Responsabilité civile professionnelle – conseil en investissements financiers – sinistre sériel
T. com. Paris, 15 déc. 2016, no 2015000166
M. Richard G. a réalisé en décembre 2009 un investissement outre-mer à finalité défiscalisante en souscrivant au capital d’une société en participation ayant pour objet essentiel d’acquérir une centrale photovoltaïque devant être louée à un exploitant à la Réunion. Le montant du capital souscrit a été versé à la société Diane, conseiller en investissements financiers, gérante de la SEP, qui a réalisé et suivi l’opération d’investissement.
Le 22 avril 2010, Diane a adressé à M. Richard G. une attestation fiscale l’invitant à reporter sur sa déclaration de revenus de l’année 2009 la somme de 9 375 € à titre de réduction d’impôt. Le 15 octobre 2012 le fisc a proposé à M. Richard G. une rectification de 9 375 € en principal outre intérêt de retard et majoration.
En mai 2014 M. Richard G. a assigné Diane et son assureur de responsabilité civile, réclamant 18 672 € de dommages-intérêts, puis, après déclaration de sa créance, a mis en cause le mandataire liquidateur de Diane placée en liquidation judiciaire.
Le tribunal reconnaît la faute de Diane, l’acquisition de la garantie de l’assureur et fait partiellement droit aux demandes de M. Richard G. aux motifs suivants :
Sur les fautes de DIANE
Il résulte des débats et des pièces produites que DIANE est un cabinet de conseil en investissements financiers, enregistré à ce titre auprès de la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers (CNCIF) et qu’elle est la gérante statutaire de la SEP 4 Solair, qu’elle est dotée d’un département juridique (Simpladmi) et est en outre tenue d’une mission d’assistance fiscale vis-à-vis du demandeur.
Le tribunal observe que, s’agissant de l’assistance fiscale et du suivi de l’investissement outre-mer, la faute invoquée de DIANE doit être appréciée au moment où l’attestation a été délivrée.
À la date du 22 avril 2010, DIANE a appliqué l’instruction 5B-2-07 du 30 janvier 2007 qui dispose en son article 148 : « le premier alinéa de l’article 95 Q de l’annexe I prévoit que l’année de la réalisation de l’investissement s’entend de l’année au cours de laquelle l’immobilisation est créée, c’est-à-dire achevée, par l’entreprise ou lui est livrée au sens de l’article 1604 du code civil ».
Cet article 1604 dispose : « la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et la possession de l’acheteur ». Sur cette base, DIANE a considéré que la livraison, entendue dans cette acception, a eu lieu avant le 31 décembre de l’année de la seule remise des immobilisations à l’acquéreur.
Le tribunal constate qu’en faisant l’interprétation contenue dans son courriel du 4 décembre 2012, DIANE a omis de considérer que l’instruction précitée du 30 janvier 2007, précise également en son article 22 que « la notion même d’investissement productif implique l’acquisition ou la création de moyens d’exploitation, permanents ou durables capables de fonctionner de manière autonome ».
Il constate également que DIANE n’a pas pris en compte les arrêts du Conseil d’État des 10 juillet 2007 et 4 juin 2008, qui rappellent que la réduction d’impôt au titre d’un investissement productif neuf en outre-mer éligible au dispositif légal du 20e alinéa de l’article 199 undecies B du CGI, doit être pratiquée l’année au titre de laquelle l’investissement est réalisé et que l’avantage fiscal ne peut être revendiqué qu’à partir de la date laquelle l’investissement peut faire l’objet d’une exploitation effective et par suite être productif de revenus.
Il retient, qu’en omettant de prendre connaissance de ces jurisprudences et de l’exacte teneur des différents textes visés, ou à tout le moins en ne jugeant pas utile de demander un rescrit préalable auprès de l’administration fiscale, avant d’effectuer la commercialisation de produits de défiscalisation outre-mer auprès de contribuables métropolitains, DIANE a fait preuve d’une grave négligence. Celle-ci constitue une faute mettant en cause sa responsabilité civile à l’égard des investisseurs.
DIANE, gérante de la SEP et ayant un représentant à la Réunion, se devait enfin de contrôler auprès des opérateurs locaux, avant de délivrer l’attestation, que les conditions de la défiscalisation au sens de l’article 199 undecies B du CGI étaient réunies.
Le tribunal retient donc que DIANE, qui ne démontre pas avoir effectué ce contrôle, a commis un manquement, constitutif d’une faute, dans sa mission d’assistance fiscale et de suivi de l’investissement outre-mer.
Sur le préjudice de M. Richard G.
Sur le redressement fiscal
Le tribunal retient qu’il résulte de l’analyse ci avant des fautes de DIANE, qu’elles ont eu pour conséquence la déclaration de M. Richard G., au titre de ses revenus, d’une déduction fiscale d’un montant de 9 375 €.
L’administration fiscale constatant qu’il ne pouvait y prétendre, M. Richard G. a dû payer la somme correspondante outre les intérêts de retard pour un montant de 735 €, soit au total 10 110 €.
MMA soutient que le principal d’un impôt ne constitue pas un préjudice et que pour se prévaloir d’une indemnisation M. Richard G. doit démontrer qu’il aurait pu obtenir une défiscalisation équivalente à celle querellée.
Mais, le tribunal constate que, dans le cas d’espèce, il n’est pas demandé une indemnisation pour un préjudice découlant d’un paiement auquel un contribuable est légalement tenu, mais d’une indemnisation pour les conséquences d’une faute commise par DIANE, entraînant la perte d’un avantage fiscal spécialement prévu par la loi sous le nom de dispositif G., alors même que la société DIANE avait une mission d’assistance fiscale et de conseil financier.
Il n’appartient pas à M. Richard G. de démontrer qu’il aurait pu obtenir une défiscalisation équivalente dans un autre investissement, d’autant que DIANE, conseil en investissement financier a failli à son devoir de conseil en s’abstenant de lui en présenter.
Au visa de l’article 1382 du Code civil, l’auteur d’un dommage doit en réparer les conséquences. Le tribunal constate que, du fait des fautes dont DIANE s’est rendue coupable M. Richard G. a été privé du droit à la déduction fiscale promise. Ainsi qu’en a décidé la Cour de cassation dans une espèce voisine (Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, n° 13-17599), Diane doit donc indemniser la partie défenderesse de la totalité du préjudice qu’elle a subi par sa faute.
En conséquence, le tribunal condamnera DIANE à payer à la partie défenderesse, la somme de 10 110 €.
Sur la garantie due par l’assureur
Il n’est pas contesté que DIANE bénéficiait au moment des faits de l’assurance souscrite par la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers pour le compte de ses propres membres.
En application de l’article L. 124-3 du Code des assurances M. Richard G. dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité de DIANE.
Il convient donc d’analyser dans quelle mesure les conditions de mise en jeu de la police n° 11278890 sont réunies dans la présente espèce.
Sur l’application de la garantie en raison des activités exercées
MMA expose que ne sont couvertes que les activités de ses membres qui relèvent d’une pratique de conseiller en investissements financiers (CIF).
Il n’est pas contesté que DIANE avait la qualification de conseiller en investissements financiers et, au moment des faits de la cause, était membre de la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers.
Mais, dans le cas d’espèce, DIANE est intervenue en qualité de conseiller en investissement et aussi de monteur en produit de défiscalisation.
Le tribunal retiendra précisément la responsabilité de la société DIANE pour avoir fourni à M. Richard G. des attestations et des informations précises sur les mentions à reporter dans sa déclaration d’impôt 2009 qui se sont avérées erronées, comme cela a été établi ci avant et ne lui avoir proposé aucune solution alternative d’investissement.
Ces chefs de responsabilité retenus par le tribunal correspondent très exactement à deux des activités explicitement citées dans la liste de celles assurées par la police n° 122788909, à savoir « Assistance ou accompagnement concernant les déclarations fiscales ».
Le tribunal dira en conséquence que la police d’assurance de responsabilité n° 112788909 convenue entre MMA et la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers est applicable au sinistre objet de la cause et en particulier au préjudice indemnisable de M. Richard G.
Sur les limitations de garantie et la franchise
Le tribunal ayant écarté les demandes de M. Richard G. concernant la perte des sommes investies, et le préjudice moral, a retenu le montant du préjudice indemnisable de M. Richard G. consécutif aux fautes mettant en jeu la responsabilité de la société DIANE, à la somme de 10 110 €.
Toutefois, les franchises et plafonds du contrat d’assurance sont opposables aux tiers lésés, en application de l’article L. 112-6 du Code des assurances.
La police d’assurance souscrite par DIANE stipule, par sinistre, une franchise de 15 000 € et un plafond de garantie de 3 M€.
MMA soutient être appelée en garantie par de nombreux anciens clients de DIANE, victimes de redressements fiscaux, et que, dans le cas d’espèce, cette mise en cause de la responsabilité de la société DIANE constitue un seul sinistre sériel en application de l’article L. 124-1-1 du Code des assurances qui dispose qu’« au sens du présent chapitre, constitue un sinistre sériel tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l’assuré, résultant d’un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique » ; qu’en effet, dans le cas d’espèce, les faits dommageables sont constitués par les documents remis par DIANE à ses souscripteurs à l’attention de l’administration fiscale – que celle-ci a contestés, un défaut de vérification de l’avancement effectif des travaux des centrales, une erreur d’interprétation par DIANE de l’article 119 undécies B du Code général des impôts malgré l’existence de jurisprudence claire.
MMA déduit du caractère sériel du sinistre qu’il convient de faire masse de l’ensemble des réclamations et dommages et intérêts réclamés et retenus, et d’appliquer la franchise et le plafond contractuel à cette masse. Dans l’ignorance des sommes auxquelles elle sera condamnée, MMA propose de séquestrer les fonds à la CARPA, qui les conservera dans l’attente des décisions définitives tranchant différentes réclamations formées à l’encontre de DIANE et procédera, une fois ces décisions acquises, à la répartition au marc le franc des fonds séquestrés entre les ayants droits.
Mais, la CARPA ne connaît pas les réclamations introduites par différents actionnaires de SEP 4 Solair et n’a aucun moyen de les connaître, sauf à ce que MMA les lui révèle ; qu’elle n’a pas davantage de moyens de connaître les décisions de dédommagement devenues définitives ; que le dénouement de la procédure proposée par MMA, outre sa durée incertaine, se révèle ainsi largement potestatif.
À l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire, MMA a indiqué que si le montant total des réclamations dont elle est saisie – et qu’elle conteste – excède le plafond de garantie, ce total reste une addition de demandes, qu’au demeurant elle seule connaît puisqu’elle ne donne aucune information à ce propos, au moins au tribunal. En tout état de cause, ce qui importe, ce ne sont pas les demandes mais les condamnations à indemnisation par l’assureur auxquelles elles ont donné lieu. MMA indique que le montant cumulé de ces condamnations est à ce jour très inférieur à ce plafond de garantie de 3 M€.
Le montant de la franchise globale de 15 000 € doit être réparti entre tous les ayants droits, tout au moins entre ceux qui sont connus.
M. Richard G., à l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire, évoque les décisions du tribunal de commerce de Nanterre et celle du tribunal de commerce de Paris.
S’agissant de celles du tribunal de commerce de Nanterre, la juridiction a considéré que les sinistres n’étaient pas sériels et déduit dans chaque cas le montant plein de la franchise de 15 000 € du montant de chaque condamnation. Il ne peut donc en l’espèce être fait masse des montants des condamnations prononcées par ce tribunal pour répartir la franchise de 15 000 €.
S’agissant du jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 25 octobre 2016, il fait état de l’indication donnée par le concluant d’un ordre de grandeur d’une centaine d’affaires pendantes devant ce tribunal. M. Richard G. demande en conséquence au tribunal, « en présence d’un sinistre sériel dont la preuve paraît cette fois-ci rapportée… [de faire] application de la franchise de 150 € (et non de 15 000) correspondant à une juste répartition proportionnelle entre les différents demandeurs du poids de cette franchise globale de 15 000 € ».
Mais, le tribunal relève que d’une part le nombre d’affaire cité n’est pas établi, qu’il est d’ailleurs qualifié d’ordre de grandeur, que s’agissant d’affaires pendantes elles ne font donc l’objet que de demandes et pas de décisions, et constate que la décision citée, qui n’est pas définitive, ayant déduit une somme de 150 € au titre de la franchise du requérant, la consolidation avec la présente instance, à supposer qu’elle soit possible, serait d’un intérêt limité à cette somme.
Cependant, cinq instances dont la présente, introduites par le même conseil, font l’objet d’audiences du juge chargé d’instruire l’affaire de la même chambre de ce tribunal, le même jour. Toutes les parties conviennent que ces cinq sinistres qui ont la même cause présentent un caractère sériel. Les instances correspondantes ont toutes été introduites en 2014.
Le tribunal dira en conséquence qu’il y a lieu de faire masse des condamnations qu’il prononcera pour ces cinq affaires et de répartir la franchise de 15 000 € entre les demandeurs, au marc le franc des condamnations prononcées à l’égard des défenderesses.