Résiliation du contrat de location-gérance et transfert des contrats de travail, la propriété du fonds n’est pas sa possession

Dès la notification de la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire, s’opère le retour du fonds dans le patrimoine du loueur. Ce dernier doit alors assumer la charge des contrats de travail conclus par le locataire-gérant, sauf ruine du fonds.
Lorsque le contrat de location-gérance s’éteint, la loi prévoit que le loueur doive poursuivre les contrats de travail en cours à la date d’expiration de la location. Mais lorsque le liquidateur judiciaire résilie le contrat de location-gérance, à quelle date le loueur doit-il poursuivre ces contrats ? C’est à cette question que la chambre sociale de la Cour de cassation répond.
La société Exploitation du festival, locataire-gérante d’un fonds de commerce appartenant à la société Horizon, a engagé sept salariés, dont Monsieur D., entre le 1er mai 2000 et le 8 juillet 2016. Le 24 janvier 2017, le redressement judiciaire de la société locataire-gérante a été converti en liquidation judiciaire. La société Isa, désignée liquidateur, a notifié, par lettre du 6 février 2017, à la société Horizon l’impossibilité de poursuivre le contrat de location-gérance et l’intention de restituer le fonds à compter du jour de la liquidation judiciaire. À la suite du transfert des contrats de travail, la société Horizon a refusé de verser les salaires de février et de mars 2017. Les salariés ont alors saisi la juridiction prud’homale. Le 15 octobre 2019, la société Horizon a été placée en redressement judiciaire.
Les salariés contestent les décisions du 5 novembre 2021 rendues par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui les ont déboutées de leurs demandes de fixation de la date du transfert des contrats de travail au 1er avril 2017. Les salariés font valoir « que, sauf ruine du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire du locataire gérant entraîne automatiquement le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire et le transfert des contrats de travail lesquels se poursuivent avec ce dernier ». Les salariés rappellent que la liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 24 janvier 2017, et que le courrier du liquidateur sur l’impossibilité de poursuivre le contrat de location-gérance et son intention de restituer le fonds à la société propriétaire au jour de la liquidation datait du 6 février 2017, avec mention du nom des salariés et du transfert des contrats de travail.
Les salariés reprochent à la cour d’appel d’avoir violé l’article L. 1224-1 du Code du travail en fixant la date de transfert des contrats de travail au 1er avril 2017, considérant que la société Horizon n’avait reçu les clés que le 31 mars 2017, empêchant toute exploitation avant le 1er avril 2017. C’est à ce titre que les salariés reprochent à la cour d’appel une violation de l’article L. 1224-1 du Code du travail. En effet, selon eux, la disposition n’est pas respectée car les juges du fond n’ont pas recherché, contrairement à ce que la disposition prévoit, si au moment de la rupture du contrat de location-gérance le fonds était inexploitable ou en ruine, seule circonstance faisant obstacle au transfert des contrats. Ils rappellent que l’effet de l’expiration du contrat de location-gérance est le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire, qui devait assumer les obligations inhérentes aux contrats.
Si le transfert des contrats de travail est au cœur de ces arrêts, c’est bien sur la date de ce transfert que répond la Cour de cassation. Ainsi à la question de la date du transfert des contrats de travail au propriétaire du fonds, la Cour de cassation devait au préalable connaître de la date à laquelle le fonds retourne à son propriétaire, en cas de résiliation de la location-gérance.
Après avoir reproduit l’article L. 1224-1 du Code du travail, la Cour de cassation répond sous la forme d’un attendu de principe. Ainsi « sauf ruine du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire entraîne, dès la date de notification de la résiliation, le retour du fonds dans le patrimoine du propriétaire, lequel doit dès cette date, assumer toutes les obligations du contrat de travail ». Partant, l’arrêt de la cour d’appel, qui avait fixé la date de transfert des contrats au regard de la mise en œuvre des opérations de liquidation, comme les inventaires et la réception des clés, doit être cassé.
Par cette solution, la Cour de cassation énonce que la poursuite des contrats de travail par le loueur s’opère à la date de notification de la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur (I) et ne manque pas de rappeler que propriété du fonds ne rime pas avec sa possession (II).
I – La poursuite des contrats de travail à la notification de la résiliation de la location-gérance
Annonce. Cette poursuite des contrats de travail par le loueur était une solution prévisible au regard de l’application faite par la chambre sociale de l’article L. 1224-1 du Code du travail (A). Néanmoins, cela ne va pas sans questionner sur l’interprétation faite par la Cour de cet article (B).
A – Le caractère prévisible d’une telle solution
L’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail en cas de liquidation judiciaire. Lors d’une liquidation judiciaire, la poursuite des contrats en cours relève du liquidateur en vertu de l’article L. 641-11-1, II, du Code de commerce. Néanmoins, ce même article au VI précise que ce n’est pas applicable aux contrats de travail, qui relèvent de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Les contrats de travail sont ainsi transmis au cessionnaire de l’entreprise ou d’un actif auxquels ils sont attachés1. Autrement dit, les contrats de travail relèvent des dispositions du droit commun et la liquidation judiciaire de l’employeur n’emporte pas résiliation des contrats de travail2. À ce titre, la Cour de cassation énonce que, par le seul effet de cet article, « les contrats de travail des salariés repris subsistaient avec le nouvel employeur, les licenciements antérieurement prononcés étant de nul effet »3. De même, le plan de cession, même autorisé par le juge-commissaire, ne fait pas échec à l’application de l’article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail4.
L’application de ce même article à la location-gérance. Continuant sa construction jurisprudentielle, la chambre sociale avait eu l’occasion d’énoncer l’existence d’un transfert de contrat de travail, en vertu de l’article L. 1224-1 du Code du travail, « d’une entité économique autonome caractérisé par la reprise de moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’activité »5. En l’occurrence, les deux sociétés avaient le même objet social, les mêmes locaux, avec la même marque, le même logo, la même ligne téléphonique et la même clientèle captée. C’est pour cela qu’il n’y avait pas de quoi être surpris de l’application de cet article au contrat de location-gérance. Ainsi, à la fin de la location-gérance s’opère le retour du fonds à son propriétaire, ce dernier doit alors assumer la charge des contrats de travail conclus avant ou pendant la location-gérance6.
L’inapplication de l’article, aucune raison évidente. Ainsi les procédures collectives ne faisant pas échec à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, et ce dernier s’appliquant déjà au contrat de location-gérance du fonds de commerce, il n’y avait pas de raison évidente à ce que l’application de la disposition soit écartée en cas de liquidation judiciaire du locataire-gérant. Mais si la Cour de cassation confirme clairement ce que sa construction jurisprudentielle laissait entrevoir, la date de la reprise des contrats de travail conclus par le locataire-gérant en liquidation judiciaire est désormais établie. Entre droit du travail, droit commercial et des affaires et droit des procédures collectives, la chambre sociale de la Cour de cassation joue de simplicité par l’application d’une règle d’application générale.
B – L’interprétation strictement extensive de l’article L. 1224-1 du Code du travail par permission de la loi
La modification de la situation juridique de l’employeur. Reprenant in extenso les termes de l’article L. 1224-1 du Code du travail, les juges rappellent la règle selon laquelle, s’il y a une modification dans la situation juridique de l’employeur, tous les contrats en cours au jour de la modification subsistent avec le nouvel employeur. En l’espèce, il y avait bien modification de la situation juridique de l’employeur : la liquidation du locataire-gérant et le refus notifié par le liquidateur judiciaire de l’impossibilité de poursuivre le contrat de location-gérance. La liquidation judiciaire de la société Exploitation du festival signifie qu’elle est en cessation des paiements et que son redressement est manifestement impossible. Cette société sera alors dissoute à la date du jugement de clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif7. Néanmoins, les sept contrats de travail survivent à la modification et doivent être mis à la charge du loueur du fonds.
L’interprétation de la Cour de cassation à l’article L. 1224–1 du Code du travail. Le syllogisme est ici clairement posé à des fins de compréhension de la solution. Mais au-delà de la pédagogie voulue par la Cour de cassation dans la construction de sa solution, il n’en demeure pas moins que la liquidation judiciaire et l’impossibilité de poursuivre le contrat de location-gérance ne font pas partie de l’énumération posée par l’article. Ainsi à la question de savoir si l’interprétation de l’article L. 1224-1 du Code du travail est une interprétation stricte, la réponse n’est pas évidente. L’article pose une énumération quant à la modification dans la situation juridique de l’employeur. Il est ainsi énoncé « notamment [la] succession, [la] vente, [la] fusion, [la] transformation du fonds [et la] mise en société ». Mais la liquidation judiciaire ne fait pas partie de cette énumération, la location-gérance est une modalité d’exploitation du fonds et la fin du contrat n’entraîne pas en soi une transformation du fonds8.
Le choix des termes par le législateur. La Cour de cassation a ici fait le choix d’user d’une possibilité donnée par le législateur. L’article L. 1224-1 du Code du travail contient une énumération qui ne constitue pas une liste exhaustive des modifications juridiques de l’employeur. L’emploi du terme « notamment », dans cette disposition est d’ailleurs utilisé par le législateur pour « apporter, sans viser l’exhaustivité, des précisions sur le contenu d’une réglementation [ou] sur des éléments particuliers à prendre en compte pour procéder à une appréciation ou une qualification »9. Cela va dans le sens de cette interprétation extensive, qui ne fait que sécuriser la situation contractuelle des salariés. Néanmoins, il est également possible de considérer que l’interprétation est stricte précisément par permission de la loi. Insérant une dose de souplesse dans cet article, le législateur tend à étendre le champ d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail bien au-delà de son énumération.
Si « un choix de langage [peut] être un choix de législation »10, il apparaît également que la Cour de cassation fonde sa solution sur le respect de la signification des termes. Il y a en effet « langage du droit parce que le droit donne un sens particulier à certains termes »11. C’est ainsi qu’il est rappelé par la chambre sociale que propriété ne rime pas avec possession.
II – La propriété et possession effective, l’absence de synonymie juridique
L’erreur des juges du fond. On ne peut pas démontrer d’une mauvaise foi du loueur, peu désireux de prendre en charge les salariés, ni d’un potentiel manque de précision de la part du liquidateur dans la lettre de résiliation du contrat de location. Mais il apparaît clairement que les juges de cassation ont voulu rappeler aux juges du fond que propriété ne rime pas avec possession. La date du transfert de la propriété du fonds et subséquemment la charge des contrats de travail s’opèrent à la notification de la résiliation (A), sauf exception propre aux règles du fonds de commerce (B).
A – La date de transfert à la date du retour en propriété
Le pragmatisme malvenu des juges du fond. Ce qui frappe est le pragmatisme, malvenu, de la cour d’appel. Les juges du fond avaient précisé que la date d’entrée en jouissance du fonds de commerce était conditionnée aux opérations d’inventaire propres à la liquidation judiciaire. Selon eux, la société Horizon loueuse ne pouvait pas reprendre le fonds le 6 février 2017, date de notification de résiliation du contrat de location-gérance. La cour d’appel faisait rimer propriété et possession par la mise en jouissance, subordonnant la date de reprise à la mise en œuvre des opérations de liquidation. Considérant que les clés du local n’avaient été reçues que le 31 mars 2017 par le propriétaire, ce dernier ne pouvait pas reprendre effectivement le fonds avant cette date. Mais ce qui est vrai pour la mise en jouissance ne l’est pas pour la mise en propriété.
La confusion dans la double appartenance. Le terme « propriété » a une double appartenance. Si effectivement, dans le langage courant, le terme est largement assimilé à la possession12 il n’en est pas moins que la propriété a un sens précis dans le langage juridique13. On se demande comment des juges du fond ont pu opérer une telle confusion. La censure de la Cour de cassation est évidente, considérant cette confusion faite entre le sens courant et le sens juridique du terme. Au surplus, il existe également une différence entre le retour en propriété du fonds et le retour des salariés au travail. Certes, ces derniers n’auraient pas pu revenir au travail avant le 1er avril 2017, mais cela était sans lien avec le retour en propriété du fonds.
La fixation calendaire de la reprise des contrats de travail. Ainsi selon la Cour de cassation, « (…) la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire entraîne, dès la date de notification de la résiliation, le retour du fonds dans le patrimoine du propriétaire (…) ». Autrement dit, le retour en propriété du fonds s’est opéré dès le 6 février 2017, date de notification de la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur. Cette date n’est pas donnée par la chambre sociale, car il revient aux juges du fond de statuer sur les questions atteintes par la cassation, et la date du retour en propriété en est une. De plus, la juridiction de renvoi n’a théoriquement aucunement l’obligation de se conformer à la solution de la Cour de cassation14, mais il faut reconnaître que cela va être particulièrement difficile pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée d’aller à l’encontre d’une telle décision publiée et à laquelle ont été joints six autres pourvois15.
B – La ruine du fonds ou l’application des règles propres au fonds
La transformation par la ruine du fonds. À l’appui du pourvoi, les salariés font valoir que l’article L. 1224-1 du Code du travail a été violé par les juges du fond, car ces derniers n’ont pas recherché, contrairement à ce que la disposition prévoit, si au moment de la rupture du contrat de location-gérance le fonds était inexploitable ou en ruine, seule circonstance faisant obstacle au transfert des contrats. Or, cet article énonce que lorsqu’il y a une modification dans la situation juridique de l’employeur, comme la transformation du fonds, tous les contrats de travail subsistent entre le nouvel employeur et les salariés. La disposition n’expose pas clairement la ruine du fonds comme exception à son application.
Application des règles relatives au fonds de commerce. Les juges de cassation prennent en considération la transformation du fonds par le prisme de sa ruine. Alors à la question de l’interprétation à donner de la ruine du fonds, l’article L. 1224-1 du Code du travail, d’application générale, est suspendu aux règles relatives au fonds de commerce. Ainsi la poursuite des contrats de travail ne s’opérera pas s’il n’y a plus de clientèle à exploiter causant la disparition du fonds16. De même, si le fonds est devenu inexploitable par la mauvaise gestion du locataire-gérant17, il ne peut pas retourner dans le patrimoine de son propriétaire avec le personnel y étant attaché, rendant l’article L. 1224-1 du Code du travail inapplicable et laissant la qualité d’employeur au locataire-gérant18.
Il revient donc à l’appréciation souveraine des juges du fond de connaître de l’état du fonds de commerce et ainsi du transfert des contrats de travail au nouvel employeur19. La ruine du fonds par application des règles propres au fonds de commerce sous-tend le transfert des contrats de travail de l’article L. 1224-1 du Code du travail, règle d’application générale.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. soc., 1er oct. 2003, n° 01-43685 : RJS 12/2003, n° 1367 ; B. Mercadal (dir.), « Sort des contrats de travail », in Mémento Droit commercial, 2024, Francis Lefebvre, n° 62735.
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2.
Cass. soc., 26 nov. 2015, n° 14-19263.
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3.
Cass. soc., 30 juin 1992, n° 90-44057 : Bull. civ. V, n° 427.
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4.
Cass. soc., 8 juill. 1992, n° 90-42590 : Bull. civ. V, n° 446, sous le visa de l’article L. 122-12, alinéa 2, devenu l’article L. 1224-1 du Code du travail.
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5.
Cass. soc., 27 janv. 2010, n° 08-44903 : RJS 04/2010, n° 313.
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6.
Cass. soc., 2 juill. 1981, n° 80-10644 : Bull. civ. V, n° 634 – Cass. soc., 5 nov. 2009, n° 08-44982. Il en est de même si le contrat de location-gérance est annulé : Cass. soc., 29 juin 2017, n° 16-12622.
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7.
La dissolution de la société peut ne pas intervenir à la clôture de la liquidation, mais dans l’hypothèse rare de l’extinction du passif.
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8.
Sauf disparition du fonds.
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9.
Le Conseil d’État et le Secrétariat général du gouvernement, Guide de légistique, 3e éd., 2017, p. 300 : https://lext.so/rx76wK.
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10.
G. Cornu, « Le langage du législateur », in L’art du droit en quête de sagesse, 1998, Paris, PUF, p. 289.
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11.
G. Cornu, Linguistique juridique, 2e éd., 2000, Paris, Montchrestien, p. 21.
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12.
« Propriété », in Le Petit Robert de la langue française, A. Rey et J. Rey-Debove (dir.), 2024, Paris, p. 2049.
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13.
C. civ., art. 544 : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
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14.
Exception faite des arrêts rendus par l’assemblée plénière.
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15.
En raison de leur connexité, ont été joints les pourvois Cass. soc., 3 avr. 2024, nos 22-10261, 22-10262, 22-10263, 22-10264, 22-10265, 22-10266 et 22-10267.
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16.
Cass. com., 17 déc. 2013, n° 12-22167 – Cass. com., 9 juill. 2019, n° 18-12373.
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17.
Cass. soc., 6 nov. 1991, n° 90-41600 : Bull. civ. V, n° 474.
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18.
Cass. soc., 24 oct. 1989, n° 87-41679 – Cass. soc., 7 nov. 1990, nos 88-45196 et 88-45202 : Bull. civ. V, n° 519.
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19.
Cass. soc., 10 juill. 2007, n° 06-40594 : RJS 04/2010, n° 313.
Référence : AJU013m3
