, thèse, 2021, LGDJ, EAN : 9782275091648.
  • 4.
    B. Ferrari, « Recevabilité sans condition de l’action du liquidateur en inopposabilité d’un acte passé en violation du dessaisissement », Dalloz actualité, 3 févr. 2025.
  • 5.
    Un liquidateur judiciaire.
  • 6.
    Cass. com., 23 mai 1995, n° 93-16.930, P : D.1995, p. 413, note F. Derrida.
  • 7.
    Cass. 2e civ., 2 mars 2022, n° 20-16.787, FS-B : Dalloz actualité, 21 mars 2021, obs. B. Ferrari.
  • 8.
    Cass. com., 23 mai 1995, n° 93-16.930, P : D.1995, p. 413, note F. Derrida.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 20-16.787 : Rev. sociétés 2022, p. 377, obs. P. Roussel Galle.
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