Protection de la résidence de l’entrepreneur : droit commun ou droit spécial ?

Publié le 31/10/2017

Selon les systèmes, la protection, dans l’ensemble réduite, de la résidence principale résulte soit de dispositions de droit commun, relevant du droit de la famille ou du droit des biens, soit de dispositions particulières à l’entrepreneur, légales comme en France ou optionnelles.

La question qui se pose ici consiste à savoir si les outils éventuels de protection du logement de l’entrepreneur individuel résultent du droit commun ou trouvent leur source dans des dispositions de droit spécial.

En France, la protection de la résidence principale de l’entrepreneur individuel résulte de dispositions spéciales, insérées dans le Code de commerce et qui créent des exceptions au droit de gage général des créanciers issu du droit commun1.

Le droit commun permet tout de même une protection de la résidence de l’entrepreneur individuel, mais cette protection est bien plus faible. En outre, elle est indirecte et limitée aux entrepreneurs individuels mariés. Il s’agit de la protection offerte par l’article 215, alinéa 3, du Code civil, qui prévoit que les deux époux doivent donner leur consentement aux actes de disposition portant sur le logement familial, sous peine de nullité. Ainsi, par exemple, l’hypothèque du logement familial souscrite par le seul époux propriétaire du logement serait nulle.

Cette disposition est insuffisante à protéger les époux d’une saisie immobilière qui frapperait le logement familial, dès lors que cette saisie n’est pas la conséquence d’un acte de disposition mais qu’elle résulte seulement de l’exercice d’une activité professionnelle déficitaire.

Par ailleurs, l’époux commerçant n’a pas à demander une autorisation pour exercer son activité, il doit seulement, lors de son inscription au RCS, prouver qu’il a bien informé son conjoint des risques que l’activité fait planer sur les biens communs2, ce qui ne protège pas toujours la résidence du couple qui peut ne pas être commune.

Enfin, que ce soit pour les couples mariés, pacsés ou en concubinage, il existe une protection importante mais pas totale qui résulte de la possible indivision sur la résidence principale. Dans ce cas, les créanciers de l’époux entrepreneur sont des créanciers d’un indivisaire, et ils ne peuvent pas saisir la résidence principale, mais seulement provoquer le partage pour se payer sur la part revenant à leur débiteur3, ce qui permet au conjoint, au partenaire pacsé ou au concubin d’obtenir immédiatement sa part.

Le fondement de la protection de la résidence de l’entrepreneur individuel apparaît donc à travers son champ d’application : il ne s’agit pas d’une mesure de dignité mais, plus prosaïquement, d’encourager la création d’entreprise en diminuant les risques liés à une exploitation déficitaire. Cela justifie, par ailleurs, que les seuls créanciers concernés par l’insaisissabilité soient les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

En droit italien, la finalité principale du droit des entreprises en difficulté demeure la liquidation. Il n’y a pas en principe d’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel. Au contraire, le principe selon lequel tous les biens du débiteur sont appréhendés par la faillite est clairement affirmé4. Le logement est toutefois pris en compte. L’article 47 du décret royal du 16 mars 1942 prévoit, en effet, que la maison du failli appartient à la faillite, mais que, dans la mesure où elle est nécessaire pour l’habitation du débiteur et de sa famille, elle ne peut pas être distraite de cette utilisation jusqu’à la liquidation des actifs.

Le droit commun, en revanche, offre une protection importante, à travers l’institution facultative du fondo patrimoniale5, qui interdit en principe aux créanciers de saisir les biens y affectés. Ce dernier peut être constitué soit avant, soit pendant le mariage par l’un ou les deux conjoints par acte public, ou par un tiers, même par donation ou testament. Ce fondo patrimoniale est un véritable patrimoine d’affectation qui comprend, à l’actif, des biens mobiliers ou immobiliers nécessaires aux besoins de la famille et, au passif, les dettes en rapport avec les besoins directs de la famille. Depuis 2015, les créanciers antérieurs peuvent saisir les biens figurant dans le fondo patrimoniale, à condition d’agir dans l’année de la publication de sa constitution.

En cas de faillite, le fondo patrimoniale frauduleux pourra être remis en cause par une action paulienne6.

Le droit espagnol n’institue pas de protection particulière propre au droit de la faillite. En revanche, le droit commun comporte des mécanismes proches de ceux du droit français, comme la cogestion sur le logement familial, prévue par l’article 1320 du Code civil espagnol. Le conjoint est protégé, dans la mesure où la possibilité, pour les créanciers d’un époux, de saisir les biens communs est subsidiaire7. Quoi qu’il en soit, le droit commercial espagnol ne prévoit pas d’insaisissabilité de la résidence de l’entrepreneur individuel, sauf, depuis 2013, pour celui qui a adopté le nouveau statut d’entrepreneur à responsabilité limitée, pour autant que sa valeur ne dépasse pas le seuil fixé par la loi et moyennant le respect d’obligations diverses (publication et contrôle des comptes) et de l’absence de sanction.

Cette insaisissabilité est également surprenante pour un juriste nord-américain. Que ce soit au Canada ou aux États-Unis, la tendance est plutôt de protéger les dirigeants de société que les entrepreneurs individuels. Par ailleurs, si certains biens sont insaisissables, ce n’est jamais en raison de la qualité d’entrepreneur. Le Code civil du Québec assure une certaine protection du logement familial en exigeant l’accord du conjoint pour certains actes, sous peine de nullité si une déclaration de résidence familiale a été inscrite sur l’immeuble. Mais l’immeuble reste inclus dans le gage commun des créanciers en cas de faillite du propriétaire et peut être vendu par le syndic, sauf si le passif du failli est inférieur à 20 000 $8. La protection de la résidence des entrepreneurs est donc faible, et résulte seulement de dispositions de droit commun.

Dans certaines provinces canadiennes et certains États américains, la résidence est insaisissable si la valeur excédant le montant des hypothèques (equity, équité) est inférieure à un certain montant, variable d’une province ou d’un État à l’autre. Aux États-Unis, on parle de homestead exemption. Certains États, notamment la Floride et le Texas, offrent une protection très large à la résidence principale en n’imposant aucune valeur maximale à la valeur de la résidence mise à l’abri des créanciers de son propriétaire, tandis que divers autres États limitent la protection à un montant maximal de la valeur de l’équité dans la résidence9.

Ainsi, tout comme au Canada, le droit américain n’offre pas de protection particulière à la résidence en raison du statut d’entrepreneur de son propriétaire. La protection découlant des lois des États américains est essentiellement rattachée à la notion de homestead qui est liée à la notion de résidence principale et non au statut professionnel du propriétaire de la résidence.

Le droit argentin permet à l’entrepreneur de protéger sa résidence familiale en la constituant en « bien de famille », inscrit comme tel sur le registre de la propriété, et sans condition de valeur maximale désormais. La résidence demeure saisissable par les créanciers antérieurs à l’affectation, par les créanciers alimentaires et au titre des dépenses relatives à l’immeuble.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 2284 et C. civ., art. 2285.
  • 2.
    C. com., art. R. 123-121-1.
  • 3.
    C. civ., art. 815-17.
  • 4.
    D. royal n° 267/1942, 16 mars 1942, sur la « disciplina del Fallimento, del Concordato preventivo e della Liquidazione Coatta Amministrativa », art. 46.
  • 5.
    C. civ. ita., art. 167 à 171.
  • 6.
    V. supra les réf. cit. par Fabbrini M.
  • 7.
    C. civ. esp., art. 1373.
  • 8.
    V. supra, rapport Bélanger P. et les réf. cit.
  • 9.
    V. supra, les ex. cités par Bélanger P.
X