Procédure civile

Établissement public industriel et commercial – compétence du juge judiciaire

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 8 juill. 2016, no 2015042315

SNCF Réseau est un établissement public national à caractère industriel et commercial qui, dans le cadre de ses missions de gestionnaire du réseau ferré national attribue aux entreprises de transport ferroviaire des « sillons horaires » se définissant comme la capacité d’infrastructure nécessaire pour faire circuler un train sur un trajet et à un horaire donnés. Euro Cargo Rail (ECR) est une entreprise ferroviaire offrant des services de fret. Elle estime avoir, en 2012 et 2013, subi des préjudices du fait des fréquentes suppressions et modifications par SNCF Réseau des sillons qui lui étaient attribués.

Assigné en dommages-intérêts, SNCF Réseau soulève in limine litis l’incompétence du tribunal au profit de la juridiction administrative.

Le tribunal, avant dire droit, déboute SNCF Réseau de son exception et se déclare compétent aux motifs suivants :

« Le tribunal relèvera tout d’abord que les pièces produites et relatives à la doctrine et la jurisprudence, établissent :

  • qu’en conséquence des directives européennes le législateur a qualifié SNCF Réseau Établissement public industriel et commercial qu’à ce titre le juge judiciaire est en principe le juge compétent,

  • que la référence aux services publics administratifs pour apprécier le caractère administratif de la convention a été remplacé par la référence aux prérogatives de puissance publique (celles-ci ne pouvant par ailleurs n’être exercées que par un service public administratif), cette évolution de « service public » vers « prérogatives de puissance publique » démontrant la volonté de donner un maximum de clarté au principe de la compétence judiciaire découlant de la qualification législative, et de restreindre au maximum les exceptions ;

  • qu’ainsi le droit positif français est cohérent avec le droit communautaire qui, pour ce qui concerne les activités d’intérêt général, distingue les services publics de nature économique et les services publics de nature non économique qui mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique.

Pour ce qui concerne l’ensemble contractuel, le tribunal constate qu’aucune des dispositions exposées, malgré la complexité administrative de leur mise en œuvre ( cette complexité ne relevant pas du service public en tant que tel, mais résultant des impératifs de sécurité et des difficultés de régulation du trafic) ne relèvent pas du régime exorbitant des contrats administratifs, c’est-à-dire démontreraient des prérogatives unilatérales justifiées par l’intérêt général ou des sujétions exorbitantes justifiées par l’intérêt général.

En particulier c’est à tort que SNCF Réseau soutient que ECR se trouve dans une situation unilatérale et réglementaire, qu’en particulier « la possibilité de supprimer des sillons sans préavis, en cas d’urgence et de nécessité absolue, motivée par une défaillance rendant l’infrastructure momentanément inutilisable, pendant le temps nécessaire à la remise en état des installations ou si l’utilisation d’un sillon, sur une période d’au moins un mois, a été inférieure à un seuil fixé dans le document de référence du réseau… ou pour permettre l’exécution sur l’infrastructure ferroviaire de travaux d’entretien non programmés… ou pour accorder, à la demande du ministre chargé des Transports, la priorité à des transports nécessaires aux besoins de la défense » démontrerait que SNCF Réseau dispose d’un pouvoir unilatéral non contractuel inenvisageable dans un contrat de droit privé et manifesterait l’exercice de prérogatives par excellence de puissance publique, que ces dispositions, seraient créatrices d’inégalité en conférant à SNCF Réseau une position de supériorité par rapport à son cocontractant, ou de la soumission à un régime de droit public. En effet tout exploitant privé selon un contrat de droit privé peut modifier les conditions d’utilisation de son équipement pour des raisons de sécurité ou toutes autres raisons dès lors comme c’est le cas dans le présent litige que les contreparties indemnitaires ont été spécifiées.

En effet force est de constater qu’aucune des dispositions figurant dans l’ensemble contractuel ne présente un caractère manifestement inhabituel ou étranger au droit privé, mais relève tout simplement de la nature propre des problèmes d’exploitation du réseau, que l’attribution des sillons ne peut se revendiquer du service public et n’obéit à aucune règle relative à l’intérêt général en tant que principe d’attribution.

Ainsi, que SNCF Réseau ait l’obligation contractuelle de justifier de la modification des sillons, que cette modification des sillons ne peut résulter que de problèmes d’exploitation du réseau ou de problème d’entretien du réseau (le contrat ayant à bon droit exclu la force majeure et les obligations résultant des contraintes de défense nationale) démontre que la gestion des sillons ne relèvent pas du service public mais caractérise l’activité de l’établissement public industriel et commercial qualifié de tel par la loi, que ces activités sont de nature économique et en application de la logique de bloc de compétence relèvent de la juridiction du juge judiciaire.

Le tribunal relève également que ECR verse des péages ou des redevances qui sont la contrepartie d’un service rendu, que ces redevances répondent aux critères de l’équivalence puisque proportionnels aux trajets effectués ou à la durée et que ce lien caractérise la nature industrielle et commerciale des services fournis par SNCF Réseau ainsi que cette dernière l’expose abondamment — comme il a été exposé — dans les divers documents représentant l’ensemble contractuel.

Enfin ainsi qu’il en a déjà été jugé, le pouvoir de police de SNCF Réseau ne relève pas de prérogatives de puissance publique, mais ainsi qu’il a été statué par ailleurs comme « [un] pouvoir [qui] ne saurait être distingué du pouvoir général d’exploitation » du réseau.

En conséquence de tout ce qui précède, le tribunal,

  • qui rappelle que lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement industriel et commercial, les contrats conclus pour les besoins de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire à l’exception de ceux relatifs à celle de ses activités qui ressortiraient par leur nature des prérogatives de puissance publique,

  • dira que la convention litigieuse conclue entre SNCF Réseau et ECR ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun et se rattache aux missions industrielles et commerciales qui ont été en application des directives européennes confiées à SNCF Réseau es qualité,

  • qu’ainsi elle constitue une convention de droit privé,

Que dès lors,

Le tribunal de céans se déclarera compétent pour trancher du différend qui oppose SNCF Réseau et ECR relativement aux demandes indemnitaires d’ECR dans la recherche de la responsabilité contractuelle de SNCF Réseau ».

LPA 13 Avr. 2018, n° 133r6, p.69

Référence : LPA 13 Avr. 2018, n° 133r6, p.69

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