« Il faut inciter les Français à investir durablement dans des infrastructures dont le pays a besoin »

Publié le 04/06/2021
Tirelire en forme de cochon avec un masque chirurgical, une main s'apprétant à mettre une pièce dedans
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Les Français ont épargné 142 Mds€ entre la fin du premier trimestre 2020 et la fin du premier trimestre 2021. Une estimation publiée mardi 1er juin par la Banque de France. Dans une étude diffusée le 15 avril, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait que l’épargne accumulée durant la crise sanitaire atteindrait environ 160 Mds€. Le gouvernement espère que les Français dépenseront cette épargne pour atteindre l’objectif de croissance en 2021 fixé à 5 %. Mais il espère aussi qu’une partie de cette somme sera investi dans l’économie. L’analyse et le décryptage des enjeux autour de cette épargne avec Vincent Cudkowicz, directeur général de Bienprevoir.fr et de Primaliance.

Actu-Juridique : Selon l’OFCE, l’épargne accumulée par les particuliers en France, durant la crise sanitaire, atteindrait 160 Mds€. De quelle manière les Français ont-ils épargné ?

Vincent Cudkowicz : Il est probable que ce soit une épargne subie, puisqu’une bonne partie des services de l’économie étaient fermés. Je pense notamment aux activités liées au tourisme. Il est probable qu’une partie de cette épargne provienne du fait que les Français n’aient pas pu voyager pendant presque 12 mois. C’est donc essentiellement une épargne subie. Mais, il y a également une épargne volontaire car dans le contexte de la crise sanitaire, il y avait la volonté de se prémunir contre des lendemains difficiles. Aujourd’hui, épargner c’est une chose. Investir c’est croire en l’avenir, c’est miser sur des projets, en y consacrant une partie du fruit de son travail à travers des investissements financiers. Les Français se sont retrouvés dans une situation où ils n’avaient pas confiance en l’avenir, puisqu’ils n’avaient pas de visibilité. L’incertitude de la crise sanitaire est donc une autre raison pour laquelle on a eu une masse d’épargne stockée.  Mais avec les circonstances actuelles qui se libèrent, une vaccination adoptée dans tous les pays européens, on peut de nouveau miser sur des projets d’avenir.

AJ : Pendant la crise sanitaire, d’après vos observations, les Français ont-ils continué à investir ?

V. C. : Il y a trois catégories de personne qui ont investi pendant la crise sanitaire. D’abord, les opportunistes ont vu des points d’entrés attractifs, dans la baisse des marchés notamment durant la période entre la moitié et la fin du mois de mars 2020. Sans compter qu’ils avaient plus de temps à consacrer à leur réflexion autour de leur épargne. Ces opportunistes des marchés financiers ont investi sur des produits de type action. Certaines personnes se sont tournées aussi vers les cryptomonnaies. On peut considérer que cela fait partie de cette logique d’opportunisme. Puis, on a vu des individus qui ont continué à croire beaucoup en l’immobilier. Malgré une baisse des collectes de l’ordre de 20% par rapport aux années précédentes, les produits immobiliers ont continué à mobiliser les Français de manière active. La pierre reste une valeur refuge pour placer ses économies, y compris en temps de crise. Ils ont eu une appétence particulière pour tout ce qui est tangible, concret et visible. L’immobilier sous toutes ses formes est concerné : l’immobilier de santé, de bureau et résidentiel. Enfin, troisième phénomène, c’est la poursuite de l’abondement des contrats d’assurance-vie. Une des volontés dans ce contexte difficile, où on a vu malheureusement beaucoup de décès, c’est de préparer une transmission et de faire en sorte que l’entourage, la famille puissent obtenir un patrimoine dans de bonnes conditions et de manière simple.

AJ : Concernant l’épargne accumulée durant la crise sanitaire, en quoi peut-elle faciliter la relance économique ?

V. C. : En étant fléchée vers des secteurs de l’économie qui ont subi une forme d’inefficacité, comme le domaine de la santé, cette épargne peut permettre de se prémunir d’une nouvelle crise. Cette épargne peut, par exemple, soutenir des infrastructures de santé. Ensuite, il y a eu une accélération de plusieurs prises de conscience dans certaines pratiques sociétales. Aujourd’hui, on peut investir sur ces tendances sociétales. Je pense aux investissements socialement responsables (ISR), qui sont durables, qui répondent aux besoins sociétaux en respectant l’environnement. On parle aussi aujourd’hui d’investissement à impact : il ne s’agit pas seulement d’aller vers des investissements qui vont protéger l’environnement. Aujourd’hui, les personnes recherchent des actifs, qui vont permettre d’améliorer la situation, avec un vrai impact sur l’économie et l’environnement. Enfin, dernier phénomène qui va dans le sens de la relance, c’est celui qui participe à un renouveau des infrastructures. C’est lié aux nouveaux modes de vie qui vont émerger à la sortie de cette crise. On voit bien que les zones à concentration urbaine ne correspondent plus forcément aux attentes des Français et des Européens. On observe un phénomène de déménagement de plusieurs personnes à la recherche d’un environnement plus accueillant, d’une connexion plus forte avec la nature. Une volonté de vivre dans des villes secondaires, moins dans des grandes métropoles. On parle aujourd’hui d’un déficit annuel de 400 000 à 500 000 logements. Il est probable que les futurs logements seront à construire ailleurs qu’initialement prévu. Il y a ces infrastructures résidentielles, sur lesquelles les acteurs spécialisés dans la gestion d’actifs immobiliers sont en pleine phase d’analyse, de repositionnement de leur portefeuille d’investissement. Ces activités-là peuvent aussi participer à la relance.

AJ : Vers quels types de produit d’investissement, l’épargne accumulée pourrait-elle être orientée ?

V. C. : Il y a plusieurs types d’investissement. D’abord, nous avons les actions. Elles représentent certes un risque pour les épargnants. Mais avec les taux extrêmement bas aujourd’hui, elles représentent une solution pour obtenir un rendement acceptable tout en prenant un risque, qui peut être mesuré et piloté. Ces actions peuvent avoir des supports tangibles avec des thématiques concrètes comme la santé, le développement durable, la sécurité du traitement de l’eau, la robotique ou encore l’intelligence artificielle. Il y a un réel engouement autour des investissements dans ces domaines en termes d’action. On parle aussi d’accompagner les entreprises non cotées, qui n’ont pas accès au marché financier, via le private equity.

Autre type d’investissement avec les infrastructures presque étatiques. On peut imaginer investir sur le secteur ferroviaire par exemple. Des solutions qui répondent à un besoin sociétal. Des grands assureurs proposent aujourd’hui des fonds d’infrastructure. Ils ont émergé avant la crise et ont accéléré ensuite. On a un horizon de placement assez long avec une certaine visibilité sur les revenus et un risque maîtrisé.

Puis, il y a l’investissement dans l’immobilier où l’on devient propriétaire. C’est le cas de l’immobilier de la santé. Il y a des SCPI (Sociétés civiles de placement immobilier) qui le font, voir des SCI (sociétés civiles immobilières). Ce peut être des investissements dans le résidentiel ou l’immobilier d’entreprise. La nouvelle logistique est aussi concernée. Le commerce est déclinant en centre-ville. Les Français continuent de consommer en e-commerce et on a besoin de nouveaux entrepôts modernes et innovants. Dans ce contexte, il y a aussi l’investissement dans le commerce mixte. Durant la crise, trois-quart des consommateurs faisaient appel à leur commerçant de proximité, qui avaient mis en place une offre internet. L’immobilier va aussi avoir son importance dans cette évolution de la consommation.

AJ : Quelle est la tendance des investissements depuis le début de l’année 2021 ?

 V. C. : C’est à peu près la même tendance que nous avons connu après le premier confinement. Il y a un vrai engouement pour l’immobilier et les nouvelles offres dans ce domaine car c’est une valeur refuge, concrète et tangible. Il y a eu aussi un bon engouement pour les actions. Autre constat, un phénomène important autour du financement participatif immobilier car c’est du tangible, avec des échéances courtes sur 36 mois. Cela permet de ne pas prendre de risque long. Ce support remporte un vrai succès.

AJ : Le gouvernement cherche à mettre en place des dispositifs pour tenter d’orienter l’épargne accumulée vers les investissements. Quelles mesures pourrait-il mettre en place pour aller dans ce sens ?

V. C. : On pourrait créer un livret « H » pour hôpital. On croit beaucoup à ces possibilités pour les Français de se rassembler autour de la thématique de la reconstruction des infrastructures de santé, en mobilisant leur épargne. Cela avec un rendement acceptable qui permettrait aux Français d’avoir une épargne pour compléter leur niveau de vie en arrivant à la retraite. Après, je dirai qu’il faut bien entendu éviter tout ajout d’une couche fiscale car ce n’est pas ce qui inciterait les Français à investir. Une partie de l’épargne accumulée des Français doit aussi aller vers les entreprises à travers la consommation. Il faudrait même peut-être envisager une baisse de la TVA pour rebooster l’économie. Puis d’un autre côté, inciter les Français à investir durablement dans des infrastructures dont le pays a besoin.

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