Absence de distinctivité de la marque Show time pour des services liés à l’événementiel

Publié le 06/07/2017

L’expression anglaise Show Time ne peut constituer une marque distinctive pour des services liés à l’événementiel. Compréhensible par le public français, elle est en effet descriptive desdits services.

CA Douai, 1re ch., 2e sect., 2 avr. 2017, no 16/03671

Une marque verbale peut être constituée de termes étrangers. Cette possibilité n’a pas été écartée par la loi Toubon du 4 août 19941, qui vise les « mentions et messages » enregistrés avec la marque2.

Une telle pratique n’exempte cependant pas le signe de la condition de distinctivité, qui sera appréciée autant sur le plan sensoriel que sur le plan conceptuel. Les termes choisis peuvent certes révéler des différences substantielles par rapport à la langue du public ciblé, par exemple au niveau de la prononciation, l’orthographe ou l’alphabet employé. Cela tendrait à leur conférer un caractère distinctif. Il se peut néanmoins qu’ils soient purement descriptifs ou génériques dans la langue en cause. Tout dépend de la capacité de compréhension du public pertinent vis-à-vis de celle-ci ou des mots qui sont utilisés. C’est ce que réaffirme la cour d’appel de Douai, de façon classique, dans son arrêt du 6 avril dernier. Les faits étaient relatifs à la marque verbale Show Time, jugée usuelle pour des services d’organisation de spectacle et d’événementiel. Si la solution d’espèce n’est pas nouvelle, elle fournit un nouvel exemple des spécificités propres aux marques déposées en langue étrangère3.

Leur distinctivité est strictement appréciée en fonction du degré de compréhension du public pertinent (I). En l’espèce, le caractère descriptif, en anglais, de la marque Show Time ne pouvait la rendre valable (II).

I – La stricte appréciation de la distinctivité des marques verbales en langue étrangère

Une marque verbale française peut parfaitement être formulée dans une langue étrangère ; elle ne doit pas moins être distinctive (A). Cette caractéristique sera déterminée en fonction de la capacité du public à comprendre le sens des mots qui sont employés (B).

A – La nécessaire distinctivité de la marque verbale en langue étrangère

Eugène Pouillet admettait qu’un terme étranger pouvait faire l’objet d’une propriété privative dès lors qu’il n’était pas entré « dans les habitudes commerciales », qu’il était « sans emploi, inusité », et donc à même de constituer « une dénomination de fantaisie »4.

Aucune disposition du Code de la propriété intellectuelle n’imposant l’emploi de la langue française dans une marque, le recours à un ou plusieurs termes étrangers peut donc être privilégié par les déposants. On admet que le choix d’une langue qui n’est pas parlée par les consommateurs moyens confère une présomption de distinctivité au signe5. Pour autant, un tel signe n’échappera pas aux limites fixées par l’article L. 711-2 du code, selon lequel « les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service » sont dépourvus de caractère distinctif. L’emploi d’une langue étrangère n’est pas un obstacle à l’application de cet article, et c’est pourquoi la présomption précitée peut être renversée. La traduction des termes peut en effet révéler le caractère descriptif ou générique des termes employés6.

Cette recherche, normalement effectuée au moment du dépôt7, fait appel à plusieurs paramètres linguistiques et factuels tenant au degré de compréhension du public.

B – Le degré de compréhension du public de la marque verbale en langue étrangère

Le degré de compréhension de la marque par le public ciblé a été érigé en critère par la jurisprudence.

Comme le sous-entendait Eugène Pouillet, on présume que le consommateur moyen jugera d’autant plus arbitraire un signe formulé dans une langue source qu’il ne connaît pas, ou peu. La marque aurait plus de chances d’être distinctive par rapport aux produits et services8. Il importerait peu que le terme soit générique ou descriptif dans la langue d’origine9. La Cour de justice de l’Union européenne est allée en ce sens10. L’ignorance du public ferait la distinctivité. À l’inverse, le consommateur qui a une bonne connaissance de la langue source sera plus à même d’en traduire les termes, et donc d’en déceler le caractère générique ou descriptif. Cela suppose que les mots employés aient bien ce caractère dans la langue en cause. L’appréciation de ce critère se fera au cas par cas, car elle dépend de la langue employée et de sa connaissance par le public pertinent, en fonction de sa situation. Celle-ci peut résulter de la coexistence de plusieurs aires linguistiques11, ou plus simplement du degré d’apprentissage dans une langue précise. Le degré de parenté des langues peut aussi impacter la perception des consommateurs. Il faut également prendre en considération les classes de produits ou services dans lesquelles elle a été demandée à l’enregistrement12. Enfin, la maîtrise imparfaite d’une langue étrangère n’exclut pas que certains mots, pris isolément, soient quand même compréhensibles par le grand public, ce qui permettra encore d’en écarter la distinctivité13. Ces mots peuvent avoir été popularisés dans des œuvres de l’esprit, comme des films ou chansons14, ou être devenus courants dans certains milieux15.

Au vu de ces paramètres, une marque en langue étrangère ne serait distinctive, pour un public à même de la comprendre, que si le sens des mots ou leur assemblage révèle un caractère arbitraire par rapport aux produits et services. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

II – Le caractère usuel de la marque Show Time pour des services événementiels

Fidèle à la construction jurisprudentielle précitée, la cour d’appel de Douai confirme l’absence de distinctivité de la marque Show Time au regard des services considérés, pour deux séries de raisons : que les termes soient pris isolément (A) ou comme un ensemble (B), ils revêtent un caractère usuel dans l’événementiel, aisément perceptible par le public français.

A – Show et Time, des termes descriptifs des services événementiels dans la langue anglaise

L’expression Show Time avait été déposée pour des services de la classe 41, à savoir « formation, divertissement, location de décors de spectacles ; organisation et conduite de colloques, conférences ou congrès ».

L’entreprise déposante de la marque a par la suite mis en demeure un concurrent de cesser d’utiliser cette expression dans ses supports publicitaires, puis l’avait assigné devant le tribunal de grande instance de Lille. Celui-ci a débouté l’entreprise de ses demandes, et constaté la nullité de la marque en cause, estimant qu’elle présente un caractère descriptif dans la langue anglaise et que les termes visés sont compris par le public français16. La cour d’appel a confirmé le jugement de première instance en considérant que les deux termes composant le signe étaient bien connus du public français au moment du dépôt. Ceux-ci relèvent d’un vocabulaire simple et courant. Ils figurent parmi les premiers mots d’anglais que peut connaître le consommateur français, comme cela a pu être relevé dans d’autres affaires17. De plus, leur polysémie est sans effet au vu des services précités. Le terme show, bien que comportant plusieurs acceptions dans la langue anglaise, renvoie bien au monde du spectacle. Cela est d’autant plus vrai qu’il est employé de façon courante, par le public français, exactement dans ce sens (« faire le show »). Le terme time, tout aussi banal, est compris comme signifiant le « temps », et renvoie à une référence temporelle. Là encore, il importe peu que celle-ci vise le « temps », de façon générale et abstraite, ou « l’heure », de façon plus précise. Même si l’on admettait que ce mot se distingue un peu plus des services événementiels, la seconde acception suffit pour faire le lien. Ces mots sont donc descriptifs, le public français étant à même d’en comprendre le sens.

Cet obstacle aurait pu, en théorie, être dépassé, si les mots avaient fait l’objet d’une association arbitraire.

B – Du Show Time à « l’heure du spectacle », un assemblage usuel pour les services visés par la marque

On sait qu’un assemblage de mots génériques ou descriptifs peut quand même être distinctif.

La Cour de justice de l’Union européenne en a établi le principe au niveau communautaire depuis son arrêt Baby Dry18. Mais l’ensemble ainsi formé devra reposer sur une syntaxe inhabituelle pour le public ciblé19, ou même dans la langue d’origine. Sa portée pourra encore varier en fonction de la compétence linguistique des consommateurs, des classes de produits ou services auxquelles la marque est associée, des habitudes du milieu considéré20, ou encore de la progression du niveau de compréhension du public21. L’emploi d’un autre alphabet peut aussi contribuer à la distinctivité du signe, en lui conférant un caractère semi-figuratif22. En l’espèce, la combinaison des termes Show et Time ne rattrape pas plus le défaut de distinctivité. Cette association est tout à fait courante sur le plan grammatical dans la langue anglaise. Dès lors, les juges estiment que l’expression sera automatiquement traduite comme qualifiant « le temps du spectacle », ou plus exactement « l’heure » du spectacle, et tout ce qui s’y rapporte.

Elle ne permet donc pas de distinguer les services proposés par l’entreprise déposante, ce qui justifie son annulation. Les demandes de la société déposante ne pouvaient donc prospérer.

Cet exemple nous démontre à quel point l’approche linguistique des marques verbales ajoute une dimension conceptuelle à la dimension sensorielle23, tant pour en établir que pour en dénier la distinctivité. L’ouverture à l’international, l’intégration du marché européen et la progression des compétences linguistiques des consommateurs invitent à cette sévérité, ce qui réduit les possibilités des déposants et les invite à plus d’imagination24. On rappellera que cette méthode d’appréciation peut aussi être mobilisée pour déterminer l’existence de similitudes entre deux marques formulées dans des langues différentes25, tout comme elle a pu être appliquée à d’autres signes distinctifs, tels le nom de domaine ou le nom commercial26.

Notes de bas de pages

  • 1.
    § 2.1.1. 5° de la circulaire du 19 mars 1996 concernant l’application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française.
  • 2.
    Gastinel V. et Levalet C., « Marques et slogans étrangers : que faut-il traduire ? », Légicom, n° 9, juill.-août-sept. 1995, p. 57 à 58.
  • 3.
    Sabatier M., « La marque en langues étrangères », Propr. industr. 2012, comm. 254 ; v. égal. : Bruzga C.-E. et Civera-Tomaselli C., « U.S. Trademarks Employing Foreign Terms », J. Pat. & Trademark Off. Soc’y, vol. 76, issue 8, august 1994, p. 571 à 578.
  • 4.
    Pouillet E., Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, 6e éd., 1912, Paris, Marchal et Godde, p. 45, p. 101-102.
  • 5.
    Azéma J. et Galloux J.-C., Droit de la propriété industrielle, 7e éd., 2012, Paris, Dalloz, p. 838.
  • 6.
    Pollaud-Dulian F., La propriété industrielle, 2011, Paris, Economica, p. 753-754.
  • 7.
    Passa J., Droit de la propriété industrielle, t. 1, 2e éd., 2009, Paris, LGDJ, p. 105-106.
  • 8.
    CA Paris, 4e ch. B, 30 janv. 2004, n° 01/07939 (Kinder, pour des sucreries) – CA Paris, 4e ch.°A, 19 janv. 2005 : PIBD 2005, III, p. 240 (Feel-Good, pour des vêtements) – TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 4 mai 2006 : PIBD 2006, III, p. 542 à 544 (en italien, Mondovino) – TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 19 sept. 2007, PIBD 2007, III, p. 674 à 679 (en japonais, Sakura pour du thé).
  • 9.
    CA Paris, 3 déc. 1979 : PIBD 1980, III, p. 29 (Antiblaze pour des extincteurs).
  • 10.
    CJCE, 9 mars 2006, n° C-421/04, Matratzen Concord AG c/ Hukla Germany SA : propr. intell. oct. 2006, p. 483 à 485, obs. Bonet ; Dr. et patr. oct. 2006, p. 112-113, obs. Velardocchio D.
  • 11.
    Ce qui inclut les langues régionales : CA Chambéry, 1re ch., 26 janv. 2004 : Juris-Data n° 2004-234143 ; Propr. industr. mai 2004, p. 27-28, note Trefigny P. (marque en provençal Farigoule).
  • 12.
    CA Paris, 5-2, 1er avr. 2011, n° 10/09735 : PIBD 2011, III, p. 365 à 369 (Pocket pour des livres) – TPICE, 4ech., 27 nov. 2003, n° T-348/02, Quick Restaurants SA c/ OHMI (Quick, pour des services de restauration rapide).
  • 13.
    CA Paris, 4e ch. A, 10 juill. 1985, n° L. 4953 : Ann., 1986, p. 242-243 (adjectif New) – TGI Paris, 3e ch., 1er sect., 20 juill. 2006, n° 05/08078 : PIBD 2006, III, p. 787 à 790 (Blind Test pour des jeux de devinettes).
  • 14.
    CA Paris, 24 janv. 1977 : PIBD 1977, III, p. 69 (sur le terme Story) – TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 5 avr. 2011, n° 09/17784 : PIBD 2011, III, p. 541 à 544 (Sea, popularisé par la chanson Sea, Sex and Sun).
  • 15.
    CA Paris, 4e ch. A, 31 oct. 2007, n° 06/18963 : D. 2008, p. 898, note Vignaud M. (Fooding).
  • 16.
    Dans un jugement du 21 avr. 2016, n° 15/01072.
  • 17.
    Pour le néologisme Cybershop, v. notre note sous CA Aix-en-Provence, 2e ch., 7 févr. 2014, n° 12/00473, SARL Nemesis c/ SARL Synolia : LPA 23 mai 2014, p. 7.
  • 18.
    CJCE, 20 sept. 2001, n° C-383/99, Procter and Gamble c/ OHMI : v. : Vilmart C., « La distinctivité des marques communautaires au regard de la jurisprudence communautaire », Propr. industr. 2002, p. 38 à 44.
  • 19.
    TGI Paris, 3e ch., 20 mai 1975 : Ann., 1976, p. 55 à 57 (Godfather) – CA Paris, 4e ch. A, 9 mars 2005, n° 05/18571 : PIBD 2005, III, p. 369 (Global document solution) – Cass. com., 10 juill. 2007 : PIBD 2007, III, p. 562 à 564 (Nutri-Rich) – Cass. crim., 8 janv. 2008, n° 07-82105 (Air Sport Gun).
  • 20.
    TGI Paris, 3e ch., 29 oct. 1999 : PIBD 2000, III, p. 141 à 143 (Corporate Publishing, courant dans le milieu de la publicité).
  • 21.
    CA Paris, 4e ch. A, 4 déc. 1995, n° 93/010025 : PIBD 1996, III, p. 191 à 192 (Digital, en informatique).
  • 22.
    CA Paris, 4e ch. A, 2 avr. 1997, n° 95/017999 (ajout de caractères chinois), cité par Sabatier M., préc., p. 254.
  • 23.
    Gastinel V. et Levalet C., préc., p. 59.
  • 24.
    Sabatier M., préc., p. 246.
  • 25.
    V. nos précédentes analyses sous CJUE, 8e ch., 20 nov. 2014, nos C-581/13 P et C-582/13 P, Intra-Presse SAS c/ OHMI et Golden Balls Ltd : LPA 17 juin 2015, p. 10 (Ballon d’or c/ Golden Balls), et Conseil d’État de la République Hellénique, 15 août 2015, n° 1238/2015 : LPA 10 févr. 2016, p. 8 (Red Bull c/ Τρελός Ταύρος).
  • 26.
    TGI Paris, 3e ch., 3e sect., soc., 13 nov. 2015, Vizion’Air c/ Minigroup ; Comm. UE, avr. 2016, p. 9 à 12, et notre note (Droneshop).
LPA 06 Juil. 2017, n° 127g0, p.10

Référence : LPA 06 Juil. 2017, n° 127g0, p.10

Plan
X