Retour sur l’opposabilité de l’insaisissabilité de l’immeuble du débiteur au liquidateur
La Cour de cassation réaffirme le principe suivant lequel le juge-commissaire excède son pouvoir s’il autorise le liquidateur judiciaire à poursuivre le bien immobilier du débiteur lorsque ce bien fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité publiée avant l’ouverture de sa procédure collective.
Cass. com., 22 mars 2016, no 14-21267, FS–PB
1. Un liquidateur judiciaire peut-il procéder à la vente de l’immeuble de l’entrepreneur faisant l’objet d’une déclaration notariée d’insaisissabilité antérieure à l’ouverture de la procédure collective de celui-ci ? La question n’est pas nouvelle. En effet, elle est, une fois de plus, soulevée devant la chambre commerciale de la Cour de cassation. Cette dernière, par arrêt du 22 mars 20161, répond par la négative en relevant que le juge-commissaire excède son pouvoir en autorisant le liquidateur judiciaire à procéder à la vente d’un immeuble insaisissable. L’analyse de cette décision nécessite de présenter les faits du litige.
2. M. X procède à la déclaration notariée d’insaisissabilité de sa maison d’habitation le 29 novembre 2004. Cette déclaration est publiée au bureau des hypothèques le 4 janvier 2005. Le 16 mars 2011, il fait l’objet d’une procédure collective et est mis en liquidation judiciaire. Le liquidateur désigné saisit le juge-commissaire afin d’être autorisé à poursuivre la vente de l’immeuble de M. X. L’affaire est portée devant la cour d’appel de Bourges. Cette juridiction infirme l’ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé l’organe de la procédure collective à poursuivre la vente de l’immeuble. Le liquidateur judiciaire forme alors un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Bourges devant la chambre commerciale de la Cour de cassation. Selon cet organe, un des nombreux créanciers dont il représente la collectivité des intérêts possède une créance antérieure à la déclaration d’insaisissabilité. Dans cette mouvance, agissant dans l’intérêt collectif des créanciers, l’insaisissabilité de l’immeuble ne saurait lui être opposable d’autant plus qu’il a obtenu du créancier à qui l’insaisissabilité est inopposable l’accord pour la mise en vente du bien. La Cour de cassation rejette ledit pourvoi en rappelant clairement que « le juge-commissaire ne pouvant, sans excéder ses pouvoirs, autoriser le liquidateur à procéder à la vente d’un immeuble dont l’insaisissabilité lui est opposable ». Par conséquent, d’après la Cour de cassation, la déclaration d’insaisissabilité publiée avant l’ouverture d’une procédure collective emporte opposabilité de celle-ci au liquidateur judiciaire. Cette décision rappelle l’opposabilité au liquidateur judiciaire de l’insaisissabilité de l’immeuble du débiteur (I) dès lors que cette insaisissabilité est effectuée avant le jugement d’ouverture. Cette décision ne déroge pas à la ligne tracée par la haute juridiction sur la portée de l’opposabilité (II).
I – L’opposabilité de l’insaisissabilité de l’immeuble du débiteur au liquidateur judiciaire
3. L’insaisissabilité2 est, par essence, une mesure de protection indéniable du bien immobilier de toute personne physique. Consacrée en 2003 par la loi Dutreil3 en faveur des entrepreneurs, l’insaisissabilité a vu son efficacité renforcée au fil des années4. Le renforcement de cette efficacité a atteint son épilogue avec la loi Macron5 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, l’insaisissabilité de la résidence principale est de plein droit6. Ce qui signifie qu’elle est soustraite à la formalité de la déclaration notariée. Peut-on alors souscrire à la thèse suivant laquelle aujourd’hui l’insaisissabilité de l’immeuble d’un débiteur est d’une efficacité absolue ? La réponse nous semble affirmative. Toutefois, le caractère absolu de cette efficacité demeure problématique lorsque le débiteur est soumis à une procédure collective et singulièrement une procédure de liquidation judiciaire. Face à cette problématique, la chambre commerciale de la Cour de cassation adopte une position ferme et ce, depuis quelques années. D’après cette dernière, le juge-commissaire excède ses pouvoirs lorsqu’il autorise le liquidateur à procéder à la vente d’un immeuble dont l’insaisissabilité lui est opposable. Ceci dit, la déclaration d’insaisissabilité faite par une personne et publiée avant l’ouverture de sa procédure collective est opposable au liquidateur.
4. La lecture de l’arrêt de la Cour de cassation permet de comprendre qu’elle s’est fondée sur un moyen opérant : l’antériorité de la publication de la déclaration d’insaisissabilité au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur. À travers cette décision, la Cour de cassation donne à la déclaration notariée d’insaisissabilité sa pleine efficacité juridique. Au regard des faits du litige, la déclaration est réalisée et publiée entre 2004 et 2005 et la mise en liquidation judiciaire de M. X est intervenue en 2011, soit une déclaration réalisée près de sept années plus tôt. Autrement dit, la déclaration d’insaisissabilité faite par devant notaire et publiée au bureau des hypothèques a précédé l’ouverture de la liquidation judiciaire de M. X. Cette déclaration ne saurait, à ce titre, être remise en cause par le juge-commissaire sous le prétexte de l’action du liquidateur en faveur de l’intérêt collectif des créanciers (que ce soient des créanciers antérieurs ou des créanciers postérieurs à la déclaration). L’antériorité de la déclaration d’insaisissabilité par rapport à l’ouverture de la procédure de liquidation est un élément suffisant pour garantir son efficacité juridique. Aussi, face aux aléas et aux éventuelles difficultés des activités de l’entrepreneur, cette insaisissabilité peut être appréhendée comme un acte de gestion préventif. En d’autres termes, cette insaisissabilité est destinée à protéger « le chef d’entreprise qui a fait a priori le nécessaire pour « sauver l’immeuble » dans le cas où ses affaires tourneraient mal »7. L’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité de la maison d’habitation de M. X peut, tout aussi, être appréhendée sous l’angle des sûretés foncières comme une mise en lumière de la sécurité inhérente au procédé de la publication des actes au service de la publicité foncière8.
5. Quoi qu’il en soit, au-delà de constituer une sécurité juridique pour le déclarant, l’opposabilité de l’insaisissabilité de son immeuble aux poursuites du liquidateur constitue la position constante de la Cour de cassation.
II – Une position constante de la chambre commerciale de la Cour de cassation
6. Le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire de M. X contre l’arrêt de la cour d’appel de Bourges a été formellement rejeté par les juges de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Ce rejet, significatif de l’annulation de l’ordonnance du juge-commissaire faisant droit à la demande du liquidateur de poursuivre la vente de l’immeuble du débiteur, emporte une conséquence majeure : la consolidation de la jurisprudence établie par la Cour de cassation sur la question de droit soulevée. Cependant, la ligne tracée par la haute juridiction sur la question de l’opposabilité justifie de s’interroger sur le caractère équitable de cette position constante.
7. C’est un truisme d’affirmer que l’arrêt du 22 mars 2016 de la chambre commerciale de la Cour de cassation constitue une jurisprudence constante. Pour s’en convaincre, il faut tout d’abord faire référence à l’arrêt de principe rendu par la même juridiction le 28 juin 20119. Les termes de ce litige10 avaient mis en exergue la même question de droit que celle présentement analysée : une déclaration notariée d’insaisissabilité était-elle opposable en cas de procédure collective au liquidateur judiciaire ? Par deux attendus, la Cour de cassation tranchait de manière claire la question soulevée. Elle notait explicitement que : « Attendu que le débiteur peut opposer la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectuée en application du deuxième de ces textes (C. com., art. L. 526-1), avant qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire, en dépit de la règle du dessaisissement prévue par le premier (C. com., article L. 641-9) ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’immeuble appartenant à M. et Mme D ayant fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité publiée avant l’ouverture de la liquidation judiciaire de M. D, le juge-commissaire ne pouvait autoriser, sous peine de commettre un excès de pouvoir, le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques de cet immeuble dont l’insaisissabilité lui était opposable, la cour d’appel a violé les textes et les principes susvisés ».
8. La constance de la position de la haute juridiction s’observe ensuite dans l’arrêt rendu le 13 mars 201211. Aux termes des faits quasi-identiques mettant en exergue la même question de droit, les juges de la Cour de cassation affirmaient que « la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant ; qu’en conséquence, le liquidateur n’a pas qualité pour agir, dans l’intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité ».
9. La constance de la position de la Cour de cassation se matérialise enfin dans le cadre de l’arrêt rendu le 24 mars 201512. Tout en faisant fi de l’arrêt inédit du 18 juin 201313 de la Cour de cassation reprenant la même solution, nous soulignons qu’en mars 2015 la haute juridiction n’a pas dérogé à la ligne qu’elle a tracée depuis le 28 juin 2011. En effet, sur la question de l’opposabilité de l’immeuble insaisissable du débiteur, elle a rappelé d’une part l’excès de pouvoir commis par juge-commissaire et, d’autre part, spécifié l’opposabilité de l’insaisissabilité au liquidateur sur le fondement de l’antériorité de sa déclaration à la procédure collective.
10. Au regard de ce qui précède, une interrogation mérite d’être soulignée : cette jurisprudence désormais constante de la Cour de cassation est-elle équitable pour tous les créanciers déclarés à la procédure ? La réponse nous semble négative. Car, si l’opposabilité de l’insaisissabilité au liquidateur s’avère pleinement efficace pour le débiteur, elle est inique pour certains créanciers spécifiquement ceux dont la créance est antérieure à la déclaration d’insaisissabilité. On peut évoquer à titre illustratif le cas de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre Loire dont la créance était antérieure à la déclaration d’insaisissabilité de la maison d’habitation de M. X. Malheureusement, ce créancier14, comme d’autres dans les affaires précédentes, s’est vu opposer l’insaisissabilité. Ceci démontre aisément le caractère inéquitable de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Espérons que l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale consacrée en août 2015 parviendra à remédier à cette iniquité à l’avenir !
Notes de bas de pages
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1.
Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-21267 : D. 2016, p. 702 ; JCP E 2016, n° 14.
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2.
La définition de l’« insaisissabilité » est proposée par le Vocabulaire juridique, association Henri Capitant. C’est une protection spéciale découlant de la loi qui met en tout ou partie certains biens d’une personne hors d’atteinte de ses créanciers, en interdisant que ces biens soient l’objet d’une saisie dans les limites et les exceptions déterminées par la loi.
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3.
L. n° 2003-721, 1er août 2003, pour l’initiative économique.
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4.
On peut citer entre autres la loi n° 2008-658 dite loi de modernisation de l’économie qui a permis l’extension du domaine de la déclaration d’insaisissabilité.
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5.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, institue plusieurs mesures économiques parmi lesquelles l’insaisissabilité automatique de la résidence principale de l’entrepreneur individuel.
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6.
V. à ce sujet, Gamaleu Kameni C., « L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel : opportunité ou risque ? », Gaz. Pal. 19 janv. 2016, n° 255z6, p. 17 ; Legrand V., « Faut-il supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité ? », D. 2015, p. 2388 ; Legrand V., « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné de la loi Macron ? », LPA 9 sept. 2015, p. 6.
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7.
Pérochon F., note sous Cass. com., 28 juin 2011 : JCP E 2011, nos 30-33, n° 4.
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8.
Le bureau des hypothèques a été remplacé par la conservation des hypothèques. Aujourd’hui, on parle de service de publicité foncière.
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9.
Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15482, arrêt n° 687, FS-PBRI : Bull. civ. IV, n° 109 ; D. 2011, Actu., p. 1751, obs. Lienhard A. ; D. 2012, Pan., p. 1573, obs. Crocq P. ; D. 2012, Pan., p. 2196, obs. Lucas F.-X. et Le Corre P.-M. ; JCP E 2011, 1551, note Pérochon F. ; JCP E 2011, 375, aperçu rapide Lebel C. ; LEDEN juill. 2011, p. 1, obs. Lucas F.-X. ; Rev. sociétés 2011, p. 526, obs. Roussel Galle P.
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10.
Un entrepreneur individuel, marié sous le régime de la communauté, procède à la déclaration d’insaisissabilité de son immeuble d’habitation. Après l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à son encontre, le juge-commissaire autorise le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques de son bien immobilier. L’ordonnance du juge-commissaire est, dans un premier temps, annulée par le tribunal compétent et, dans un second temps, confirmée par la cour d’appel. L’arrêt de la cour d’appel est cassé et annulé par la Cour de cassation qui relève l’excès de pouvoir du juge-commissaire en autorisant la vente d’un bien déclaré insaisissable.
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11.
Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15483 : Bull. civ. IV, n° 53 ; D. 2012, Actu., p. 807, obs. Lienhard A. ; D. 2012, Pan., p. 1573, obs. Crocq P. ; D. 2012, Pan., p. 2196, obs. Lucas F.-X. et Le Corre P.-M. ; Rev. sociétés 2012, p. 394, obs. Henry L. C. ; JCP E 2012, 1325, note Le Corre P.-M.
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12.
Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-10174 : D. 2015, Actu., p. 799, obs. Lienhard A. ; D. 2015, Jur., p. 1302, note Borga N.
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13.
Cass. com., 18 juin 2013, n° 11-23716 : D. 2013, Actu., p. 1618, obs Lienhard A.
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14.
Il est important de souligner que dans l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2016, la déclaration d’insaisissabilité a été inopposable au créancier, Cass. com., 5 avr. 2016 : D. 2016, p. 837, obs. Lienhard A.