La modification des droits attachés aux actions de préférence dans les SAS : cadre juridique et exclusion des titulaires du vote

Publié le 14/02/2025
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La décision de la Cour de cassation, rendue le 10 juillet 2024, annule partiellement un arrêt de la cour d’appel de Lyon qui avait rejeté la demande d’annulation des résolutions de l’assemblée générale extraordinaire de Cyclopolitain du 22 décembre 2015, modifiant les droits attachés aux actions de préférence « P ». La Cour de cassation estime que cette modification constituait une conversion d’actions, nécessitant le consentement individuel des actionnaires concernés, qui n’auraient pas dû participer au vote.

Dans le tumulte des délibérations corporate. Dans notre affaire1, deux actionnaires d’une société par actions simplifiées (SAS) détiennent des actions de préférence, celles-ci leur octroyant le privilège inégalé d’un dividende prioritaire, équivalant à 8 % du prix de souscription ou à la somme substantielle de 50 % du bénéfice net consolidé par action. Dans l’enceinte de l’assemblée générale extraordinaire, la SAS réduit brutalement ce dividende prioritaire, altérant ainsi la substance même des statuts de la société. Face à cette atteinte flagrante à leurs droits, les deux actionnaires assignent la SAS en nullité des résolutions prises lors de cette assemblée générale. Cependant, les juges d’appel, se réfugiant derrière une interprétation restrictive, rejettent leurs revendications, excipent que l’article L. 228-15 du Code de commerce n’est pas d’application puisque le vote ne portait pas sur la création d’actions de préférence, mais uniquement sur la modification des modalités de leur rémunération. Mais la Cour de cassation vient rétablir l’ordre en cassant cet arrêt. Elle considère que « constitue une conversion d’actions au sens et pour l’application de l’article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce, toute opération emportant modification des droits attachés aux actions converties ». Dès lors, les titulaires d’actions de préférence n’auraient jamais dû participer au vote qui portait sur la modification du dividende prioritaire lié à leurs actions, préservant ainsi l’intégrité des principes fondamentaux du droit des sociétés. Cette décision résonne comme un hymne à la protection des droits des actionnaires, réaffirmant que toute modification des droits attachés à des actions de préférence est, en substance, une conversion d’actions, justifiant l’exclusion des titulaires du processus de vote, et garantissant ainsi l’équité et la justice au sein du monde des affaires. Dans ce contexte de conflit juridique concernant les droits des actionnaires de préférence, la décision de la Cour de cassation pave la voie à une analyse approfondie des principes régissant ces droits. Elle met en lumière, d’une part, le principe général encadrant la modification des droits attachés aux actions de préférence (I), et, d’autre part, l’enseignement à tirer de l’importance de l’exclusion des titulaires du vote lorsqu’il s’agit de créer de nouvelles catégories d’actions de préférence (II).

I – Principe général de la modification des droits attachés aux actions de préférence

Modification et conversion des actions de préférence. La compréhension des principes régissant la modification des droits attachés aux actions de préférence est essentielle pour assurer la protection des intérêts des actionnaires dans les sociétés par actions simplifiées. Conformément à l’ancien article 1134 du Code civil (C. civ., art. 1103 nouv.) les statuts d’une société doivent préciser les modalités de modification des droits attachés aux actions de préférence. En l’absence de ces modalités, le consentement individuel des titulaires est requis (A). En droit des sociétés, la conversion d’actions inclut toute opération qui modifie les droits des actions, impliquant que ces actions doivent être considérées comme converties au sens juridique (B).

A – Exigence du consentement individuel des titulaires

Plusieurs aspects essentiels de larticle 1134 du Code civil (C. civ., art1103 nouv.). Le professeur Jacques Mestre a brillamment éclairé le rôle crucial de l’article 1134 du Code civil en droit des sociétés, offrant une analyse magistrale qui transcende les limites de l’ordinaire et révèle toute la profondeur et la complexité de cette pierre angulaire juridique. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 1134 du Code civil plusieurs aspects essentiels se dégagent.

Primauté de la Convention : Selon l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, la convention entre les parties fait office de loi. Les parties doivent respecter les termes de l’accord sans les altérer ou prétendre à une révision judiciaire pour imprévision. En cas de non-exécution, une demande d’exécution en nature est privilégiée, même si l’article 1142 du Code civil édicte que l’obligation de faire ou de ne pas faire peut se résoudre en dommages-intérêts en cas d’inexécution. La jurisprudence actuelle privilégie l’exécution en nature2.

Modification de la convention. Toujours selon l’article 1134, alinéa 2, toute modification de la loi contractuelle, acceptée par les parties, doit se faire avec leur consentement mutuel. Les conventions ne peuvent être modifiées que par accord des deux parties, sauf dans les cas où des conditions spécifiques permettent des ajustements unilatéraux, comme la résiliation3.

Exécution de bonne foi. Conformément à l’article 1134, alinéa 3, la convention doit être exécutée de bonne foi. Cette obligation de bonne foi ne signifie pas nécessairement une exécution stricte des termes du contrat, mais elle empêche les juges de porter atteinte à la substance des droits et obligations convenus. La jurisprudence a parfois tempéré l’application rigoureuse de ce principe au regard de la bonne foi4. Les débats sur l’équilibre entre la bonne foi et la rigueur contractuelle peuvent être complexes et ne sont pas exclusifs aux contrats des sociétés5.

Espèce. Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation considère, à juste titre, qu’il résulte de l’article 1134 du Code civil, que, lorsque les statuts d’une société par actions simplifiées ne prévoient pas les modalités selon lesquelles les droits attachés aux actions de préférence peuvent être modifiés, le consentement individuel des titulaires de ces actions est requis pour procéder à une telle modification. Cette solution se voit magnifiquement justifiée, car le droit des sociétés n’évolue pas dans l’isolement d’une bulle hermétique, mais s’inscrit dans l’interdépendance exaltante de la théorie générale du contrat. Cette théorie, appliquée avec brio au contrat de souscription qui a permis l’émission des actions de préférence, confère à l’ensemble une cohérence et une richesse que seule la grande architecture du droit peut offrir6.

B – La conversion d’actions emportant modification des droits attachés aux actions converties

Méthode. La création d’actions de préférence peut se réaliser par plusieurs procédés juridiques distincts, comme l’ont brillamment exposé D. Descamps et S. Sylvestre dans leur étude sur la procédure de création des actions de préférence7. La méthode la plus directe consiste en leur émission, soit lors de la création initiale de la société, soit en cours de vie de cette dernière, notamment lors d’une augmentation de capital. Les autres alternatives possibles comprennent la conversion d’actions existantes en actions de préférence et la distribution de dividendes sous cette forme spécifique8.

Espèce. La société Cyclopolitain a convoqué une assemblée générale extraordinaire le 22 décembre 2015. Lors de cette assemblée, tous les associés ont voté pour modifier la rémunération des actions de préférence de type « P ». La modification consistait à réduire le dividende prioritaire attaché à ces actions. En conséquence, l’assemblée générale a décidé de baisser le dividende prioritaire des actions de préférence de 10 % à 5 %.

II – Exclusion des titulaires du vote lors de la création de nouvelles catégories d’actions de préférence

Distinction entre consentement individuel et participation collective : clarifications juridiques et conséquences sur les droits des actionnaires. Il est essentiel de comprendre que « consentir à titre individuel » et « participer à une décision collective » sont deux démarches fondamentalement distinctes, chacune ayant des implications juridiques spécifiques pour les titulaires d’actions de préférence (A). L’arrêt de la Cour de cassation apporte des clarifications essentielles sur cette distinction, en établissant que ces deux aspects constituent des causes distinctes et autonomes de nullité, renforçant ainsi la protection des droits des actionnaires (B).

A – « Consentir à titre individuel » est différent de « participer à une décision collective »

Controverse doctrinale. La question s’est posée de savoir si l’article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce, tel un rempart juridique, devait s’appliquer, interdisant ainsi aux titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de participer au vote sur cette conversion. Pourtant, il semblerait que cette barrière légale s’efface dans le cas d’une décision prise en assemblée générale extraordinaire, ouvrant la voie à une innovation audacieuse : permettre aux titulaires d’actions de préférence de percevoir leurs dividendes sous forme de nouvelles actions de préférence. En effet, l’article L. 228-18 du Code de commerce, dans un silence révélateur, ne reprend pas la rigueur de l’article L. 228-15, alinéa 2, du même code, offrant ainsi un terrain fertile à cette nouvelle possibilité9. D’aucuns estiment que « par ailleurs, lorsque, faute de dispositions statutaires, la formule de la conversion en actions de préférence d’actions ordinaires est décidée par l’assemblée générale extraordinaire, il convient d’appliquer la disposition de l’article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce : c’est dire que les titulaires d’actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne sauraient, à peine de nullité de la délibération, participer au vote sur la création de cette catégorie, et que les actions qu’ils détiennent ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, à moins que l’ensemble des actions ne fassent l’objet d’une conversion en actions de préférence »10.

« Donner son consentement individuel » diffère de « participer à une décision collective ». Comme l’observe, à juste raison, le professeur Hervé Le Nabasque, pour qui il peut sembler paradoxal de refuser aux détenteurs d’actions de préférence le droit de participer à l’assemblée qui vise à modifier les droits attachés à ces actions (conformément à l’article L. 228-15, alinéa 2, du Code de commerce), tout en leur accordant le droit, de manière indirecte, de consentir individuellement à ces modifications (selon l’ancien article 1134 du Code civil)11. Pour les magistrats du Quai de l’Horloge l’expression « consentir à titre individuel » ne signifie pas « participer à une décision collective », mais implique soit d’accepter cette décision, soit de la rejeter12.

B – Enseignements de la décision rapportée

Illustrations. Toute opération conduisant à une modification des droits attachés aux actions converties doit respecter l’exclusion des titulaires du vote, garantissant ainsi l’impartialité de la décision. On peut illustrer la solution de l’arrêt rapporté à partir d’un exemple chiffré.

Analyse. La différence clé entre l’expression « consentir à titre individuel » de celle de « participer à une décision collective » réside dans la manière dont les droits des actionnaires sont protégés et les décisions sont validées. Consentir à titre individuel implique un accord personnel et explicite, tandis que participer à une décision collective signifie que la décision est prise à la majorité des voix, avec des implications pour tous les actionnaires. Dans le cadre des modifications des droits attachés aux actions de préférence, l’exclusion des titulaires concernés du vote collectif garantit que les décisions ne sont pas biaisées par ceux qui sont directement affectés par les changements.

Conclusion générale. En conclusion, l’affaire examinée démontre avec éclat la profondeur et la complexité des principes régissant les droits des actions de préférence dans le cadre des sociétés par actions simplifiées. La distinction cruciale entre « consentir à titre individuel » et « participer à une décision collective » révèle que ces démarches sont fondamentalement différentes, chacune ayant des implications juridiques spécifiques pour les titulaires d’actions de préférence. D’une part, l’ancien article 1134 du Code civil (C. civ., art. 1103 nouv.) exige que toute modification des droits attachés aux actions de préférence soit effectuée avec le consentement individuel des titulaires, soulignant ainsi l’importance de protéger les droits contractuels des actionnaires. Cette exigence garantit que les modifications ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux des parties sans leur accord explicite. L’analyse du rôle de l’article 1134 par le professeur Jacques Mestre illustre parfaitement la manière dont ces principes fondamentaux s’entrelacent pour préserver la cohérence du droit des sociétés. D’autre part, la décision rapportée de la Cour de cassation d’exclure les titulaires d’actions de préférence du vote concernant la modification de leurs droits, conformément à l’article L. 228-15 du Code de commerce, renforce l’équité et l’intégrité du processus décisionnel. En définitive, cette analyse révèle que la clarté dans l’application des principes juridiques est essentielle pour maintenir l’équilibre et la justice dans les délibérations corporate, préservant ainsi les droits des actionnaires et la légitimité des décisions prises au sein des sociétés par actions simplifiées.

Notes de bas de pages

  • 1.
    H. Le Nabasque, « À propos de la conversion d’actions et du consentement qu’elle requiert », BJS sept. 2024, n° BJS203g3 ; v. « Action de préférence (conversion) : exclusion du vote du titulaire », D. 2024, p. 1327 ; B. Lemercier, « Conversion d’actions de préférence : précisions sur le régime du vote portant sur la modification des droits », Lamyline, 16 juill. 2024.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 16 janv. 2007, n° 06-13983 : J. Mestre et a., « Respect de la loi contractuelle – Exigence de bonne foi – Droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 621.
  • 3.
    Cass. com., 27 févr. 1996, n° 94-12457 – Cass. 1re civ., 7 mars 2000, n° 97-20858 – Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 11-26597 : J. Mestre et a., « Respect de la loi contractuelle – Exigence de bonne foi – Droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 621.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 8 sept. 2016, n° 13-28063 – Cass. com., 20 oct. 2021, n° 20-13819 : J. Mestre et a., « Respect de la loi contractuelle – Exigence de bonne foi – Droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 621.
  • 5.
    V. Cass. com., 23 sept. 2014, n° 13-18938 – Cass. com., 10 mars 2015, nos 13-23859 et 14-10221 : J. Mestre et a., « Respect de la loi contractuelle – Exigence de bonne foi – Droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 621.
  • 6.
    H. Le Nabasque, « À propos de la conversion d’actions et du consentement qu’elle requiert », BJS sept. 2024, n° BJS203g3.
  • 7.
    BJS nov. 2006, n° 267, p. 1235 ; J. Mestre et a., « Modalités juridiques de création d’actions de préférence – Émission, conversion, distribution de dividendes », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 4494.
  • 8.
    J. Mestre et a., « Modalités juridiques de création d’actions de préférence – Émission, conversion, distribution de dividendes », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 4494. V. aussi B. Brignon, G.-A. Lucciardi, T. Granier, « Actions de préférence », JCl. Sociétés Traité, fasc. 1803.
  • 9.
    B. Brignon, G.-A. Lucciardi, T. Granier, « Actions de préférence », JCl. Sociétés Traité, fasc. 1803.
  • 10.
    J. Mestre et a., « Modalités juridiques de création d’actions de préférence – Émission, conversion, distribution de dividendes », Le Lamy Sociétés Commerciales 2024, n° 4494.
  • 11.
    H. Le Nabasque, « À propos de la conversion d’actions et du consentement qu’elle requiert », BJS sept. 2024, n° BJS203g3.
  • 12.
    H. Le Nabasque, « À propos de la conversion d’actions et du consentement qu’elle requiert », BJS sept. 2024, n° BJS203g3.
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