Essonne (91)

Sonia Arrouas : « Notre activité au TC d’Évry est clairement en recrudescence » !

Publié le 01/02/2023

2021 sonnait comme une année de transition, la crise Covid semblait derrière nous. Mais 2022 s’est avérée être finalement une année de difficultés pour le tissu économique local. L’Essonne n’y a pas échappé. Sonia Arrouas, présidente du tribunal de commerce d’Évry (91) a présenté son bilan le 10 janvier dernier : son tribunal a enregistré 60 187 inscriptions au registre du commerce (une baisse de 50 %), 3 436 radiations (plus de trois fois le chiffre de 2021) et 12 266 créations d’entreprises (soit une légère augmentation). À ses yeux, « préserver l’emploi et la structure économique d’un département est l’une des missions fondamentales d’un bon tribunal de commerce ». Pour Actu-Juridique, elle revient sur les faits marquants de 2022.

Actu-Juridique : En quelques mots, comment décririez-vous le bilan de l’année 2022 ?

Sonia Arrouas : Il n’y a aucun doute : notre activité est en recrudescence. Cette année n’a cessé de voir le nombre de procédures collectives augmenter. Lors de la prochaine audience, ce sont 38 dossiers qui seront traités en une audience, contre 6 ou 8 habituellement (en 2022, le TC d’Évry a ouvert 659 procédures collectives, soit une augmentation de plus de 36 %, NDLR). Cela est représentatif de la progression à laquelle nous assistons. Ce matin encore, les juges en charge de la prévention sont arrivés les bras chargés de dossiers. On est donc en augmentation constante et je pense que cette tendance va continuer sur toute l’année 2023 et même au-delà.

De la même manière, les rendez-vous que des chefs d’entreprise prennent avec moi en tant que présidente se sont multipliés : de 1 ou 2, ils sont passés à 15. On voit arriver des gens qui ne peuvent pas rembourser les PGE. Les liquidations judiciaires directes sont en forte hausse : je vois de plus en plus de vies basculer et le moral qui s’écroule avec. Je pense d’ailleurs que l’Apesa (cellule d’aide psychologique aux entrepreneurs) va avoir plus de travail que l’année dernière…

Actu-Juridique : Justement, l’année dernière, on a cru éviter le fameux « mur de faillites » tant redouté. Y est-on ?

Sonia Arrouas : L’année dernière, nous étions dans un contexte différent, celui du « quoi qu’il en coûte » ! Aujourd’hui, les entreprises font face à de multiples difficultés. D’abord, les entrepreneurs me le disent : ils n’arrivent plus à recruter, et ce, quel que soit le secteur, le bâtiment, le secteur paramédical… Ensuite, ils font face à la crise énergétique. J’ai de ce fait écrit à Bercy en expliquant que la situation n’était plus tenable pour les entreprises quand elles doivent payer des factures cinq fois plus chères que d’habitude. Des mesures concernant les TPE devraient permettre de limiter l’impact de la hausse de l’énergie. Enfin, la hausse du prix des matières premières les fragilise, car ils ne peuvent pas nécessairement répercuter cette hausse sur leurs clients, tout en n’ayant pas davantage de commandes pour autant.

Même les entreprises qui allaient bien l’année dernière souffrent aujourd’hui, c’est cela qui m’inquiète. Après la crise du Covid, elles avaient pu relancer leur activité, retrouver l’espoir de renouer avec la rentabilité, mais elles aussi se retrouvent face à des problèmes de taille. Que l’on soit un citoyen ou une entreprise, la hausse de certains produits pose soucis : les salaires n’augmentent pas parallèlement.

Actu-Juridique : Dans ces conditions, les tribunaux de commerce ne sont-ils pas encore plus nécessaires que d’ordinaire ?

Sonia Arrouas : Nous allons devoir gérer de très gros soucis et je crois que l’on va avoir besoin des tribunaux de commerce encore plus que d’habitude. Moi, ce que je veux, c’est sauver le tissu économique local ! Si le tribunal ne joue que le rôle de caisse d’enregistrement des liquidations judiciaires, cela ne m’intéresse pas : il faut qu’il puisse réellement redresser des entreprises.

Actu-Juridique : Comment voyez-vous le rôle des tribunaux de commerce ?

Sonia Arrouas : Je suis pour les sanctions quand les chefs d’entreprise outrepassent les règles, mais là, ce n’est pas de leur faute… Ils se sont pris successivement la crise du Covid, où l’on ne pouvait plus bouger, où l’économie était stoppée. Au moment où cela commence à aller mieux, ils gèrent la crise de l’énergie, la guerre en Ukraine, la hausse phénoménale des matières premières… Je ne fais que prôner de tout mettre en œuvre pour sauver les entreprises.

Actu-Juridique : Justement, comment mettre le plus de chances possible de son côté afin d’y parvenir ?

Sonia Arrouas : La prévention est essentielle pour trouver des solutions avec les administrateurs et mandataires judiciaires, afin de pouvoir étaler la dette ou négocier avec un fournisseur. Il nous faut arriver le plus tôt possible pour éviter d’affronter un amoncellement de dettes, beaucoup plus difficile à résoudre. Parfois même, on ne peut plus y faire grand-chose. La prévention permet d’assister les chefs d’entreprise, de les orienter, de leur faire trouver les bonnes solutions. Car une entreprise sur le carreau, cela entraîne la chute de dizaines de familles. Notre rôle est essentiel, pour l’économie locale comme nationale.

Actu-Juridique : L’année dernière, vous aviez réalisé un livret sur la prévention. Une cellule de 4 juges spécialisés est en place pour renforcer cette action. Cela a-t-il fonctionné ?

Sonia Arrouas : Ça a l’air de fonctionner, puisque nous avons une très nette hausse des demandes de prévention. Ma question est : « dans quel état de santé les 15 chefs d’entreprise que je vais prochainement recevoir en rendez-vous vont-ils arriver ? ». Ce qui m’intéresse, c’est quand les dirigeants arrivent « malades » mais pas « morts » et qu’on peut leur fournir un traitement qui va les soigner puis les sauver.

Actu-Juridique : Sentez-vous le moral des chefs d’entreprise que vous côtoyez flancher ?

Sonia Arrouas : Oui. Je viens de recevoir le mail d’une femme qui m’a écrit : « J’ai toujours été une battante, mais là, je n’en peux plus. Je demande à vous rencontrer pour voir quelles solutions envisager, mais je n’ai plus les moyens de lutter ». Épuisés, voilà, c’est le terme…

Actu-Juridique : Comment envisagez-vous les rendez-vous ? Comment accueillir la souffrance de ces entrepreneurs et si possible, assainir leur société ?

Sonia Arrouas : En tant que présidente d’un tribunal de commerce, j’accueille les doléances avec beaucoup d’écoute. C’est dans ces moments-là que l’on peut prendre la dimension du problème. Si en tant que président de tribunal de commerce, on est en défense, en position « tribunal » versus « justiciable », il y a des choses qu’ils ne vont pas nous dire. On a besoin d’avoir un discours de confiance envers les chefs d’entreprise. C’est lorsqu’ils se sentent en confiance qu’ils peuvent avouer certaines choses et évoquer les véritables problèmes qu’ils rencontrent, afin que l’on puisse trouver les solutions adéquates. Si vous êtes devant la face émergée de l’iceberg et qu’en creusant vous comprenez qu’il y a d’autres problèmes, les traitements proposés ne seront pas les mêmes…

Actu-Juridique : Que dire des créations d’entreprises, moins dynamiques qu’en 2022 ?

Sonia Arrouas : Les créations d’entreprises se réalisent dans un contexte particulier, mais au moins cela veut dire que ces gens y croient encore. Et puis, c’est du sang neuf aussi pour le tissu économique local. Bien sûr, on espère qu’elles vont continuer. Mais elles devront s’adapter constamment. Que l’on vende des fenêtres, des tapis ou des tableaux, les entrepreneurs font face aux mêmes problèmes. Dans la restauration, il n’est pas rare de voir des établissements fermer une journée par semaine pour limiter les frais de fonctionnement, ou encore des industries – comme celle du verre – qui ne font fonctionner leurs fours qu’avec parcimonie. Mais cela crée des délais dans la production et donc des mécontents au bout de la chaîne. Tout cela entraîne de nouveaux problèmes en cascade, d’où la mission des tribunaux de commerce, fins connaisseurs du monde de l’entreprise. J’ai toujours dit d’ailleurs qu’un bon juge consulaire connaît non seulement le droit mais surtout bien le monde de l’entreprise, dont les procédures collectives. C’est en connaissant tous les méandres techniques et tous les revers possibles que les sociétés peuvent traverser qu’on peut sauver les entreprises.

Actu-Juridique : Cette situation inédite vous incite-t-elle à des réunions spécifiques au sein de votre tribunal ?

Sonia Arrouas : Oui ! J’ai justement prévu une réunion avec les juges pour trouver des directives communes. Ces derniers se posent beaucoup de questions. Il faut qu’on ait une politique commune et que tout le monde appréhende le sujet de la même manière.

Actu-Juridique : Enfin, depuis décembre dernier, vous n’êtes plus à la tête de la Conférence générale des juges consulaires. Pourquoi ?

Sonia Arrouas : Je précise que je n’ai pas démissionné, je me suis mise en retrait. En effet, je n’aime pas la façon qu’ont certains de gérer leur préhension au pouvoir, cela ne correspond pas à mes valeurs. Je préfère de loin régler les problèmes de façon transparente et non par lettres anonymes interposées. Mais je prendrai prochainement la décision de rester à la tête de cette organisation ou de partir.

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