Natacha Hulmel : « Femmes entrepreneuses, nous devons prouver que nous sommes compétentes »
Ambassadrice du concours Créatrice d’avenir pour le Val-de-Marne (94), Natacha Hulmel a eu l’idée, en 2018, de digitaliser la logistique des déchets de chantier des entreprises dans le BTP. Elle a créé MyBen, une plateforme pour réserver un camion en quelques clics. Elle nous raconte son parcours d’entrepreneuse dans un monde encore très masculin. Rencontre.
Actu-Juridique : Qu’est-ce que cela signifie pour vous d’être ambassadrice du concours Créatrices d’avenir ?
Natacha Hulmel : C’est une fierté d’être ambassadrice. Nous sommes encore très peu de femmes entrepreneuse. Montrer notre savoir-faire, dire aux jeunes femmes qu’elles ont leur place en tant qu’entrepreneuse : cela est important pour moi.
AJ : Pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?
Natacha Hulmel : J’ai créé « MyBen » en 2018. C’est une plateforme collaborative qui met en relation les entreprises du BTP – centre de traitement, carrière – et des transporteurs spécialisés dans le vrac. Nous cherchons la meilleure solution de transport pour les entreprises, nous limitons les émissions de CO2 et travaillons sur la traçabilité des déchets afin d’éviter les décharges sauvages. Les entreprises déposent des petites annonces, du type : « J’ai besoin de tours pour évacuer de la terre polluée » ou « J’ai besoin d’évacuer du sable ». Cela génère une demande envoyée à tous les transporteurs qui correspondent à la demande. La plateforme sélectionne le transporteur le plus proche, qui reçoit une notification. S’ils matchent, la mission va se faire. Le client va pouvoir visualiser le camion, le géolocaliser, voir comment il a été chargé, à quelle heure il est parti : tout est tracé depuis son départ jusqu’à l’arrivée au centre. 800 camions et une cinquantaine d’entreprises, dont de grandes entreprises, sont inscrits sur la plateforme.
AJ : Comment avez-vous eu l’idée de cette plateforme ?
Natacha Hulmel : Pendant 8 ans, j’ai travaillé dans une entreprise dédiée au traitement de déchets pour les entreprises de terrassement. J’étais donc déjà dans ce domaine. Nous devions trouver des centres de traitement pour les déchets et des solutions de transport pour ces entreprises. Nous perdions du temps à trouver les transporteurs, à obtenir les documents de tonnage. Cela nous empêchait de bien facturer ce service à nos clients. Plus on augmentait notre chiffre d’affaires, plus il fallait augmenter le nombre de salariés. Cela posait des problèmes de rentabilité. J’ai pensé qu’il fallait créer une solution numérique, dans l’esprit du XXIe siècle. J’ai eu l’idée de MyBen, et je suis partie afin de créer mon entreprise.
AJ : A-t-il été facile de trouver des clients ?
Natacha Hulmel : Je pensais avoir du mal à trouver des transporteurs. Contrairement à toute attente, ils m’ont généralement très bien accueillie : beaucoup d’entreprises de transports n’ont pas de commerciaux, je remplis cette fonction et leur offre du travail sur un plateau. Côté entreprise, cela a été plus difficile. Toutes ne sont pas prêtes à passer au numérique. La plateforme est très simple mais elle change leur méthode de travail. Les entreprises ont l’habitude d’avoir une personne qui appelle les transporteurs pour proposer des tours pour chaque chantier. Cette personne attend qu’on la rappelle et passe ainsi sa journée au téléphone. Déposer une annonce sur la plateforme prend quelques minutes seulement : le transporteur est alerté quand il est choisi, s’il y a un nouveau tarif ou que le camion est trop lourd. Nous sommes une petite équipe de 4. Tout est digitalisé. Je travaille derrière mon ordinateur mais je suis aussi beaucoup à l’extérieur pour visiter les clients, voir les chantiers, vérifier que les camions ont la place de passer. Sur le Grand Paris, on est sur des cadences folles avec parfois 90 camions par jour sur le même chantier !
AJ : Vous avez choisi un domaine d’activité très masculin. Comment vous êtes-vous retrouvée là ?
Natacha Hulmel : J’ai fait une école de commerce et plusieurs formations complémentaires. À la base, je travaillais dans le domaine de l’environnement. Je vendais des pompes à chaleur, des éoliennes, du photovoltaïque. Au moment de la crise des panneaux solaires, j’ai trouvé un poste dans une entreprise de traitement des déchets. C’était en cohérence avec les postes que j’avais exercé avant dans le domaine de l’environnement. MyBen est dans cette continuité. Pour avoir ma capacité de transport, j’ai fait l’école supérieure des transports. Je ne fais plus de logistique, mais je conseille mes clients sur les problématiques environnementales. Nous essayons de réduire les émissions de CO2 en mutualisant les trajets. Si un transporteur prend une annonce, on lui propose un tour au retour pour ne pas revenir à vide. Plus il y aura de monde sur la plateforme, plus on pourra proposer cela.
AJ : Est-ce facile d’entreprendre dans le domaine du transport quand on est une femme ?
Natacha Hulmel : Non ! Nous ne sommes pas forcément les bienvenues. Je fais partie de l’association Les SouterReines, qui travaille sur la mixité dans le BTP. Nous avons fait un sondage cet été qui montre bien qu’on est encore dans un secteur « vieillot ». Les femmes ont encore du mal à se faire leur place et subissent souvent du sexisme. Je l’ai vécu personnellement : certains transporteurs ne m’ont pas ouvert la porte parce que j’étais une femme ! Il faut faire ses preuves, montrer qu’on connaît son métier, qu’on sait ce qu’est un camion, bref qu’on est compétentes ! Il faut avoir envie…
AJ : Que vous a apporté le concours Créatrices d’avenir ?
Natacha Hulmel : Nous avons eu une formation d’une journée qui nous a permis de créer un réseau de femmes. J’ai été l’une des lauréates du prix « mixité », et cela m’a apporté pas mal d’articles. Les organisateurs m’ont sollicitée pour faire partie du jury et sélectionner des dossiers. Ce sont autant d’expériences intéressantes. Nous pouvons partager nos expériences d’entrepreneuses. Nous avons toutes les mêmes problèmes quand nous voulons faire des levées de fonds. Les banques d’investissements n’aiment pas voir une femme seule aux commandes d’une entreprise. Elles vous demandent si vous êtes mariée, si vous voulez avoir des enfants. Cela refroidit beaucoup. Je viens de créer une nouvelle société sur les lettres de voitures numériques. J’ai ce genre de difficultés quand je cherche des subventions.
AJ : Avez-vous l’impression que la situation des femmes entrepreneurs s’améliore ?
Natacha Hulmel : Les entrepreneuses qui sont sur le secteur du bien-être ou des cosmétiques ont moins de difficultés pour rentrer dans le marché. En revanche, face aux banques d’investissements, on a toutes les mêmes problèmes. J’aimerais vous dire que la mixité progresse et que les femmes entrepreneuses sont mieux acceptées, mais ce n’est pas mon ressenti. Je me demande parfois si ce n’est pas pire qu’avant ! Il faut continuer à se battre, nous avons toute notre place dans le monde de l’entreprise.
Référence : AJU015m2
