Transition écologique et entreprises en difficulté

Publié le 22/06/2022
Illustration d'une ampoule dessinée au dessus d'une jeune plante. Image conceptuelle de l'écologie
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Les finalités traditionnelles du droit des entreprises en difficulté n’ont pas été repensées depuis la loi du 25 janvier 1985. La volonté du nouveau gouvernement de mettre en œuvre la transition écologique constitue une occasion d’intégrer des dispositions en matière environnementale au sein du livre VI du Code de commerce.

La préservation de l’environnement et de la biodiversité s’impose progressivement dans tous les pans du droit et en particulier en matière de droit des sociétés. Le droit des entreprises en difficulté apparaît pourtant en retard alors qu’il pourrait faire de l’intégration de la transition écologique l’une des finalités du livre VI du Code de commerce.

Finalités traditionnelles du droit des entreprises en difficulté

Les finalités traditionnelles du droit des entreprises en difficulté n’ont pas été repensées depuis la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 et ont peu évolué. L’arrêté d’un plan visant à la continuité de l’exploitation (plan de sauvegarde ou de redressement) ou aboutissant au transfert judiciaire de l’entreprise (plan de cession) doit ainsi répondre aux critères classiques du maintien de l’emploi, du désintéressement des créanciers et de la pérennité de l’activité.

Le respect de l’environnement, un marqueur récent du droit des sociétés

En parallèle, d’autres pans du droit ont, quant à eux, connu une évolution marquée par la prise en considération d’enjeux environnementaux dans le prolongement de l’évolution de la société civile et de l’avènement du développement durable.

Outre le devoir de vigilance dans les grands groupes, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’invite par exemple de plus en plus dans le Code du travail et le livre II du Code de commerce.

Le droit des entreprises en difficulté semble, lui, s’être figé dans les années 1980 et l’aspect environnemental apparaît comme le grand absent du livre VI du Code de commerce.

Atténuons nos propos car l’article 24 de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 ainsi que le décret n° 2005-1469 du 29 novembre 2005 ont tout de même instauré un bilan environnemental dans le cadre des opérations d’audit de l’entreprise réalisées par l’administrateur judiciaire (bilan économique, social et environnemental).

La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et les textes ultérieurs de réforme du droit des entreprises en difficulté, dont la récente ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, n’ont par ailleurs pas apporté de modifications particulières en matière environnementale.

Réglementation relative aux ICPE

C’est surtout sous le prisme de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) que s’est développé le droit de l’environnement décliné au sein des entreprises en difficulté.

Les opérations de cessation d’activité d’une installation classée en cas de procédure collective n’échappent pas à la réglementation applicable en droit commun (mise à l’arrêt définitif, mise en sécurité, réhabilitation du site). Autrement dit, le livre VI du Code de commerce ne déroge pas aux dispositions du livre V du Code de l’environnement.

Financement des opérations de dépollution

Les professionnels de l’insolvabilité rencontrent des difficultés notamment concernant l’évaluation des actifs pollués à vendre mais aussi pour financer les opérations de dépollution, compte tenu des difficultés de l’entreprise et de l’absence de trésorerie. La valeur des biens varie en effet en fonction de l’utilisation ultérieure effectuée par les candidats potentiels et l’obligation de dépollution (et les coûts qui en découlent) dépend de l’usage du cessionnaire.

La réhabilitation des friches permet de revaloriser le patrimoine industriel de certaines régions. Sur le plan financier, 100 M€ supplémentaires ont été alloués pour 2022 au fonds friches issu du plan de relance, portant ainsi l’enveloppe globale à 750 M€.

La création d’un fonds spécifique, dédié aux cessations d’activité des entreprises soumises à une procédure collective, financé par les sociétés polluantes in bonis (« mutualisation » du passif environnemental), favoriserait la mise en œuvre d’opérations rapides de dépollution. A minima, un fléchage d’une partie du fonds friches vers les entreprises en difficulté serait peut-être opportun.

Cession d’entreprise

C’est certainement lors de la cession d’entreprise que les pistes d’évolution sont les plus importantes. Les articles L. 642-1 et suivants du Code de commerce ne prennent pas en effet en considération l’absence d’atteinte à l’environnement comme l’un des critères de choix du cessionnaire.

L’article 128 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité a toutefois modifié très légèrement l’article L. 642-2 du Code de commerce en précisant que l’offre doit comporter les modalités de financement des garanties financières envisagées lorsqu’elles sont requises au titre des articles L. 516-1 et L. 516-2 du Code de l’environnement.

Le respect des obligations environnementales par les candidats dans le cadre de leurs propres activités devrait être plus largement l’un des critères de choix de l’acquéreur par le tribunal.

Le représentant du ministère public, garant de l’ordre public environnemental, peut bien sûr émettre des réquisitions prenant en considération ces éléments mais inscrire ces mesures dans le texte permettrait de graver dans le marbre cette évolution en adéquation avec celle d’autres pans du droit.

Conditionner certaines aides d’État octroyées en cas de reprise d’entreprise au respect d’engagements en matière environnementale et climatique constitue aussi une autre piste de réflexion permettant le maintien d’activités industrielles innovantes et moins polluantes.

Bien-être animal

De plus en plus présent dans le Code de l’environnement et au sein du Code rural et de la pêche maritime, le bien-être animal apparaît cependant curieusement absent du livre VI du Code de commerce. Il arrive pourtant que des exploitations agricoles, des abattoirs, des haras ou encore des chenils connaissent des difficultés les conduisant, le cas échéant, devant le tribunal judiciaire ou le tribunal de commerce. Une modification des articles L. 642-1 et suivants du Code de commerce serait peut-être opportune en précisant que les acquéreurs s’engagent à respecter les besoins inhérents à l’espèce en matière de soins et de nourriture.

Moment politique

Le président de la République a annoncé récemment son souhait de faire de la planification écologique un enjeu majeur du quinquennat. Outre un secrétaire général à la planification écologique, deux ministres sont désormais chargées respectivement de la transition écologique et de la transition énergétique. N’est-ce pas une occasion historique d’intégrer la préservation de l’environnement et de la biodiversité comme l’une des finalités du droit des entreprises en difficulté ?

L’objectif n’est évidemment pas de générer des normes contraignantes conduisant à faire « fuir » par exemple des acquéreurs potentiels. Mais pour conserver son attractivité au niveau international, le droit des entreprises en difficulté français devrait appréhender les problématiques liées à la transition écologique. Car c’est bien d’une question d’intérêt général dont il s’agit et c’est peut-être aussi le bon moment politique pour s’emparer du sujet.

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