En l’absence d’autres éléments accompagnant la signature, l’aval signé par le dirigeant de société l’engage personnellement
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 15 février 2023, un arrêt assez classique qui rappelle que le dirigeant de société est personnellement engagé lorsqu’il signe un aval sans aucune autre précision.
Cass. com., 15 févr. 2023, no 21-22990
Les faits sont assez simples. Un dirigeant de société avalise un billet à ordre émis par cette société par une simple signature au recto du billet.
La société étant placée en liquidation judiciaire, le bénéficiaire du billet assigne le dirigeant en paiement de l’effet de commerce mais il est débouté en cause d’appel. Les juges du fond estiment que le dirigeant a, le lendemain de l’émission du billet, adressé au bénéficiaire un billet rectifié qui précise bien que l’avaliste s’engage en qualité de dirigeant du souscripteur. Dès lors, le demandeur, bénéficiaire du billet, ne pouvait pas se méprendre sur la volonté du dirigeant d’avaliser le billet, non pas en son nom personnel, mais au nom et pour le compte de la société. Le bénéficiaire se pourvoit en cassation et soutient que le dirigeant était engagé en son nom personnel, étant donné que celui-ci a signé le billet à ordre sans aucune autre précision.
La chambre commerciale de la Cour de cassation censure les juges du fond. Au visa des articles L. 511-12 et L. 512-4 du Code de commerce, elle rappelle tout à fait logiquement que le dirigeant de société qui avalise, par sa seule signature, un billet un ordre, est engagé à titre personnel. Dans l’affaire, le billet à ordre émis par le souscripteur ne comporte que la signature de l’avaliste, ce qui implique qu’il est seul tenu en qualité de donneur d’aval. La cour régulatrice confirme ainsi le principe de l’engagement personnel du dirigeant de société avaliste (I), principe qui tombe en cas de mentions contraires (II).
I – Principe d’engagement personnel du dirigeant avaliste
Dans cet arrêt rendu le 15 février 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise que, par sa seule signature du billet à ordre, le dirigeant, et non la société, est tenu en qualité d’avaliste. En conséquence, elle réaffirme le principe d’engagement personnel du dirigeant de société qui avalise un billet à ordre émis par cette société.
L’aval est un engagement pris par une personne, appelée avaliste ou donneur d’aval, de payer tout ou parti d’une dette préexistante en cas de défaillance, à l’échéance, du débiteur garanti. C’est une sorte de « cautionnement cambiaire »1. En matière de billet à ordre2, un des nombreux effets de commerce, l’aval a une importance particulière en raison, notamment, de la faible circulation du billet3. L’aval est soumis au formalisme ad validitatem4 suivant : soit il est signé au recto du document5 ; soit il est signé au verso, signature qui doit être précédée de la mention « bon pour aval » ou de toute autre formule équivalente6. Dans l’affaire, l’aval avait bien été signé au recto par l’avaliste. Mais la question fondamentale qui se posait était de savoir si le signataire s’engageait en son nom ou au nom et pour le compte d’autrui. La solution posée est claire : en présence de la seule signature, le donneur d’aval s’engage en son nom personnel.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation dépasse la simple hypothèse du dirigeant de société étant donné que son attendu est formulé de manière générale. Dès lors, tout avaliste qui s’engage en signant le billet à ordre est tenu personnellement. Cette solution n’est ni nouvelle7 ni contestable. Le donneur d’aval ayant apposé sa signature sans aucune autre précision, un doute émane sur son intention : veut-il s’engager personnellement ou au nom et pour le compte d’autrui ? Par sa seule signature, l’avaliste n’agit pas, semble-t-il, au nom de la société. La signature caractérise uniquement l’acceptation du dirigeant et non celle de la personne morale. Si le dirigeant agit très probablement pour le compte de la société, il ne fait aucun doute qu’il n’accepte pas l’aval au nom de celle-ci. Or, quand un représentant agit pour le compte d’autrui mais en son nom propre, il est seul engagé. Par conséquent, la chambre commerciale de la Cour de cassation applique rigoureusement et exactement l’alinéa 2 du nouvel article 1154 du Code civil8. Néanmoins, la société peut tout de même, à certaines conditions, être engagée par la signature du dirigeant.
II – Possibilité d’engagement de la société par le dirigeant
La chambre commerciale de la Cour de cassation précise que l’avaliste est seul tenu par sa signature à la condition qu’aucun élément n’accompagne celle-ci. En d’autres termes, elle admet que la société puisse être engagée par la signature du dirigeant si celle-ci n’est pas isolée.
Il est nécessaire que les éléments présents en sus de la signature en question montrent que l’avaliste agit en qualité de mandataire, si l’on interprète l’arrêt rendu le 15 février 2023 par la chambre commerciale. C’est conforme à la physionomie du contrat de mandant qui n’engage, en principe, que le mandat lorsqu’un contrat est conclu entre le mandataire et un tiers au mandat. Quels peuvent être ces éléments ? En règle générale, il suffit que l’avaliste inscrive, au-dessus de sa signature, la mention « en tant que dirigeant de »9. Mais les juges du fond apprécient au cas par cas10. Par exemple, il a été jugé que l’apposition du cachet de la société au-dessus de la signature ne démontre pas que le dirigeant s’engage au nom et pour le compte de la personne morale11. Il faut donc être très précis lors de la signature de l’aval. Si le dirigeant souhaite s’engager personnellement, une simple signature au recto, ou bien une signature précédée de la mention « bon pour aval » au verso, suffit. À l’inverse, si le dirigeant souhaite engager la société qu’il représente, il doit bien montrer qu’il s’engage en son nom, par tous les moyens possibles. Dans l’affaire, on comprend l’heureuse cassation pour le bénéficiaire de l’aval : le souscripteur du billet étant en liquidation judiciaire, il ne restait que l’avaliste pour payer. Et quelle chance, l’avaliste est bien personnellement tenu de l’aval selon la cour régulatrice. Voilà donc un heureux bénéficiaire, grâce à une décision somme toute classique et logique.
Notes de bas de pages
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1.
T. Granier, P. Le Cannu et R. Routier, Droit commercial. Instruments de paiement et de crédit. Titrisation, 9e éd., 2016, Dalloz, n° 478, p. 395.
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2.
Les dispositions de l’article L. 511-21 du Code de commerce, relatives à l’aval en matière de lettre de change, sont applicables au billet à ordre (v. C. com., art. L. 512-4).
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3.
En ce sens : A. Couret et a. (dir.), Formulaire le Lamy Droit du financement, n° 3395.
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4.
Le défaut de signature est sanctionné par la nullité de l’aval (v. CA Versailles, 3e ch., 2 juin 1989, n° 86/5950, Jedlicki c/ Sté Intergrafica).
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5.
v. C. com., art. L. 511-21, al. 5.
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6.
v. C. com., art. L. 511-21, al. 4.
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7.
V. par ex. Cass. com., 6 oct. 1998, n° 95-13496 : Bull. civ. IV, n° 226, p. 188 ; RTD com. 1999, p. 164, obs. M. Cabrillac – Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-20504, D : RD bancaire et fin. 2012, étude 7, par A. Quinquerez ; Banque et droit 11-12/2011, p. 15, obs. T. Bonneau.
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8.
« Lorsque le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom, il est seul engagé à l’égard du cocontractant ».
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9.
Cela a été accepté par la Cour de cassation (v. Cass. com., 14 mars 2018, n° 16-27869, D : LEDB mai 2018, n° DBA111j2, obs. J. Lasserre Capdeville).
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10.
En ce sens : J. Issa-Sayegh et N. Mathey, JCl. Commercial, Fasc. 430, n° 36 ; D. Giribila, Rép. civ. Dalloz, v° Aval, 2018, n° 94.
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11.
V. CA Paris, ch. 3, 25 févr. 1982, Tessier c/ SA Artéa.
Référence : AJU008w7