L’ANCR met en garde contre l’augmentation des impayés liés aux particuliers
À l’occasion de son Congrès annuel, le 11 octobre 2019, l’ANCR, Syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux, a alerté le gouvernement sur un sujet resté invisible jusqu’à présent : l’explosion des incidents de paiement liés aux particuliers, par carence grave de l’encadrement réglementaire. Thierry Gingembre, son président, revient sur cette découverte, ses conséquences, mais également les solutions envisageables.
Les Petites Affiches
Le traitement des impayés en B to B et en B to C ne fait pas du tout l’objet des mêmes procédés. Pouvez-vous revenir sur la situation ?
Thierry Gingembre
Cela fait maintenant plusieurs années que les auteurs d’un retard de paiement ou d’un impayé en B to B sont responsabilisés. Des directives européennes ont été transposées, en vertu de laquelle ils sont soumis à une sanction de 40 € par facture en retard. Si le préjudice est supérieur à 100 €, il est possible de demander au payeur une compensation des sommes qui ont été dépensées au titre de l’impayé. Ce système fonctionne bien. À partir du moment où ils sont en B to B, il est possible de travailler sur toutes sortes d’impayés. Par ailleurs, c’est une priorité en France, comme en Europe, de lutter contre ces impayés. Le hiatus se produit quand on parle du B to C : dans ce cas, il n’y a pas de dispositif similaire, et c’est même le contraire, puisqu’il est spécifié en termes très nets que les frais de recouvrement sont à la charge du créancier. Je constate une volonté de lutter contre les retards de paiement en B to B, en faisant une priorité, mais pour les impayés en B to C, la protection du consommateur s’est peut-être construite de façon un peu excessive. L’incohérence est totale.
LPA
Dans quelles conditions avez-vous pris conscience de l’ampleur du problème ?
T. G.
À l’ANCR, nous essayons de sensibiliser le législateur, l’exécutif et l’administration sur ce problème précis depuis des années maintenant. Nous sommes écoutés, entendus, mais nous manquons de données lorsqu’on nous interroge sur l’ampleur du manque à gagner, bien que nous l’estimions très important, compte tenu de l’explosion des contrats en ligne entre professionnels et consommateurs. Nous avons donc cherché à obtenir des chiffres plus précis, en contactant un cabinet indépendant chargé de réaliser cette étude, présentée au Congrès 2019. Surprise : il y avait très peu de renseignements disponibles, alors qu’un Observatoire des délais de paiements existe et que la France est sans doute l’un des pays européens les mieux dotés en termes d’outils statistiques. Mais malgré quelques statistiques de l’Insee ou Eurostat, portant plutôt sur des aspects sociologiques des impayés, nous ne pouvions pas réellement évaluer les conséquences de l’impayé au niveau macroéconomique. Le portail du ministère de la Justice donnait accès à un certain nombre d’indicateurs, mais par définition, concernant des impayés qui ont fait l’objet de procédures. À partir de chiffres qui n’existaient quasiment pas, nous avons essayé d’en déduire des données. Nous savons qu’en 2017, environ 300 000 cas de procédures pour injonction de payer ont été engagées. Sur ces 300 000, 58 % étaient des impayés liés à des baux ou de l’habitation, 18 % liés à un prêt ; 10 % liés à des problèmes de comptabilité ; et seulement 7 % liés à impayés liés à des prestations de service. Or dans la « vraie » vie, on paie une fois dans l’année ses charges de copropriété, on ne souscrit pas des prêts tous les jours, et on ne se porte pas caution toutes les semaines. En revanche, tous les jours, toutes les semaines, on passe de nouveaux contrats sur internet, et cela ne fait pas l’objet de procédures de justice. Ainsi, une grande partie de créances, sans doute pour des raisons liées au montant, ne passent pas par la voie judiciaire. Ces cas-là disparaissent des radars.
Pour aller plus loin au niveau des créances civiles, l’un des seuls chiffres que l’on a concerné les injonctions de payer, procédures très fréquentes : sur environ 430 000 injonctions de payer, seules 26 % correspondent à un montant de moins de 1 000 euros. Cela veut dire que les créances assez faibles échappent à un traitement civil. Mais elles ne passent pas non plus par chez nous, en recouvrement amiable. Pourquoi ? Dans le cas de créances relativement faibles, même avec un système de rémunération très attractif comme le nôtre, puisque nous sommes liés au résultat, nous avons du mal à la traiter, si le payeur n’est pas responsabilisé. Par exemple, pour les sociétés de VPC, qui font face à de nombreux impayés, le montant moyen d’une transaction est de 30 €. Si le pourcentage d’une société qui récupère les impayés est de 20 %, et partant du principe qu’elle récupère la somme une fois sur deux, cela fera 6 € pour traiter quatre créances. Puisque nos sociétés ne sont payées qu’au résultat, que les montants sont difficiles à récupérer car ils sont faibles, qu’il n’y a aucune responsabilisation du payeur, même des sociétés comme la nôtre – plus habilitées que des huissiers de justice ou avocats (payés à l’acte ou à la plaidoirie) – avons du mal à les traiter, d’un point de vue économique.
LPA
Quelles conséquences pour les sociétés ?
T. G.
Les sociétés, comme les VPC, font face à des centaines d’impayés par jour ! Les start-up, à leur démarrage, pensent à leur boutique, leur site, mais n’envisagent que très tardivement aux problèmes d’impayés, cela a aussi des conséquences. Une société sur quatre dépose quand même le bilan pour des retards de paiement ou des impayés. Mais les conséquences se répercutent également sur les autres consommateurs, qui vont éventuellement subir une augmentation du prix unitaire du service ou du produit, et derrière encore, l’État, concernant l’impôt sur les sociétés.
LPA
Les chiffres que vous avancez sont impressionnants…
T. G.
L’ANCR a assisté à un congrès européen organisé à Lisbonne par la Société européenne de recouvrement. Dans une enquête, effectuée dans chaque pays et portant sur la répartition des impayés, en 2018, on comptait 218 millions de dossiers d’impayés en B to C, contre 29 millions en B to B (sur des dossiers confiés à des professionnels comme nous). Cela représente 284 Mds€ en B to C, contre 54 Mds€ en B to B. Et si l’on commence à faire des projections, on est devant un gros chantier. Face à nous, il existe le lobby des consommateurs et l’idéal serait de s’attaquer au problème en liaison avec eux. Parce que les bons consommateurs, ceux qui paient, sont également impactés.
LPA
Que préconisez-vous comme solutions ?
T. G.
Au niveau de l’ANCR, nous pensons qu’il faudrait mettre en place un barème (comme pour le B to B), afin de responsabiliser le mauvais payeur, ce qui existe dans certains pays comme en Allemagne. L’acheteur sera toujours protégé par la justice, qu’il soit professionnel ou non professionnel, mais ce serait une façon de le responsabiliser, ainsi que de permettre le traitement d’un volume de créances assez considérables, qui aujourd’hui ne le sont pas.
LPA
Vous pensez donc qu’il faut davantage responsabiliser le consommateur. Il est « trop » protégé selon vous ?
T. G.
Il y a eu un changement culturel très net : le principe en droit civil, c’est la responsabilisation de chaque partie. En matière de somme d’argent, quelqu’un qui ne respecte pas son engagement contractuel, doit de toute façon, si cela cause un préjudice à l’autre, payer une indemnité. Qu’il soit ou non de mauvaise foi. Mais depuis les années 1980, le cadre réglementaire a évolué : le Code de la consommation n’existait pas, les procédures de surendettement n’existaient pas. Petit à petit, nous sommes passés, et c’est tout à fait souhaitable, à l’idée qu’il fallait protéger davantage le consommateur. On le voit aujourd’hui avec la protection des données voulue par le RGPD, par exemple. Mais à mon avis, protéger le consommateur n’est pas forcément incompatible avec l’idée qu’il faut aussi protéger le créancier.
LPA
La France est-elle réellement un « paradis » en termes d’impayés ?
T. G.
D’autres « paradis » que la France existent ailleurs ! Mais il est sûr que chez nous, il est plus facile de générer un impayé parce que la justice est longue, les délais de prescriptions sont de plus en plus courts, la protection du consommateur de plus en plus forte, avec, par exemple, la remise en question des clauses abusives. Certes, dans un contrat, il existe la clause pénale qui stipule que, si jamais les sommes ne sont pas payées, elles peuvent être majorées. Mais les sociétés qui vendent leurs services/produits à des consommateurs, ont de plus en plus peur d’avoir créé une clause abusive, et lorsqu’on demande leur application à des magistrats professionnels, ils refusent systématiquement de l’appliquer, par équité. C’est pourquoi il nous faut discuter avec les consommateurs, les législateurs, les représentants des créanciers.
Référence : LPA 05 Nov. 2019, n° 148v2, p.4
Référence : AJU62859