Du « domicile » de la personne physique au sens de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle

Publié le 01/08/2016

En matière de recours contre une décision du directeur général de l’INPI, est irrecevable à agir le demandeur qui, dans sa déclaration d’appel, communique une adresse professionnelle correspondant à une boîte postale en ce que celle-ci ne peut être considérée comme un « domicile » au sens de l’article R. 411-21, 1. a) du Code de la propriété intellectuelle.

CA Aix-en-Provence, 14 janv. 2016, no 15/05056, M. A. c/ SARL MEM, INPI, Ministère public d’Aix-en-Provence

1. Suite à une opposition de la SARL MEM, M. A. forme une contestation contre la décision du directeur général de l’INPI ayant partiellement rejeté sa demande d’enregistrement de marque. Dans sa déclaration d’appel, le demandeur indique sa supposée adresse professionnelle, laquelle correspond en réalité à une boîte postale. La SARL MEM de soulever l’irrecevabilité à agir du demandeur ; selon elle, une adresse professionnelle qui, de surcroît, n’est autre qu’une boîte postale, ne peut être considérée comme un « domicile » au sens de l’article R. 411-21, 1. a) du Code de la propriété intellectuelle.

2. Ce texte énonce que si le requérant est une personne physique – ce qui est le cas en l’espèce – sa déclaration d’appel doit comporter la mention de son « domicile », et ce « à peine d’irrecevabilité prononcée d’office ».

3. Dans un arrêt du 14 janvier 20161, la cour d’appel d’Aix-en-Provence va décider qu’au sens de l’article R. 411-21, la notion de « domicile » de la personne physique doit être entendue comme « le lieu où réside de manière effective et à titre personnel l’auteur du recours ». Cette définition, offerte par les juges aixois, repose sur deux conditions cumulatives : il s’agit à la fois du lieu de résidence effective (I) et personnelle (II) d’un individu.

I – La condition de résidence effective

4. En avançant qu’au sens de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, le domicile d’une personne physique est « le lieu où réside de manière effective (…) l’auteur du recours », la cour d’appel d’Aix-en-Provence semble s’inspirer de la définition légale française du domicile. En effet, considérer le domicile comme « le lieu où réside de manière effective » un individu revient à dire, tel que l’énonce l’article 102 du Code civil, qu’il s’agit du « lieu où il a son principal établissement ».

5. Selon une jurisprudence constante, la détermination du domicile d’une personne physique relève, en droit civil, de l’appréciation souveraine des juges du fond2 qui, pour ce faire, se fondent sur des éléments de fait3. Parmi ces derniers, la Cour de cassation considère la réception de correspondances comme un élément factuel permettant l’identification du domicile d’une personne physique4.

Si l’on s’en tient à cette simple considération, nous pouvons alors penser qu’une boîte postale peut constituer un domicile en tant qu’elle permet la réception de courriers. Toutefois, il n’en reste pas moins que les juges vont, en premier lieu, s’attacher à des éléments beaucoup plus révélateurs comme l’installation durable d’un individu en un lieu5, ce qui fait alors échec à l’idée selon laquelle une simple boîte postale pourrait être considérée comme un domicile.

6. En tant qu’instrument d’identification sociale de la personne6, le domicile est unique7. L’on parle de principe d’unicité qui conditionne le domicile à un double caractère de fixité et de permanence8.

Ajoutons que la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne semble pas considérer que seul le domicile légal puisse être mentionné dans une déclaration d’appel contre une décision du directeur de l’INPI. Le domicile légal, « domicile spécial et purement fictif choisi pour attribuer compétence à un tribunal (…) »9, n’est pas forcément « le lieu où réside de manière effective l’auteur du recours ». Du reste, l’article R. 411-21, 1. a) ne précise aucunement la nature du lieu devant être mentionné dans la déclaration d’appel, se limitant à la simple énonciation du terme de « domicile ».

7. Si « le lieu où réside de manière effective l’auteur du recours » n’est pas nécessairement son domicile légal, rien ne s’opposerait, semble-t-il, à ce que le demandeur fasse mention dans sa déclaration d’appel du domicile apparent. Celui-ci suppose « la présence régulière d’une personne en un lieu »10 ; autrement dit, il est effectivement présent en ce lieu de manière régulière et constante, ce qui correspond tout à fait à l’idée de « résidence effective ».

8. Outre cette première condition, la notion de domicile de la personne physique, au sens de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, doit aussi être entendue comme « le lieu où réside (…) à titre personnel l’auteur du recours ».

II – La condition de résidence personnelle

9. Ce second critère, par l’emploi de l’expression « à titre personnel », amène à considérer qu’au sens de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle, le domicile de la personne physique est le lieu où celle-ci s’adonne à ses activités strictement personnelles et intimes. Il ne pourrait donc, d’après les juges aixois, s’agir d’une adresse professionnelle où un individu pourrait tout autant être présent « de manière effective ».

10. Ici, la cour d’appel d’Aix-en-Provence fait référence à l’adresse personnelle d’une personne physique, à son domicile personnel qui appartient au domaine de la vie privée11.

Cette conception peut paraître assez restrictive à l’heure où la Cour européenne des droits de l’Homme considère que le bureau d’une personne exerçant une profession libérale peut être considéré comme un domicile au sens de l’article 8 de la Convention12.

De même, l’on sait que l’exercice d’une activité professionnelle constitue également un élément d’identification du domicile d’une personne physique13. Or ici, pour écarter l’argument du demandeur selon lequel l’adresse indiquée dans le recours « n’est ni erronée, ni fictive, et est valable » en ce qu’elle « est l’adresse professionnelle à laquelle il a fait enregistrer son activité d’auto-entrepreneur, laquelle est liée à sa demande d’enregistrement de marque », la cour d’appel relève que le demandeur « ne rapporte pas la preuve qu’il exerce à cette adresse sa prétendue activité d’auto-entrepreneur, alors au surplus que dans son recours il indiquait “profession : sans emploi” ».

11. Les juges aixois excluent donc de la notion de domicile de la personne physique les domiciles spéciaux, tel le domicile commercial. Ce dernier se caractérise comme étant, non pas un espace d’habitation au sens commun du terme, mais un lieu où une personne exerce son activité professionnelle principale14. Le domicile commercial n’est donc pas un lieu de résidence personnelle, en ce que ce dernier terme renvoie sémantiquement à la sphère privée ; l’activité professionnelle, quant à elle, est élément de la vie publique d’un individu15.

12. L’exclusion de l’adresse professionnelle du champ de l’article R. 411-21 peut sembler étrange en ce que le droit des marques est un domaine juridique relevant, en premier lieu, de l’activité professionnelle et économique. Mais nous pouvons supposer qu’en tant qu’il est question ici du domicile d’une personne physique, les juges palois ont mis la focale sur le domicile privé en tant qu’instrument d’identification sociale des individus.

13. Une boîte postale ne peut donc être considérée comme le domicile d’une personne physique et la mention d’une telle adresse dans la déclaration rend le recours irrecevable : personne ne déjeune, ne dîne, ne dort, etc. dans une boîte postale ! L’irrecevabilité ne peut de surcroît être réparée dans l’exposé des motifs déposé dans le mois de la déclaration : l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle constitue une disposition spéciale qui exclut toute application de l’article 126 du Code de procédure civile16, les formalités qu’il prévoit sont sanctionnées par le prononcé d’office de l’irrecevabilité du recours, sans même que la cour d’appel n’ait à rechercher l’existence éventuelle d’un grief17.

14. In fine, il ressort de cette appréciation prétorienne de la notion de domicile de la personne physique que seul un lieu relevant de la sphère privée, c’est-à-dire l’espace où un individu n’exerce a priori aucune activité liée à sa vie publique, et dans lequel sa présence est régulière, peut être constitutif d’un domicile au sens du 1. a) de l’article R. 411-21 du Code de la propriété intellectuelle.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L’intégralité de cette décision est disponible à la Revue de propriété intellectuelle du Sud-Est : www.rpise.fr
  • 2.
    Cass. 1re civ., 12 févr. 1980 : Bull. civ. I, n° 50 – Cass. 1re civ., 22 nov. 1989 : Bull. civ. I, n° 359.
  • 3.
    Cass. req., 21 nov. 1905 : DP 1906, 1, p. 20.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 25 juin 1980 : Bull. civ. I, n° 199.
  • 5.
    Cass. req., 21 nov. 1905 : DP 1906, 1, p. 20 – Cass. 1re civ., 18 nov. 1969 : Bull. civ. I, n° 349 – Cass. 1re civ., 24 juill. 1973 : Bull. civ. I, n° 253.
  • 6.
    Teyssié B., Droit civil. Les personnes, 17e éd., 2015, LexisNexis, Manuel, p. 262, n° 339. L’auteur renvoie à ce sujet à : Halde, délib., n° 2011-121, 18 avr. 2011 : RTD civ. 2011, p. 508, obs. Hauser.
  • 7.
    Cass. req., 1er févr. 1911 : DP 1913, 1, p. 400.
  • 8.
    Terré F. et Fenouillet D., Droit civil. Les personnes. Personnalité, incapacité, protection, 8e éd., 2012, Précis Dalloz, p. 201, n° 202.
  • 9.
    Teyssié B., op. cit., n° 429, p. 272.
  • 10.
    Ibid., n° 428, p. 272.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 6 mars 1996 : D. 1997, p. 7, note Ravanas.
  • 12.
    CEDH, 24 juill. 2008 : JCP G 2008, 10182, note Louit.
  • 13.
    Cass. req., 29 juill. 1936 : DH 1936, p. 474.
  • 14.
    Cass. com., 15 nov. 1965 : Bull. civ. III, n° 575.
  • 15.
    Cass. soc., 2 nov. 1991 : Bull. civ. V, n° 519 ; D. 1992, p. 73, concl. Chauvy ; RTD civ. 1992, p. 365, obs. Hauser ; RTD civ. 1992, p. 418, obs. Gautier ; Dr. soc. 1992, p. 28, rapp. Waquet.
  • 16.
    Cass. com., 17 juin 2003 : Bull. civ. IV, n°102 ; D. 2003, p. 2176, obs. Durrande.
  • 17.
    Cass. com., 9 oct. 2001 : Ann. propr. ind. 2002, 4.
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