Marc Sabaté : « Les entreprises valorisées entre 5 et 15 M€ ont dynamisé le marché des fusions-acquisitions en 2023 »
Toutes les études des acteurs du M&A sont unanimes : le marché des fusions-acquisitions a reculé en 2023. Dans son analyse annuelle intitulée : « Régions & transmission », InExtenso Finance, filiale dédiée à la transmission d’entreprises du groupe éponyme, fait un focus sur un échantillon de PME valorisées entre 1 et 50 M€. En 2023, les opérations ont baissé de 11 % d’après cette étude, malgré un rebond en fin d’année et qui se poursuit en 2024. Marc Sabaté, directeur général d’InExtenso Finance, occupe aussi la fonction de président de l’association CNCEF France M&A. Avec 500 membres, elle regroupe des acteurs indépendants en conseil transmission, cession-acquisition et financement. En plus de valoriser le métier, cette association sensibilise ses adhérents à la formation et aux bonnes pratiques de la profession jusqu’à développer actuellement une certification de la qualité des professionnels.
Actu-Juridique : Globalement, quel bilan dressez-vous de l’activité des opérations de fusion-acquisition durant l’année 2023 ?
Marc Sabaté : D’abord, il n’y a pas aujourd’hui de données exhaustives et officielles sur la transmission des entreprises. Aucune publication n’est obligatoire sur les cessions. Les seules obligations sont fiscales et ne traduisent pas toute la réalité de la situation en open data. Plusieurs acteurs des fusions-acquisitions font des analyses tous les ans. Pour 2023, elles sont unanimes : les opérations ont chuté. Chez InExtenso Finance, nous réalisons chaque année, avec notre partenaire Epsilon Research, une étude du marché M&A en faisant un focus sur le segment des PME. C’est la part la plus importante du tissu économique en France. Sur le plan méthodologique, nous réalisons notre étude à partir d’un échantillon de PME qui représente entre un tiers et un quart du marché réel. L’étude nous enseigne qu’en 2023 nous constatons une baisse des opérations de 11 % en 2023, après avoir diminué de 8 % en 2022. Cette évolution est à relativiser avec la forte hausse constatée en 2021 à hauteur de 41 % avec 1 172 opérations pour des sociétés valorisées entre 1 et 50 M€.
AJ : Comment expliquez-vous ces différentes tendances sur ces trois dernières années ?
Marc Sabaté : D’abord, cette explosion du nombre de transmissions ou de cessions d’entreprises en 2021 s’explique par le phénomène de rattrapage après la crise sanitaire de 2020. L’effet de rebond a donc été très fort. En 2022, la tendance du marché a été bonne mais il y a eu un effet d’atterrissage, de stabilisation et de normalisation en fin d’année. À ce moment-là, la conjoncture économique a aussi basculé à travers la hausse des taux d’intérêt, l’inflation sur les différents coûts et les tensions géopolitiques. Le ralentissement du marché M&A s’est donc ressenti en fin d’année. Cette mauvaise dynamique s’est poursuivie ensuite début 2023 accentué par les moments durs de la crise énergétique. Sur le premier semestre, nous avons constaté une baisse de 30 % à la fin du mois de juin. Un rebond durant la seconde moitié de l’année a permis de terminer avec une diminution de 11 %.
AJ : Comment caractérisez-vous cette évolution des opérations réalisées en 2023 ?
Marc Sabaté : L’année 2023 a été complexe tout en étant atypique. Il y a eu un effet de crise sur le marché M&A et nous nous attendions à une forte chute. Cependant, sur le dernier trimestre, il y a eu une reprise qui s’est confirmée en janvier et en février 2024. Ensuite, nous constatons dans notre étude que les entreprises valorisées entre 5 et 15 M€ ont dynamisé le marché en 2023. Nous observons aussi une dynamique du secteur industriel dans les fusions-acquisitions qui concrétise l’effet de réindustrialisation du pays. Les opérations dites corporates ont été privilégiées, c’est-à-dire qu’une société indépendante rachète une autre société. Les rachats avec effet de levier (LBO) avec les fonds d’investissement restent dynamiques. Par conséquent, le marché du M&A en France est aujourd’hui structurellement tiré vers le haut par le private equity. Les fonds d’investissement permettent aux entreprises de créer de la valeur et des emplois. Les PME et ETI ont un rôle à jouer dans la consolidation de certains secteurs d’activité. Elles rachètent des entreprises pour acquérir des parts de marché, des technologies et des ressources humaines.
AJ : À partir de cette étude et du constat sur le terrain en ce début d’année, quelles sont les perspectives du marché des transmissions et des cessions d’entreprises pour 2024 ?
Marc Sabaté : Le marché a aujourd’hui digéré le caractère balancier de la conjoncture économique de ces dernières années. Les coûts de l’énergie se sont stabilisés. De manière globale, l’inflation se stabilise aussi car le ralentissement de l’économie a permis une reconstitution des stocks. Il n’y a donc plus d’inflation de l’offre. Enfin, il y a une anticipation d’une baisse des taux d’intérêt déjà annoncée par la Banque centrale européenne (BCE). Le contexte s’est donc stabilisé. Par ailleurs, nous ressentons chez les adhérents de la CNCEF France M&A une forme de redémarrage. Il y a de l’intérêt, des entreprises qui reparlent de cession et d’acquisition. Nous sommes plus sollicités par rapport à l’année dernière. Les carnets de commandes se remplissent avec des nouvelles missions. Cependant, je pense que nous n’aurons pas un volume d’opérations très important en 2024. Je pense que le marché va rattraper cette année la baisse constatée en 2023.
AJ : Vous êtes président de CNCEF France M&A qui rassemble 500 professionnels. Comment cette association est-elle engagée dans la formation ?
Marc Sabaté : Au sein de l’association CNCEF France M&A, nous avons une activité de formation qui est une obligation inscrite dans nos statuts et qui se déroule sur deux niveaux. D’abord, nous nous assurons que les adhérents et leurs équipes effectuent un minimum de formation. Nous leur mettons à disposition un catalogue de formations qui sont éligibles à nos métiers. Par ailleurs, nous avons lancé, il y a trois ans, un certificat M&A en partenariat avec l’université Dauphine-PSL dans le cadre de la formation continue. C’est un titre universitaire et professionnel homologué par l’État et délivré après dix jours de formation en présentiel et en distanciel. La formation est animée par des professeurs de l’université et des praticiens. Le cursus est suivi plutôt par des jeunes conseillers avec une fonction d’associate ou de manager et environ cinq années d’expérience qui souhaitent valider leurs acquis en M&A. Un autre public plus expérimenté dans le domaine de la finance s’inscrit dans cette formation pour s’aguerrir aux compétences et aux techniques de notre métier.
AJ : Comment allez-vous accentuer ce mouvement de la formation des professionnels dans le domaine des fusions-acquisitions ?
Marc Sabaté : Dans notre logique au sein de l’association CNCEF France M&A, il n’y a pas de bons professionnels dans nos métiers de transmission, de cession et d’acquisition s’ils ne sont pas formés de manière régulière. Le monde, les acteurs, les pratiques et les outils évoluent sans cesse. Les acteurs du M&A doivent renouveler leurs connaissances et s’adapter aux évolutions. Par conséquent, le besoin de formation augmente dans plusieurs domaines au-delà du M&A. De nombreuses normes et des nouvelles lois apparaissent dans beaucoup de secteurs. Dans notre activité d’accompagnement des dirigeants, nous devons être informés de la réalité et du contexte dans lequel évoluent les entreprises. C’est essentiel pour délivrer des conseils pertinents. Par ailleurs, cette activité de formation est intrinsèquement liée au corpus de règles, de procédures, de bonnes pratiques et de comportements que nous sommes en train de codifier au sein de l’association pour créer une certification. L’écosystème du chef d’entreprise doit avoir un signe de qualité à travers ce type de label destiné aux acteurs de la transmission, de la cession et de l’acquisition.
AJ : À quel moment allez-vous mettre en place cette certification labellisée ?
Marc Sabaté : La mise en place d’une certification est un travail de longue haleine notamment en accompagnant nos adhérents sur le respect des bonnes pratiques et le comportement autour de la réglementation. Le sujet de la certification est d’actualité et nous allons probablement prendre une décision d’ici au mois de juin 2024. Le calendrier va être mis en place cette année.
AJ : Dans le cadre de votre profession du conseil en fusion-acquisition et en lien avec l’enjeu des bonnes pratiques, comment appréhendez-vous l’intelligence artificielle ?
Marc Sabaté : Le monde du conseil en fusion-acquisition aborde la question de l’intelligence artificielle du bon côté à travers la data. La gestion des données est cruciale dans le cadre de l’usage de l’IA. Nous avons déjà réalisé des conférences pour nos adhérents sur la distinction entre l’IA et la gestion des algorithmes de sélection. Il y a très peu d’IA générative. Dans les faits, nous sommes encore au début des enjeux sur l’usage de la donnée et de l’intelligence artificielle. Mais il y a déjà eu des tests sur des plateformes d’intermédiation qui n’ont pas eu le succès escompté. Des rapports d’échecs ont mis en évidence qu’il n’y avait pas d’usage pertinent. La problématique de l’IA applicable au M&A est la suivante : à quoi peut-elle servir ? Quand on est conseil M&A, on mène une réflexion sur les enjeux personnels du dirigeant à travers sa vie patrimoniale. Aujourd’hui, cette pratique repose sur l’humain. Cependant, nous traitons beaucoup de données dans notre activité et peut-être que l’intelligence artificielle pourra nous aider à l’avenir. Mais elle sera toujours au service de l’intelligence humaine. Ce phénomène s’inscrit dans l’enjeu plus global de la digitalisation de notre métier.
Référence : AJU013m5