La loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux : à quoi s’attendre concrètement ?

Publié le 05/06/2023
La loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux : à quoi s’attendre concrètement ?
AnnaStills/AdobeStock

La facilité d’accès aux contenus digitaux comme la facilité de créer ces contenus conduit à des dérives que la loi tente souvent de rattraper. C’est ce qu’illustre la loi sur les influenceurs visant à réguler les activités autour des personnes qui mobilisent leur notoriété pour créer des contenus en ligne, en vue de faire de la promotion (biens, services, causes diverses), en contrepartie d’une rémunération ou d’un avantage en nature. Agents d’influenceurs, influenceurs et annonceurs sont désormais contraints par des règles à respecter sous peine de sanctions graves.

Sénat, prop. L. n° 489, 30 mars 2023, visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

Que contient concrètement la loi ?

Le premier apport fondamental de cette loi est d’apporter une définition à la profession d’influenceur pour éviter que des influenceurs déviants continuent à utiliser les réseaux sociaux pour diffuser des contenus digitaux illicites.

Ensuite, les apports s’articulent autour de quatre thématiques qui ressortent de la loi :

• la lutte contre les pratiques commerciales trompeuses telles que l’utilisation d’images trafiquées ou l’influence commerciale dans les secteurs régulés (financier, santé, pari sportif, contrefaçon…) ;

• la transparence des relations entre influenceurs, marques et consommateurs ;

• la contractualisation et donc la responsabilité des influenceurs, agents et annonceurs. Ces contrats devront par exemple prévoir les missions confiées, la rémunération, l’application du droit français pour une audience en France. Il faut également noter que la loi insère la notion de responsabilité solidaire entre agents, influenceurs et annonceurs ;

• la protection de la propriété intellectuelle.

Le dernier apport et non le moindre, c’est l’objectif avoué de cette loi de sanctionner fortement pour protéger les influenceurs et les consommateurs.

Quelles sanctions sont prévues pour ceux qui ne respecteraient pas la loi ?

Dispositions

Contenu

Texte adopté par l’Assemblée nationale

Texte adopté par le Sénat

Article 2B

Interdiction de toute promotion portant atteinte à la santé publique

Six mois d’emprisonnement et 300 000 € d’amende1

Deux ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende2

Article 2C

Mention explicite « Publicité », claire, lisible et identifiable durant l’intégralité de la promotion

Un an d’emprisonnement et 4 500 € d’amende

Deux ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende3

Souscription à un contrat d’abonnement

Un an d’emprisonnement et 4 500 € d’amende

Article 4 bis

Injonction assortie d’une astreinte journalière ne pouvant excéder 1 500€

Injonction assortie d’une astreinte journalière ne pouvant excéder 3 000 €4

Article L. 572-28 du Code de la consommation

Offre d’investissement en ligne méconnaissant l’une des interdictions prescrites aux articles L. 573-1, L. 573-7, L. 573-9, L. 573-12, L. 573-15, L. 572-23, L. 572-24, L. 572-27 et L. 573-8

Un an d’emprisonnement et 300 000 € d’amende

À noter : le fait de préciser ces sanctions dans la loi permettra désormais à tout internaute de signaler plus facilement un contenu illicite sur une plateforme. Pour rappel, conformément au Digital service act (DSA), les plateformes devront proposer un bouton pour signaler les contenus illicites et traiter en priorité les notifications des signaleurs de confiance. Cette dernière devra supprimer le contenu illicite sans délai, ce qui est une sanction souvent bien plus importante qu’une amende…

Quels sont les secteurs concernés ?

Tous les secteurs sont concernés. Toutefois, une attention particulière est portée à la protection des mineurs et des secteurs réglementés tels que la santé, le secteur financier et la protection de la propriété intellectuelle.

Quelles seraient les obligations pour les influenceurs ? Quelles sont leurs responsabilités, qu’ils soient localisés en France ou à l’étranger ?

L’obligation première d’un influenceur responsable est de se former ! L’influenceur ne peut plus se dédouaner et doit prendre conscience que les contenus publiés en ligne ont des conséquences sur les auditeurs. Ainsi, l’influenceur devra se conformer aux recommandations du ministère de l’Économie5, s’assurer que ses propos sont licites et respecter notamment :

• l’interdiction de certaines publicités (chirurgie esthétique, nicotine, contrats financiers risqués, produits illicites et contrefaisants, jeux d’argent…) ;

• l’obligation d’information renforcée par la mention « Publicité » ou « Images retouchées » ;

• l’encadrement des pratiques de livraison directe, dites de dropshipping.

Attention, la responsabilité des influenceurs ne change pas en fonction de leur localisation. En effet, si un influenceur est installé à l’étranger, il a l’obligation de désigner un représentant sur le territoire français.

De Dubaï à Paris, les mêmes contraintes doivent donc s’appliquer !

Quel statut est prévu pour les agents d’influenceurs ?

La loi sur les influenceurs fait naître la définition d’« agent d’influenceur » dont l’activité consiste à représenter ou à mettre en relation, à titre onéreux, les influenceurs qui ont recours à leur service. Cette relation doit être encadrée par un contrat entre l’influenceur et le mandataire. Une nouveauté qui exigera donc que le contrat soit conforme à certaines mentions précisées dans la loi.

Que doit contenir le contrat d’agent d’influenceur ?

Voici les points qui seront a minima à vérifier sur le contrat d’agent d’influenceur :

Forme

Rédigé par écrit sous la forme d’un contrat d’agence

Exécution du contrat

L’agent doit exécuter son mandat en bon professionnel

L’influenceur doit mettre l’agent en mesure d’exécuter son mandat

Rémunération

Mention obligatoire du montant versé par l’annonceur pour la prestation d’influence commerciale qu’il sollicite par moyen de communication électronique

Mention obligatoire du montant perçu au titre du mandat

Possible commission si l’opération commerciale a été conclue grâce à son intervention

Droit applicable

Contrat d’agence : article 134-1 à 134-17 du Code de commerce

Quels sont les bénéfices pour les consommateurs ?

La protection des consommateurs est au cœur des enjeux de la loi. Ainsi, certaines problématiques en lien avec les pratiques commerciales et publicitaires des influenceurs ont particulièrement été examinées6 :

• le « dropshipping »7 ou la livraison directe ;

• la publicité clandestine (ex : condamnation de Nabilla pour pratiques commerciales trompeuses pour avoir présenté dans ses stories la gratuité d’un service d’achat de bitcoins8) ;

• l’escroquerie propre à certains produits et services : produits esthétiques, vente de fausses formations financées par le compte professionnel de formation (CPF), investissement dans les cryptomonnaies (ex : condamnation de Paul Antony (PA7) pour escroquerie et blanchiment en bande organisée en juillet 2022 par le tribunal judiciaire pour avoir incité des abonnés à créer des fausses entreprises pour percevoir des aides de l’État9) ;

• le dénigrement (ex : condamnation de Cyprien par la cour d’appel de Paris en 2021 pour avoir dénigré un magazine en publiant sur Twitter : « C’est quoi cette merde ? Il faut vite le jeter dans le feu » 10) ;

• les pratiques commerciales trompeuses (ex : la plainte d’Elie Yaffa contre l’agence d’influenceurs Shauna Events, estimant que celle-ci se livre à des pratiques commerciales trompeuses et à de l’escroquerie en bande organisée).

Le consommateur est le bénéficiaire direct de la lutte contre ces dérives non théoriques.

Quelle roadmap pour les annonceurs ?

Cette loi adoptée, il faut dès à présent mettre en place des actions concrètes pour éviter les sanctions :

• construire un schéma juridico-technique pour encadrer le recours aux influenceurs et répartir les responsabilités ;

• prévoir des contrats à jour pour régir les interventions d’influenceurs, et intégrer d’ores et déjà les bonnes pratiques et pour protéger les annonceurs contre des contenus diffusés en leurs noms, mais illicites ;

• prévoir un guide de bonnes pratiques et/ou une charte de l’influenceur pour intégrer les recommandations de l’État, de la loi et les exigences internes de l’annonceur  ;

• construire une grille d’évaluation des influenceurs avant tout recrutement d’un nouvel influenceur ;

• créer un questionnaire d’audit des influenceurs déjà recrutés pour justifier d’avoir recours à des professionnels qui sont en constante progression au regard des exigences légales ;

• et enfin, suivre l’actualité pour mettre à jour sa check-list de conformité !

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sous réserve du cinquième alinéa de l’article L. 222-16-1 et de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 222-16-2 du Code de la consommation.
  • 2.
    Sous réserve du cinquième alinéa de l’article L. 222-16-1 du Code de la consommation, de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 222-16-2 du même code, du dernier alinéa de l’article L. 6323-8-1 du Code du travail et de l’article L. 324-8-1 du Code de la sécurité intérieure.
  • 3.
    Dans les conditions prévues aux articles L. 132-1 à L. 132-9 du Code de la consommation.
  • 4.
    Le total des sommes demandées au titre de la liquidation de l’astreinte ne peut excéder 300 000 €.
  • 5.
    V. également le Guide de bonne conduite : influenceurs et créateurs de contenu, publié par le gouvernement, https://lext.so/EFHTs2.
  • 6.
    Rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (n° 672).
  • 7.
    « Livraison directe » en français : système dans lequel le vendeur sur le site marchand ne dispose pas lui-même de stock et transmet cette commande au fournisseur partenaire qui se charge de la gestion du stock et de l’expédition de la marchandise au consommateur final, sans que celui-ci en soit avisé. Sur ce point, la DGCCRF, https://lext.so/LcHr3y.
  • 8.
    DGCCRF, communiqué, 28 juill. 2021, www.economie.gouv.fr.
  • 9.
    TJ Paris, 6 juill. 2022.
  • 10.
    CA Paris, 5-11, 24 sept. 2021, n° 19/17218, Sté Le Cercle Éditions c/ X. et a.
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