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La constitutionnalité de l’exclusion statutaire d’un associé d’une société par actions simplifiée

Publié le 22/02/2023
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Par une décision du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel reconnaît la conformité constitutionnelle des articles L. 227-16 et L. 227-19 du Code de commerce. Un questionnement s’éteint mais d’autres s’éveillent.

Cons. const., QPC, 9 déc. 2022, no 2022-1029

En supprimant l’exigence d’une décision unanime des associés pour l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion d’un associé d’une société par actions simplifiée (SAS), la loi n° 2019-744 du 19 juillet 20191 avait suscité des interrogations divergentes en doctrine. L’objet de la discorde portait notamment sur l’augmentation potentielle des engagements de l’associé exclu. Mais Alain Couret soulevait l’opportunité d’un déplacement du débat sur le maintien du premier alinéa de l’article L. 227-16 et du second alinéa de l’article L. 227-19 du Code de commerce dans l’ordre normatif étatique au regard du droit de propriété constitutionnellement protégé2. Entendu sur le sujet par la Cour de cassation, quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été transmises le 12 octobre 2022 au Conseil constitutionnel3. Très attendue, la décision du Conseil Constitutionnel du 9 décembre 2022 confirme certaines solutions, mais elle provoque étonnements et questionnements.

À l’origine du litige, une personne associée d’une société par actions simplifiée perd sa qualité de salarié à la suite de sa démission. Mais les statuts de la société subordonnaient la qualité d’associé et celle de salarié et/ou de mandataire social. Une assemblée générale extraordinaire fut alors organisée pour décider l’exclusion de l’associé. Ce dernier saisit le tribunal de commerce pour obtenir l’annulation de la délibération de la société qui avait changé la condition de majorité nécessaire pour le prononcé d’une exclusion ainsi que la décision d’exclusion le concernant. La juridiction du fond transmit alors quatre questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de cassation. Par une décision du 12 octobre 2022, la chambre commerciale décida de les transmettre au Conseil constitutionnel. Elle considéra qu’elles présentaient un caractère sérieux au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789. Le requérant à l’origine des QPC reproche conjointement au premier alinéa de l’article L. 227-16 du Code de commerce et au second alinéa de l’article L. 227-19 du même code de permettre une cession forcée des actions d’un associé exclu par application d’une disposition statutaire à laquelle il n’a pas consenti. Ces dispositions législatives porteraient alors une atteinte disproportionnée au droit de propriété constitutionnellement protégé.

Le Conseil constitutionnel devait alors décider si le premier alinéa de l’article L. 227-16 et le second alinéa de l’article L. 227-19 du Code de commerce permettant la cession forcée d’actions d’une SAS en application d’une clause statutaire à laquelle l’associe exclu n’a pas consenti s’avèrent inconstitutionnels en portant une atteinte disproportionnée au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789.

Par une décision du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel retient la constitutionnalité des dispositions légales litigieuses, car elles « ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété ». Cette solution conforte sans surprise les modifications apportées par la loi du 19 juillet 2019. Mais a contrario, il faut admettre une atteinte proportionnée au droit de propriété. Celle-ci résulte de l’exclusion d’un associé, atteinte justifiée au droit de propriété (I) et des garanties accordées à l’associé exclu (II).

I – L’exclusion d’un associé : une atteinte justifiée au droit de propriété

Le Conseil constitutionnel voit dans l’exclusion d’un associé une absence de privation du droit naturel de propriété (A). La cession forcée des actions s’analyse en revanche comme une atteinte justifiée à l’exercice du droit de propriété (B).

A – Une absence de privation du droit naturel de propriété par l’exclusion de l’associé

Dans sa décision du 9 décembre 2022, le Conseil emploie une méthode déjà utilisée en matière économique4. Il commence par éprouver la constitutionnalité des textes en recherchant si l’alinéa premier de l’article L. 227-16 du Code de commerce et l’alinéa 2 de l’article L. 227-19 du même code entraînent une privation du droit de propriété perçu dans une conception jusnaturaliste, c’est-à-dire comme l’aptitude naturelle et imprescriptible d’un sujet de droit à disposer de larges pouvoirs sur un bien5. Pour ce faire, les sages découpent l’opération d’exclusion. Ils tirent des dispositions législatives contestées, la possibilité de fixer dans les statuts d’une SAS dès l’origine ou par une modification, une décision d’exclusion d’un associé et l’un des effets éventuels, la cession forcée de ses actions sans que celui-ci n’ait consenti ni à l’une, ni à l’autre. Il place alors la décision d’exclusion comme cause possible de la cession forcée. Cela vient perturber le raisonnement antérieur qui déduisait l’exclusion d’un associé de la cession forcée6, la première se présentant comme la conséquence de la seconde. Prise isolément, la décision se déconnecte logiquement du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789. C’est pourquoi le Conseil constate une absence de privation du droit.

Le raisonnement du Conseil constitutionnel s’inscrit dans la logique du second alinéa de l’article L. 22716 du Code de commerce qui permet aux statuts de la SAS de suspendre « les droits non pécuniaires de cet associé » tant que celui-ci n’a pas procédé à la cession de ses actions. En réalité dans cette hypothèse, il s’agit moins d’une suspension que d’une véritable perte des droits politiques de l’associé exclu, car il ne les retrouvera certainement jamais. La cession scellera définitivement la disparition des droits politiques. La décision d’exclusion entraîne donc, pour l’associé, la perte de sa qualité de membre de la cité actionnariale. Même s’il demeure encore propriétaire de ses actions, il devient un simple débiteur d’une obligation de les céder.

Mais ne pas subordonner l’exclusion d’un associé à la cession des actions présente un autre intérêt certainement insoupçonné par le Conseil. Déduire l’exclusion de la cession forcée des actions empêche toute possibilité de rupture unilatérale du lien sociétaire de l’associé apporteur en industrie. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, l’article L. 227-1, alinéa 4, du Code de commerce autorise l’apport en industrie dans une SAS. Certes, ce texte permet à l’associé de recevoir des actions particulières, mais celles-ci demeurent inaliénables. Cette inaliénabilité se justifie par le caractère singulier des actions empruntes d’un très fort intuitu personae. L’existence même d’un droit de propriété de l’associé sur ces actions en industrie se discute, car leur nature encore indéterminée7 laisse entrevoir l’impossibilité de qualifier la créance détenue sur la société de bien meuble incorporel. Face au risque d’exclusion, la solution dégagée permet à ce stade un traitement égalitaire de tout associé, quelle que soit la nature de son apport. En revanche, l’apporteur en industrie ne subira aucune atteinte à l’exercice de son droit de propriété.

B – La cession forcée des actions, une atteinte justifiée à l’exercice du droit de propriété

Si le droit naturel de propriété ne fait l’objet d’aucune privation, l’article 17 de la Déclaration de 1789 autorise le législateur à limiter l’exercice d’un droit de propriété sur certains biens « lorsque la nécessité publique, légalement constatée l’exige ». Le droit de propriété se trouve cerné ici dans une approche légicentriste au sens de l’article 544 du Code civil. L’article 545 limite justement l’exercice de ce droit par la reprise en substance de l’article 17 de la Déclaration de 1789. Le domaine du droit de propriété augmentant notamment grâce au développement des biens incorporels, la décision du 9 décembre 2022 étend les limites légales posées. Or, pour certains, cette tendance remet en question le caractère fondamental du droit de propriété8.

L’existence d’un droit de propriété sur les parts sociales ou actions ne se discute plus aujourd’hui9. Éprouver la constitutionnalité d’une disposition législative permettant la cession forcée d’actions n’est pas nouveau, le Conseil ayant déjà accepté de voir dans celle-ci une atteinte portée à l’exercice du droit de propriété10. La décision commentée demeure donc dans la même logique. Les sages recherchent dans les textes contestés la présence d’une « nécessité publique légalement constatée » pour justifier la limite posée au droit de propriété.

Le Conseil constitutionnel décèle, dans les dispositions examinées, la volonté du législateur de « garantir la cohésion de son actionnariat11 et assurer ainsi la poursuite de son activité » en évitant d’éventuelles « situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné » à la clause statutaire d’exclusion. Sans les nommer, il confronte alors différents intérêts, celui de la société, celui de l’associé examiné sous le prisme de la propriété et l’intérêt général (ou public). Tenter une différenciation par les objets afin de déceler une hiérarchie entre eux s’avère une vaine tentative. La doctrine se divise pour cerner l’intérêt social12. La polymorphie de l’intérêt général le rend maintenant insaisissable13. Dans les rapports contractuels, Pascal Lokiec propose alors de se tourner vers la justification définie comme la transcription juridique d’un ensemble de valeurs, pour expliquer une règle de droit ou la solution d’un problème juridique. Cette notion présente l’avantage d’être malléable par son absence d’objet. Elle trouve une certaine utilité si elle reste déconnectée de la volonté des contractants tout en demeurant universelle par opposition au relativisme de ces volontés. Elle bénéficie enfin d’une neutralité par différenciation avec la contingence d’un intérêt, quel qu’il soit14.

Dans sa démarche, le Conseil constitutionnel se plonge dans les travaux préparatoires de la loi du 19 juillet 2019 pour trouver comme justification : la préservation de la cohérence et de la stabilité de l’actionnariat en maintenant l’activité de la société et en évitant les situations de blocage. Les arguments employés se trouvent totalement déconnectés des volontés constatées dans chaque contrat de société. Ils bénéficient également d’une universalité et d’une neutralité. Ils pourraient même s’étendre à toutes sociétés civiles ou commerciales. Les sages auraient même pu rajouter le renforcement de la liberté contractuelle des associés, car prévoir une modification statutaire à l’unanimité des associés sur le sujet qui nous occupe ici n’est pas proscrit. Dans cette logique, il semble compréhensible de voir la satisfaction de l’intérêt général lorsque le législateur encadre cette liberté contractuelle pour favoriser la stabilité et la cohérence des sociétés par actions simplifiée. Un exemple récent démontre qu’envisager la cession forcée de parts sociales d’un associé peut s’avérer nécessaire pour éviter la dissolution judiciaire de la société pour mésentente15. La solution n’apparaît pas surprenante. En filigrane, les sages ont certainement recherché à préserver l’effectivité d’un dispositif législatif utile à la sécurité juridique tout en laissant l’autonomie de la volonté s’exprimer dans le contrat de société, même si le droit de propriété se trouve malmené.

Le Conseil ne traite ici que de la cession forcée d’actions impliquant un transfert contraint du droit de propriété sur les actions. Cette cession constitue la conséquence logique de la décision d’exclusion, car la société verra simplement un changement d’associé par l’effet translatif de la cession. Dans l’hypothèse où la société devient elle-même cessionnaire, les juristes préfèrent parler de rachat d’actions16. Cette opération apparaît comme la plus simple en pratique. Néanmoins, son régime juridique varie en fonction de la situation17. Dans tous les cas, cette cession illustre pour l’associé une forme d’expropriation dans le cadre de relations privées. Mais la prescription acquisitive par la possession et la théorie de l’apparence n’illustrent-elles pas des mécanismes du droit civil qui perturbent également le droit de propriété sans que le débat se déplace sur le terrain de la protection constitutionnelle ?

Pour l’heure, la solution des sages ne concerne que l’associé apporteur en numéraire ou en nature, mais quid du cas de l’exclusion de l’associé apporteur en industrie dont les actions se trouvent inaliénables ? Le Conseil n’apporte aucune précision sur cette question. Pour l’instant une certitude demeure, la cession forcée des actions transforme l’associé exclu en simple créancier du prix de cession. C’est pourquoi les articles 17 de la Déclaration de 1789 et 545 du Code civil évoquent la « juste et préalable indemnité » versée à la personne expropriée de ses actions. Le Conseil aborde cet autre sujet délicat à travers les garanties accordées à l’associé exclu.

II – Les garanties accordées à l’associé exclu

Pour accepter la constitutionnalité des articles L. 227-16, alinéa 1 et L. 227-19, alinéa 2, du Code de commerce, le Conseil constitutionnel vérifie la présence de certaines garanties accordées à l’associé exclu. Celles-ci se décèlent dans le régime juridique qui encadre la décision d’exclusion et ses conséquences patrimoniales. Des garanties statutaires (A) et judiciaires (B) assurent une certaine protection de l’associé.

A – Les garanties statutaires

Toute société détient certainement un pouvoir institutionnel pour exclure un associé car la décision se trouve prise par la personne morale. Mais pour les SAS, les articles L. 227-16, alinéa 1 et L. 227-19, alinéa 2, du Code de commerce renvoient aux normes statutaires18 attributives du pouvoir d’exercer ce pouvoir d’exclusion, éventuellement par la majorité des associés. Le silence statutaire empêche alors toute exclusion effective. Les sages rappellent que les statuts devront prévoir explicitement la possibilité de décider l’exclusion d’un associé et de rendre obligatoire la cession forcée de ses actions. Ils s’appuient sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation, mais cet argument déroute le lecteur. Aucune décision n’est citée par le Conseil. Quand bien même la constance de la jurisprudence judiciaire existerait, le Conseil pourrait aisément s’en écarter pour prononcer l’inconstitutionnalité des textes législatifs analysés. Nul besoin alors de s’appuyer sur cette jurisprudence pour illustrer la conception normativiste du pouvoir19. Les normes statutaires attributives de l’exercice du pouvoir fournissent à l’associé minoritaire exclu des garanties processuelles et substantielles.

Au titre des garanties processuelles, le Conseil exige pour une société par actions simplifiée20 une décision prise « à la suite d’une procédure prévue par les statuts ». Certaines questions surviennent alors : quel organe de la société bénéficie d’une compétence matérielle pour décider l’exclusion ? Le regard se tourne inévitablement vers l’assemblée générale extraordinaire dont la décision reste indispensable si l’exclusion entraîne une modification du capital social21. Dans ce cas, la société peut-elle empêcher l’associé concerné de prendre part au vote ? En s’appuyant sur l’article 1844 du Code civil, la Cour de cassation proscrit toute privation du droit de vote22. Pour empêcher toute participation de l’associé concerné à la prise de décision collective, la société, portée par la voix des associés majoritaires, n’aura pas d’autre choix que de confier l’exercice du pouvoir d’exclusion à un autre organe23. Avant de décider, l’organe doit-il respecter les droits de la défense de l’associé ? Sur ce point la Cour de cassation semble avoir déjà répondu négativement24. Mais rien ne s’oppose à des stipulations statutaires contraires.

Au titre des garanties substantielles, le Conseil exige une décision d’exclusion prise « sur un motif, stipulé par ces statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public » et qui ne soit pas abusive. Les statuts devront-ils prévoir les causes possibles d’exclusion ? Certains apportent une réponse positive25, mais la Cour de cassation vient récemment d’affirmer le contraire pour les sociétés à capital variable26. La décision d’exclusion doit permettre la satisfaction de l’intérêt social et ne pas contrarier l’ordre public. En s’appuyant sur la notion normativiste du pouvoir, la majorité des associés ne pourra pas exclure un associé minoritaire récalcitrant, car le seul intérêt collectif des associés majoritaires ne semble pas justifier une telle mesure. En revanche, l’intérêt social viendra à la rescousse de la majorité si l’exclusion d’un associé permet d’éviter la dissolution judiciaire de la société pour mésentente. Mobiliser le respect de l’ordre public devient utile pour vérifier les mobiles de la majorité des associés.

Une exclusion peut objectivement satisfaire l’intérêt social tout en se révélant injustifiée si les motivations subjectives restent contraires à l’ordre public. Enfin, la référence à l’abus semble plutôt se déduire des trois vérifications précédentes. Si la décision d’exclusion semble régulière, conforme à l’intérêt social sans contredire l’ordre public, aucun abus de pouvoir ne pourra être démontré. Néanmoins, il faudra déterminer comment la discussion sur l’exclusion s’inscrit dans l’appréciation de l’abus de majorité27.

Ces opérations de vérifications laissent un très large pouvoir d’appréciation à l’organe compétent pour prononcer l’exclusion. Toutefois, les statuts peuvent encore le limiter. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel prend soin de ne pas rentrer dans la subtile distinction doctrinale entre les clauses d’exclusion et les clauses d’éviction automatique (ou clause d’exclusion de plein droit). Les critères de distinction restent ténus et amènent d’inévitables ambiguïtés. Certains auteurs voient dans les dispositions statutaires résiliant automatiquement le lien sociétaire, dans l’hypothèse de la perte de la qualité de salarié, une clause d’éviction car la rupture ne proviendrait pas du prononcé d’une sanction28. Or, dans le litige à l’origine des QPC, le différend correspondait justement à ce cas de figure. Néanmoins, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et les commentateurs évoquent une clause d’exclusion29. Il s’agit moins d’une différence de nature que d’une variation d’intensité dans le pouvoir d’appréciation de la situation. Pour les sages, la clause d’exclusion se constate par la présence d’une disposition statutaire permettant à l’organe compétent de prendre une telle mesure si la situation le justifie. La clause d’éviction vient simplement limiter le pouvoir d’appréciation dans la vérification des conditions de réalisation de l’hypothèse. Si l’organe constate la réunion de tous les éléments, il sera tenu de respecter les statuts et n’aura pas d’autre choix que de prononcer l’exclusion. L’automaticité de l’exclusion renvoie donc à la compétence liée de l’organe. Mais le Conseil constitutionnel ne semble pas envisager de cas où l’exclusion se constate en dehors de toute décision d’un organe sociétaire.

Le Conseil aborde un dernier élément au titre des garanties substantielles : les conséquences financières induites par l’exclusion. Les statuts peuvent déterminer le prix ou les modalités de calcul du prix de cession des actions de l’associé exclu30. Le Conseil rappelle également que l’associé exclu et la société peuvent s’accorder sur le prix ou sur la désignation d’un expert chargé de fixer le montant dans les conditions prévues par les articles L. 227-18 du Code de commerce et 1843-4 du Code civil. Le prix de cession semble être présenté comme une contrepartie, autre justification de la cession forcée. Mais les statuts pourront-ils prévoir un montant dérisoire ou inexistant, notamment si la majorité des associés souhaitent sanctionner un associé minoritaire ? Rien n’est moins sûr. En revanche, à défaut d’accord et dans le silence des textes sociétaires, les garanties judiciaires se trouveront certainement mobilisées.

B – Les garanties judiciaires

Même si les statuts de la SAS prévoient la procédure, les causes d’exclusion et les modalités de calcul du prix de cession des actions, l’atteinte au droit de propriété ne peut s’avérer proportionnée que si le recours au juge judiciaire demeure ouvert pour discuter de la régularité de l’exclusion, de son caractère justifié ainsi que, le cas échéant, de ses conséquences patrimoniales. Les précisions apportées par le Conseil constitutionnel suscitent l’étonnement et laissent entrevoir la genèse de nouveaux foyers contentieux dans une matière où le juge judiciaire se trouve déjà sollicité.

Dans la décision du 9 décembre 2022, le Conseil indique la possibilité pour l’associé de contester la décision d’exclusion devant le juge « auquel il revient alors de s’assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu ». Dans le cadre de son office, accorder aux juges du fond la charge du contrôle de la réalité du motif invoqué pour justifier l’exclusion ne semble pas discutable. Mais le Conseil entend-il exiger une vérification systématique de la gravité du motif pour justifier l’exclusion ? Si tel est le cas, il appartiendra à la Cour de cassation d’accepter cette nouvelle condition de fond. Elle devra alors préciser les éléments de qualification de cette gravité. Il faudra également fixer les limites du pouvoir d’appréciation des juges du fond en fonction de la teneur des statuts. En utilisant les articles 1191 et 1192 du Code civil, plus les statuts seront précis, plus le pouvoir d’interprétation du juge se trouvera limité dans l’appréciation d’une éventuelle gravité et dans la détermination du prix de cession des actions.

La Cour devra également déterminer la sanction prononcée par le juge si l’opération d’exclusion s’avère contraire aux statuts. L’article L. 227-15 du Code de commerce frappe de nullité toute cession d’actions effectuée en violation des clauses statutaires. Mais cette nullité demeure-t-elle si la décision d’exclusion souffre de simples irrégularités ? La Cour devra également articuler le pouvoir des juges du fond avec la compétence matérielle du juge des référés, qui ne manquera certainement pas d’être saisi si le motif invoqué permet de démontrer la réalité d’un trouble manifestement illicite et d’un dommage imminent.

En définitive, cette décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2022 clôt certainement un questionnement sur la constitutionnalité des dispositions législatives portant sur la cession forcée d’actions par effet d’une clause statutaire d’exclusion d’un associé. Mais elle amènera certainement les rédacteurs de statuts de SAS à faire preuve d’une grande anticipation pour éviter certaines difficultés pratiques et sécuriser le plus possible les foyers de discordes qui ne manqueront pas d’émerger.

Notes de bas de pages

  • 1.
    En modifiant l’article L. 227-19 du Code de commerce.
  • 2.
    A. Couret, « Les clauses d’exclusion dans les SAS : sortir d’un débat en voie d’enlisement », D. 2019, p. 2188.
  • 3.
    Cass. com., 12 oct. 2022, n° 22-40013 : B. Dondero, « Vers l’exclusion de l’exclusion ? », JCP E 2022, 1353 et A. Couret, « Le droit de propriété à l’épreuve des clauses d’exclusion », D. 2022, p. 1946.
  • 4.
    Cons. const., QPC, 7 oct. 2015, n° 2015-486 : D. 2015, p. 2006 – Cons. const., QPC, 7 oct. 2015, n° 2015-487 : D. 2015, p. 2006 – Cons. const., QPC, 17 juill. 2015, n° 2015-476 : D. 2015, p. 1537 et les obs. – Cons. const, QPC, 5 août 2015, n° 2015-715.
  • 5.
    J.-F. Guiacuzzo, « À la recherche d’un équilibre entre la propriété individualiste et la propriété-fonction sociale », Constitutions 2015, p. 555.
  • 6.
    J.-F. Hamelin, « La sortie d’un actionnaire statutaire n’implique pas d’autorisation préalable de l’AGE », Dr. sociétés 2022, p. 26.
  • 7.
    P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des sociétés, 2018, LGDJ, n° 971.
  • 8.
    J.-F. Lachaume et H. Pauliat, « Le droit de propriété est-il encore un droit fondamental ? » in Mélanges Philippe Ardant : Droit et politique à la croisée des cultures, 1999, LGDJ, p. 381, EAN : 9782275017907.
  • 9.
    C. Barrillon, La notion d’associé, 2017, PUAM, nos 71 et s.
  • 10.
    L’examen portait sur C. com., art. L. 631-19-1, Cons. const., QPC, 5 août 2015, n° 2015-715 et J.-F. Guiacuzzo précité « À la recherche d’un équilibre entre la propriété individualiste et la propriété-fonction sociale », Constitutions 2015, p. 555.
  • 11.
    L’expression se trouve peut-être empruntée à M. Germain, « La société par actions simplifiée », JCP E 1994, 341.
  • 12.
    P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial. Sociétés commerciales, 2021, Dalloz, n° 70.
  • 13.
    J.-M. Pontier, « L’intérêt général existe-t-il encore ? », D. 1998, Chron., p. 327 et J.-F. Guiacuzzo précité « À la recherche d’un équilibre entre la propriété individualiste et la propriété-fonction sociale », Constitutions 2015, p. 555.
  • 14.
    P. Lokiec, Contrat et pouvoir. Essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels, thèse, 2004, LGDJ, nos 10 et 11.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 15 juin 2022, n° 20-18781 : Rev. sociétés 2022, p. 679, note R. Dumont.
  • 16.
    P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial. Sociétés commerciales, 2021, Dalloz, n° 328.
  • 17.
    Société cotée ou non, décision d’annulation des actions de l’associé exclu… L’article L. 227-18 du Code de commerce accorde un délai de 6 mois à la société pour les céder ou les annuler.
  • 18.
    Il s’agit bien des statuts et non des documents extra-statutaires. Ainsi, un pacte d’actionnaires prévoyant une cession automatique des actions d’un associé dans l’hypothèse où il cesserait ses fonctions s’analyse en promesse unilatérale de vente et non en clause d’exclusion, Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-17349 : JCP E 2014, 1317, B. Dondero.
  • 19.
    Ici, le pouvoir identifie la prérogative juridique qui permet à son titulaire d’imposer sa décision dans le but de satisfaire un intérêt au moins différent du sien, E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, 1985, Economica, n° 214. Cette conception se trouve reprise en droit des sociétés dans les relations entre associés majoritaires et minoritaire, B. Dondero, Droit des sociétés, 2021, Dalloz, n° 233.
  • 20.
    Mais la solution pourrait aisément s’étendre à toutes les sociétés.
  • 21.
    J.-F. Hamelin, « La sortie d’un actionnaire statutaire n’implique pas d’autorisation préalable de l’AGE », Dr. sociétés 2022, p. 26.
  • 22.
    Cass. com., 23 oct. 2007, n° 06-16537 : JCP E 2007, 2433, A. Viandier ; JCP G 2007 , II, 10197, D. Bureau ; Dr. sociétés 2007, comm. 219, obs. H. Hovasse ; D. 2007, p. 2726, obs. A. Lienhard ; D. 2008, p. 47, note Y. Paclot, JCP E, 2008, 1280, J.-J. Caussin, F. Deboissy, G. Wicker ; BJS févr. 2008, n° 23, p. 101, D. Schmidt ; RJDA 3/2008, J.-P. Dom, rapport p. 9, B. Petit – Cass. com., 9 juill. 2013, n° 11-27235 et n° 1221238 : BJS oct. 2013, n° 110p7, p. 636, note D. Poracchia – Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-17555 : BJS juin 2015, n° 113r1, p. 297, P. Kasparian.
  • 23.
    P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial. Sociétés commerciales, 2021, Dalloz, n° 702. Pour un exemple dans le cas d’une société à capital variable, C.-A. Michel, « La distinction entre clause d’exclusion et clause d’éviction : le doute subsiste… », GPL 24 sept. 2019, n° GPL359t9.
  • 24.
    Le non-respect du principe du contradictoire n’entraîne pas la nullité de la décision, Cass. com., 13 juill. 2010, n° 09-16156.
  • 25.
    P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial. Sociétés commerciales, 2021, Dalloz, n° 702.
  • 26.
    Cass. com., 9 nov. 2022, n° 21-10540 : Dalloz actualité, 16 déc. 2022, M. Brunet et L. Benedetti.
  • 27.
    P. Le Cannu, J. Heinich et J. Delvallée, Rép. sociétés Dalloz, vo Société par actions simplifiée, 2020, n° 191.
  • 28.
    F. Tagourla, « Clauses d’exclusion : entre liberté contractuelle et protection de l’associé », Dr. sociétés 2022, n° 6, p. 6.
  • 29.
    B. Dondero, « Vers l’exclusion de l’exclusion ? », JCP E 2022, 1353 ; A. Couret, « Le droit de propriété à l’épreuve des clauses d’exclusion », D. 2022, p. 1946.
  • 30.
    B. Dondero, « Vers l’exclusion de l’exclusion ? » JCP E 2022, 1353.
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