Incidence de l’erreur sur la dénomination sociale dans un acte de procédure
La Cour de cassation relativise l’erreur sur la dénomination sociale dans un acte de procédure en retenant qu’elle n’affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu’un vice de forme, lequel ne peut entraîner la nullité de l’acte que sur justification d’un grief. Les juges suprêmes adoptent ainsi une position clémente à l’égard de la société qui se trompe sur sa propre dénomination dans un acte de procédure, confortant ainsi une jurisprudence constante.
Cass. 2e civ., 4 févr. 2021, no 20-10685, ECLI:FR:CCAS:2021:C200107
L’erreur est humaine et le pardon, « judiciaire », serait-on tenté de paraphraser Alexander Pope1. C’est du moins la leçon qu’on peut tirer de cet arrêt qui est d’autant plus cocasse qu’en l’espèce, l’erreur sur la dénomination sociale provient de la société elle-même.
Selon les faits de l’espèce, à la suite de l’annulation de l’arrêté lui refusant le permis de construire sur un terrain acquis auprès de la commune de Saint-Firmin, la société L’Araignée de la roche a assigné devant un tribunal de grande instance ladite commune à fin d’obtenir l’annulation de la vente.
Elle a été déboutée de ses demandes par le tribunal. Elle a ensuite interjeté appel au nom de la société L’Araignée sous la roche.
Par une ordonnance du 28 mai 2019, le conseiller de la mise en état a dit nulle la déclaration d’appel et irrecevables les conclusions déposées par la « SCI L’Araignée sous la Roche ».
La société L’Araignée de la roche a déféré cette ordonnance à la cour d’appel qui a rejeté sa demande. Elle s’est alors pourvue en cassation arguant que la cour d’appel a violé les articles 114 et 117 du Code de procédure civile en décidant que la procédure concernerait une société inexistante dépourvue de capacité d’ester en justice alors « qu’une erreur relative à la dénomination de la personne morale ne la prive pas de la capacité d’ester en justice, qui est attachée à la personne quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu’une simple irrégularité de forme susceptible d’être régularisée ».
La haute juridiction admet son argumentation et souligne qu’en vertu des articles précités, dans un acte de procédure, l’erreur relative à la dénomination d’une partie n’affecte pas la capacité à ester en justice qui est attachée à la personne, quelle que soit sa désignation, et ne constitue qu’un vice de forme (I), lequel ne peut entraîner la nullité de l’acte que sur justification d’un grief (II).
I – La qualification juridique de l’erreur sur la dénomination sociale
Il arrive de se tromper, même sur sa propose dénomination sociale. Heureusement que les juges suprêmes ont fait preuve de clémence à l’endroit de la société dont l’erreur a été faite sur son propre nom.
En effet, dans cette affaire, la société L’Araignée de la Roche a interjeté appel d’un jugement rejetant sa demande au nom de l’Araignée sous la roche. La cour d’appel a alors jugé que cette dernière n’avait pas la capacité à ester en justice car il s’agirait dès lors de deux sociétés distinctes. La société l’Araignée sous la roche n’aurait donc pas la capacité à ester en justice.
Cette position de la cour d’appel, d’une grande sévérité, est sanctionnée par la Cour de cassation qui estime qu’en l’occurrence, il s’agit d’un simple vice de forme qui n’affecte pas la capacité d’ester en justice qui est attachée à la personne. Un tel vice de forme, comme l’indique l’article 114 du Code de procédure civile, ne peut entraîner la nullité de l’acte que sur justification d’un grief.
La solution est classique dans son principe en ce que la même chambre a déjà rendu une décision similaire relative à l’erreur matérielle sur la forme sociale et sur l’organe habilité à représenter la société en justice. Ainsi, dans un arrêt inédit du 17 octobre 20192, la même chambre avait estimé que « l’erreur matérielle relative à la forme de la personne morale, qui ne met pas en cause l’existence de celle-ci, et l’omission de l’organe habilité à la représenter en justice, relevées dans la déclaration d’appel, constituent des vices de forme dont la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui les invoque de prouver l’existence de griefs ».
Néanmoins, en l’espèce, dans la mesure où la société s’est elle-même trompée sur sa dénomination, on aurait pu penser que la Cour sanctionnerait cette turpitude, comme l’avait fait la cour d’appel. Il n’en a rien été et la Cour de cassation fait preuve d’indulgence, comme a pu le faire la cour d’appel de Chambéry, dans une affaire où la demanderesse, ayant changé plusieurs fois de nom, s’est défendue devant la cour d’appel sous son ancien nom. Les juges d’appel avaient alors retenu que « le fait que l’erreur relative à la dénomination sociale de la société intimée procède de cette dernière n’est pas un obstacle à sa rectification dans la mesure où cette circonstance ne constituait pas l’omission d’un acte de procédure incombant à la partie requérante »3.
La Cour de cassation est d’autant plus clémente qu’en l’espèce la société n’a même pas changé plusieurs fois de nom au point de se mêler les pinceaux.
On retiendra que l’erreur sur la dénomination sociale ne peut en aucun cas denier à la société une existence juridique comme l’a jugé la cour d’appel. Elle constitue simplement un vice de forme qui ne peut entraîner la nullité qu’à la condition pour celui qui l’invoque de justifier d’un grief.
II – L’exigence d’un grief pour justifier la nullité de l’acte
La nullité pour vice de forme ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public4.
C’est la règle qu’énonce l’article 114 du Code de procédure civile. Il en résulte qu’à défaut de grief, la nullité en raison d’un vice de forme ne saurait être prononcée. Aussi, seul le destinataire d’un acte est recevable à se prévaloir de la nullité de cet acte en raison d’une irrégularité de forme l’affectant5.
La Cour de cassation rappelle ce principe dans l’arrêt commenté. Elle sanctionne, par conséquent, l’arrêt de la cour d’appel qui a jugé que la déclaration d’appel faite par la société était nulle et que ses conclusions étaient par conséquent irrecevables.
L’arrêt de la Cour de cassation nous amène dès lors à relativiser les conséquences d’une erreur sur la dénomination de la société. La position de la Cour de cassation traduit une moindre rigueur des juges. Il en aurait été autrement si cette erreur mettait en cause l’existence de la société. En l’espèce, il est clair que l’erreur pouvait être régularisée, ce d’autant qu’aucun grief n’a été invoqué. En effet, aucune confusion ne pouvait résulter de cette erreur pour impliquer une autre société. C’est d’ailleurs en ce sens que la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’était prononcée dans une affaire où une erreur avait été commise sur la dénomination d’un syndicat de copropriétaires, erreur qui fut ensuite rectifiée. Les juges avaient alors estimé qu’« ayant relevé qu’il avait été jugé qu’aucun autre syndicat des copropriétaires n’avait jamais existé, que l’erreur de dénomination de la personne morale avait été rectifiée dans les conclusions déposées devant la cour postérieurement à l’arrêt du 20 novembre 2007, que le syndicat avait été assigné en vertu de l’article 908 du Code de procédure civile et que les demandes formées contre celui-ci avaient le même objet et tendaient aux mêmes fins que celles contenues dans l’assignation introductive d’instance, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que l’erreur de dénomination de la personne morale, ensuite rectifiée, était sans incidence et que l’assignation n’encourait pas la nullité et n’affectait pas la recevabilité de l’appel »6.
Le grief doit, pour entraîner la nullité, être caractérisé et résulter du vice de forme7. Il est indispensable d’établir un grief engendré par une telle erreur afin d’obtenir que soit prononcée la nullité. Ce qui, en l’occurrence, n’est pas le cas. En effet, dans l’affaire commentée, aucun grief en lien avec cette erreur n’est caractérisé et, conformément à l’article 115 du Code de procédure civile, une régularisation pourrait intervenir dès lors qu’aucune forclusion n’est intervenue.
C’est donc à tort que la cour d’appel a jugé qu’il s’agissait d’une société inexistante et qu’aucune rectification d’erreur matérielle du jugement ne pourrait être sollicitée dès lors que l’erreur n’émane pas de la juridiction qui a rendu la décision.
En somme, face à la rigueur de la cour d’appel, la Cour de cassation fait preuve de clémence, confortant ainsi une position constante.
Notes de bas de pages
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1.
A. Pope, Essai sur la critique, 1711.
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2.
Cass. 2e civ., 17 oct. 2019, n° 18-12574, D – V. égal. sur l’erreur concernant la désignation du représentant d’une personne morale, Cass. 2e civ., 14 nov. 2019, n° 18-20303 : D. 2020, p. 576, obs. N. Fricero ; Procédures 2020, n° 36, obs. Y. Strickler ; Lexbase Hebdo 2019, n° 803, éd. privée, obs. A. Didot-Seïd Algadi ; N. Cayrol, « L’erreur dans la désignation du représentant d’une personne morale ne constitue qu’une irrégularité pour vice de forme », RTD civ. 2020, p. 461.
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3.
CA Chambéry, 12 mai 2016, n° 14/01930.
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4.
Cass. 2e civ., 22 mars 2018, n° 17-10576 : Lexbase Hebdo 2018, n° 736, éd. privée, obs. A. Didot-Seïd Algadi ; JCP G 2018, 15, 702, note S. Dorol.
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5.
Cass. 2e civ., 1er sept. 2016, n° 15-16918 : C. Blery, « De la qualité pour invoquer une nullité de forme », Gaz. Pal. 29 nov. 2016, n° 280p1, p. 69.
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6.
Cass. 3e civ., 18 sept. 2013, n° 12-16358.
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7.
Cass. ch. mixte, 22 févr. 2002, n° 00-19639 – Cass. ch. mixte, 22 févr. 2002, n° 00-20398 : JCP E 2004, 23, 916-920, note G. Chabot ; Dr. sociétés 2002, p. 14, n° 10, note T. Bonneau ; Droit et Procédures 2002, p. 230-233, n° 4 – v. égal. Cass. com., 20 février 2019, n° 17-23385 où les juges précisent que dans la mesure où l’erreur ne suscite pas d’équivoque, il ne saurait entraîner la nullité de l’acte.