La raison du plus grand nombre : la règle majoritaire prévaut à l’adoption d’une décision collective

Publié le 21/01/2025
vote, mains, groupe
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Point de liberté contractuelle en ce qui concerne l’adoption d’une décision collective dans les sociétés. Sur la question en effet, le principe majoritaire s’impose désormais tant aux associés de la société par actions simplifiée qu’à toutes les autres sociétés puisque la décision collective d’associés semble désormais aller de pair avec le principe majoritaire. Il ne peut alors y avoir de décision collective sans un vote majoritaire en sa faveur. C’est en tout cas dans ce sens que se prononce la décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui retient que toute clause statutaire ignorant cette majorité nécessaire à la prise de la décision collective doit être réputée non écrite, et toute délibération intervenue en violation d’une telle exigence annulée.

Trente ans après l’institution de la société par actions simplifiée (SAS), les questions sur les limites à la grande liberté laissée aux associés dans le fonctionnement de celle-ci ne sont pas encore totalement épuisées. Une certitude subsiste : la liberté contractuelle qui y est reconnue n’est pas absolue. Elle connaît des limites au nombre desquelles la nécessité de respecter et de garantir le droit de vote des associés. Ainsi, les statuts ne sauraient valablement non seulement priver l’un ou une partie des associés de leurs droits de vote, mais aussi prévoir des règles de majorité équivoques pour l’adoption de certaines décisions. Sur ces points, il semble aujourd’hui définitivement acquis que les statuts ne peuvent déroger au droit des associés de participer aux décisions collectives et de voter en application des articles 1844, alinéa 1er, du Code civil et L. 227-16 du Code de commerce1. En revanche, ce qui était moins sûr, parlant du second point, était de savoir si la liberté accordée aux associés dans ce type de sociétés leur permet de prévoir des règles de majorité minoritaire pour le vote des décisions collectives, notamment une augmentation de capital. C’est justement sur cet aspect qu’intervient l’arrêt rendu le 15 novembre 2024 par l’assemblée plénière de la Cour de cassation portant sur le vote d’une augmentation de capital dans la SAS.

Dans les faits, les associés de la société La vierge avaient été convoqués en assemblée générale extraordinaire (AGE) pour décider d’une augmentation du capital avec suppression du droit préférentiel de souscription des associés au profit de la société présidente à qui était donc réservée l’émission des nouvelles actions. L’article 17 des statuts de cette société prévoyant que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré », la délibération a été adoptée à 46 % pour et 54 % contre. Il s’en ressortait que les minoritaires l’avaient emporté sur les majoritaires. Bien évidemment, ceci déplut à certains qui avaient voté contre cette délibération et qui estimaient que l’adoption de la décision d’augmentation du capital, alors même qu’une minorité y avait voté favorablement, viole leurs droits. L’un des associés opposants à la décision saisit alors les juges d’une demande tendant à voir annuler les résolutions adoptées à la minorité. Il fut rejoint dans son action par d’autres associés dont l’un d’eux sollicite à titre reconventionnel la nullité de l’article 17 des statuts de la société, fondement sur lequel le vote avait été adopté.

Le premier juge saisi, notamment le tribunal de commerce de Paris, rejette la demande de nullité au motif que la délibération avait été adoptée conformément aux statuts. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 20 décembre 2018. Celle-ci rejette donc la demande formulée par les associés au motif que la résolution avait été adoptée conformément à l’article 17 des statuts et que le seuil retenu par les statuts ne contrevenait pas à l’article L. 229-7, alinéa 2, du Code de commerce. Entre-temps, le demandeur à l’action initiale s’était désisté de son action, et les deux autres associés contestataires de la délibération forment un pourvoi en cassation. La Cour de cassation siégeant en sa chambre commerciale rendait alors un arrêt très commenté le 19 janvier 2022 (Cass. com., 19 janv. 2022, n° 19-12.696) dans lequel elle censurait la décision de la cour d’appel du 20 décembre 2018 en ce qu’elle a rejeté la demande d’annulation au visa de l’article L. 227-9, alinéa 2. Elle retient que la liberté dans la rédaction des statuts de la SAS est limitée par la nécessité d’adopter des résolutions ayant été soumises à un examen collectif qui permet de départager sans équivoque les associés. Selon elle, une telle exigence n’est pas satisfaite lorsque le nombre des adversaires et des partisans peut simultanément être rempli : « Tel n’est pas le cas d’une clause statutaire stipulant qu’une résolution est adoptée lorsqu’une proportion d’associés représentant moins de la moitié des droits de votes présents ou représentés s’est exprimée en sa faveur, puisque les partisans et les adversaires de cette résolution peuvent simultanément remplir cette condition de seuil ». Elle conclut alors que « les résolutions ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés » et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement constituée.

La cour d’appel de renvoi de Paris autrement composée confirme à nouveau le premier jugement au visa de l’article L. 227-9 du Code de commerce. Elle rejette donc la demande d’annulation de la délibération au motif que les associés peuvent choisir librement dans les statuts une procédure d’adoption des décisions collectives, y compris celle sur l’augmentation, qui n’applique pas la règle de majorité. Ce faisant, le mode d’adoption retenu par les statuts de la société La Vierge ne porte pas atteinte au droit des associés de participer aux décisions collectives. Un nouveau pourvoi est alors formé par les associés opposants devant la chambre commerciale de la Cour de cassation. Celle-ci ordonne le renvoi devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Les demandeurs soulèvent un moyen unique subdivisé en trois branches.

La première branche n’était pas de nature à entraîner la cassation. En revanche, sur la deuxième branche, les demandeurs soutiennent qu’en validant une délibération de l’assemblée adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des voix exprimées, la cour a violé l’article L. 227-9 du Code de commerce qui exige que, en matière d’augmentation de capital, les décisions soient prises collectivement par les associés. Cette collectivité impliquant nécessairement un vote majoritaire, la délibération devait donc être déclarée nulle sans égard aux stipulations statutaires.

La question qui était soumise à la Cour était de savoir si une délibération de l’AGE de la SAS, portant sur une augmentation du capital avec suppression du droit préférentiel de souscription et adoptée à la majorité du tiers du droit de vote conformément aux termes du statut, encourt la nullité.

La Cour de cassation répond par la positive en cassant partiellement l’arrêt au visa des articles 1844, alinéa 1er, 1844-10, alinéas 2 et 3, du Code civil et l’article L. 227-9, alinéas 1 et 2, du Code de commerce.

Elle soutient que l’adoption d’une décision collective ne peut intervenir que si elle obtient au moins la majorité des voix exprimées et que la liberté contractuelle ne saurait contrarier ce principe. Une clause statutaire contraire à ce principe est alors réputée non écrite.

Statuant partiellement au fond sur la question en application des articles L. 411-3, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire et 627 du Code de procédure civile, elle tranche le litige sur la question de la validité de la délibération relative à l’augmentation de capital. L’assemblée plénière décide que celle-ci doit être annulée.

Dans sa décision, la Cour semble lier les notions de « décision collective » et « décision adoptée à la majorité ». Pour ce faire, elle va apporter une limite à la liberté contractuelle dans la SAS puisque celle-ci ne peut s’exercer en matière de décision collective sans égard à cette majorité (I). Une telle interprétation n’est pas sans emporter des contrariétés (II).

I – L’exigence de la majorité en matière de décision collective

La SAS reste une société dominée par le libéralisme. Toutefois, elle ne peut ignorer certaines règles limitatives considérées comme impératives. Si le caractère impératif apparaît clairement en ce qui concerne certains domaines, d’autres méritent d’être mieux précisés ou confirmés par la jurisprudence. C’est ainsi que l’assemblée plénière confirme que le domaine des décisions collectives de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 revêt un caractère impératif et implique de respecter une règle de majorité. La liberté contractuelle s’en trouve ainsi limitée (A) sur le terrain des domaines énumérés par l’alinéa 2 et nécessitant une prise collective de la décision (B).

A – Le principe de la liberté contractuelle

C’est l’article L. 227-5 du Code de commerce qui fixe le principe de la liberté dans la SAS lorsqu’il précise : « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ». Les statuts sont des actes juridiques adoptés par les associés ou actionnaires de la société et comportant les règles devant régir tant les rapports internes à l’entreprise, notamment les rapports entre associés, et les rapports entre les associés et la personne morale constituée, que les rapports externes avec les tiers. À ce titre, le statut comporte l’expression de la manifestation de la volonté des associés, ces derniers ayant décidé de se mettre ensemble pour consacrer leurs biens à la création d’une personne morale. À titre d’exemples, ce sont les statuts qui fixent les modalités de révocation du directeur général2, déterminent le mode de direction de la société3 et aussi les modalités d’adoption des décisions. Pour ce faire, ils doivent collaborer au bon fonctionnement et à la bonne exécution du contrat conclu, notamment en participant aux décisions collectives.

Dans la SAS particulièrement, le choix a été fait par le législateur de créer un type de société qui s’affranchit des nombreuses règles impératives de la société anonyme (SA)4 afin d’offrir aux associés plus de flexibilité dans l’organisation et le fonctionnement de la société. C’est au titre de cette liberté contractuelle que les associés de la SAS peuvent volontairement choisir de se soumettre aux règles impératives de la SA en adoptant par exemple le mode de fonctionnement et de direction de la SA. Nonobstant l’absence d’exigence légale particulière sur la question, la SAS peut donc librement se doter d’un conseil d’administration5 ou d’un conseil de surveillance6 et se soumettre au régime plus contraignant de la SA7.

Les statuts y jouent donc un rôle prééminent8 en raison de la grande liberté accordée à leurs rédacteurs9, qui sont principalement les associés, dans le fonctionnement de la société. Les associés doivent alors mettre un soin particulier à leur rédaction, puisque les termes des statuts fixeront à plusieurs égards les limites à l’exercice des droits des associés eux-mêmes et l’étendue de leurs devoirs. Il pourrait alors arriver que les clauses des statuts ne correspondent pas à la volonté du législateur et qu’il faille alors encadrer l’exercice de cette liberté statutaire. Sur les décisions collectives, dans le silence de la loi, il pouvait être déduit que la règle majoritaire n’était qu’une exception et ne s’appliquait qu’à défaut de disposition contraire du statut ou en cas de silence de celui-ci, puisque la liberté statutaire prévaut dans la SAS. Néanmoins, il ressort de la décision commentée que la volonté du législateur sur la question doit plutôt s’analyser comme érigeant la règle majoritaire comme un principe absolu des décisions collectives car une « décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix (…) [et] la liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s’exercer que dans le respect » de cette règle.

Il en résulte la preuve du caractère relatif de cette liberté statutaire, laquelle ne peut s’exprimer en atténuation du principe majoritaire.

B – La limite du principe résidant dans les décisions collectives

Il est constant que la liberté statutaire connaît des limites dans le respect du droit de vote des associés. Le droit de vote est un droit fondamental dévolu à tout associé. En effet, c’est celui qui permet à l’associé qui, en raison de l’autonomie de la volonté, a décidé de s’associer, de participer à la vie de la société et de donner son consentement pour la conclusion des actes souscrits au nom de la société. Érigé en droit d’ordre public10, l’associé ne peut être privé de son exercice au sein de la société en dehors des cas prévus par la loi, et toute clause statutaire contraire est réputée non écrite11. Ainsi, la décision prise en violation de cette interdiction encourt elle-même la nullité.

Une autre limite réside désormais dans le vote des décisions collectives. Les statuts déterminent les décisions à prendre par la collectivité des associés12, en l’absence de dispositions légales régissant la question. À ce titre, dans le cadre de l’augmentation du capital, les attributions sont dévolues à l’AGE13 dans la SAS, laquelle a d’ailleurs siégé et adopté la délibération litigieuse dans l’arrêt commenté. Les attributions de l’AGE en cette matière « sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés ». Il en découle que c’est le statut qui devrait fixer les conditions dans lesquelles la décision relative à l’augmentation de capital doit être prise collectivement (la liberté contractuelle).

Le processus d’augmentation du capital constitue une garantie de solvabilité de la société face à ses créanciers puisqu’il entraîne un enrichissement de la société. Il s’en déduit qu’il s’agit d’une décision importante14, autant pour la société elle-même que pour les associés pris individuellement, ce qui conduit d’ailleurs à une modification des statuts. Pour cette raison, le législateur impose aux associés que la décision sur l’augmentation du capital de même que celle sur la fusion, scission, dissolution et transformation15 soient prises collectivement. Cette prise de décision collective ne pourrait intervenir que si une certaine majorité est atteinte, notamment « au moins la majorité des voix exprimées », selon la décision commentée. Il pourrait alors s’agir d’une majorité relative ou simple, d’une majorité absolue ou qualifiée, voire possiblement d’une unanimité. Les associés ne pourraient alors que renforcer, à travers les statuts, cette règle majoritaire préalable nécessaire à la décision collective. La liberté des associés en cette matière serait alors limitée à la nécessité de respecter a minima la règle majoritaire. Pourtant, une telle précision ne figure pas dans la lettre de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du Code de commerce.

II – Les contrariétés de la décision

L’assemblée plénière adopte, s’agissant du champ de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9, une appréhension de la notion de « décision collective » qui la lie de facto à la règle majoritaire. C’est donc une définition particulière de la notion qu’elle institue (A). Or, il semble que l’alinéa répondait déjà à la question en circonscrivant lui-même les contours de la notion de « décision collective », et que, quoiqu’utile, il n’était plus nécessaire de les préciser (B).

A – Les contours de la notion de « décision collective » selon l’assemblée plénière

C’est entre autres au visa de l’article 1844, alinéa 1er, du Code civil que l’assemblée plénière casse la décision de la cour d’appel de renvoi. Aux termes de cet article, les associés disposent de diverses prérogatives, notamment le droit de participer aux décisions collectives. Cette prérogative suppose de participer, entre autres, aux assemblées16.

Par ailleurs, l’article L. 227-9 du Code de commerce impose que la décision d’augmentation de capital soit prise collectivement. Cela suppose normalement qu’elle doit être prise par tous les associés via, entre autres modes d’expression collective, l’assemblée générale (AG). Celle-ci est en effet, sans être la forme exclusive, « la déclinaison la plus ancienne et (…] offre [de la décision collective] la représentation la plus ordinaire »17. Plus particulièrement, à l’AGE, tous les associés doivent y avoir été convoqués, s’être présentés ou à défaut s’être fait représenter afin de prendre les décisions importantes de la société. La gravité de l’acte qui sera adopté nécessite que tous les associés votent à l’occasion de cette AGE, comme c’est le cas pour les opérations touchant au capital, plus particulièrement à une augmentation de capital.

Néanmoins, l’interprétation de l’assemblée plénière ne s’attarde pas sur le processus en amont de l’adoption de la délibération et laisse clairement comprendre que la collectivité de la décision n’est liée ni à l’instance au cours de laquelle elle est prise, notamment l’instance rassemblant le collectif de tous les associés, ni au processus. Ce faisant, on s’attacherait au descriptif18.

Au contraire, elle semble préciser que la notion de « décision prise collectivement » se réfère plutôt aux règles de vote, de sorte que « prise collectivement » doit être compris comme adopté au scrutin majoritaire. C’est donc une appréhension prescriptive19 exigeant une adoption majoritaire qu’il convient de privilégier. Il faudrait ainsi prendre en compte l’ensemble des votes exprimés et adopter impérativement la position ayant requis la majorité. D’ailleurs, certains auteurs avaient précisé que le vote majoritaire est l’essence même de la décision collective20, et seul un scrutin majoritaire pouvait la valider.

Ceci pourrait alors conforter l’idée selon laquelle les majoritaires auront toujours raison. Car il est nécessaire de départager sans équivoque les opposants et les partisans de la décision à adopter par le choix d’une modalité d’adoption à la majorité relative tout au moins. Sur ce dernier point, la décision rendue en 2022 par la chambre commerciale dans le cadre de cette même affaire précisait clairement qu’il s’agissait d’une majorité simple. La présente décision de l’assemblée plénière ne donne pas cette précision, de sorte qu’il peut bien s’agir de n’importe quelle majorité dès lors que le principe majoritaire y est respecté. Les statuts ne peuvent donc prévoir d’autres règles que celles retenant a minima une majorité.

La décision casse l’arrêt d’appel au visa, entre autres, de l’article 1844, alinéa 1er. Cet article précise que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Or, la participation aux décisions collectives suppose une attitude active consistant à interagir en posant des questions, assister aux délibérations mais aussi exprimer son point de vue en votant21. En l’espèce, les demandeurs semblaient avoir bien satisfait à toutes ces exigences et avaient ainsi bien participé à la décision collective. Pour la Cour, ceci ne suffit pas à retenir la décision comme étant collective. Elle ne pourrait l’être que si la décision en cause est adoptée par la majorité.

Outre l’alinéa 1er de l’article 1844, la Cour de cassation vise aussi l’article 1844-10, alinéas 2 et 3, relatif aux dispositions impératives. Par conséquent, l’exigence de la majorité pour l’adoption des décisions collectives est désormais érigée en règle impérative s’imposant non pas seulement aux SAS mais aussi au droit commun des sociétés. Il en ressort qu’encourt la nullité une délibération intervenue au mépris de l’exigence majoritaire comme le décide l’assemblée plénière statuant au fond sur la question, et ce, quelle que soit la forme sociale « dans laquelle les associés sont libres d’aménager les modalités d’adoption des délibérations collectives et même au-delà à n’importe quel groupement »22.

Mais cette appréhension n’était en réalité pas nécessaire car il semble que la lettre même de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 clarifiait déjà la question en répartissant les régimes.

B – La circonscription de facto opérée par l’alinéa 2 de l’article L. 227-9

En posant le principe de la liberté statutaire dans l’alinéa 1er de l’article L. 227-9 du Code de commerce, le législateur apporte lui-même les exceptions dans l’alinéa 2 lorsqu’il subordonne à l’exercice collectif des associés les attributions de l’AG et de l’AGE en certaines matières.

Comme le précise monsieur Delvallée, « la notion de décision collective est déconnectée de celle d’assemblée générale »23. En réalité, l’AG est une modalité d’adoption des décisions collectives. Toutefois, certaines décisions collectives relèvent expressément de la compétence des assemblées générales, qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires. À titre d’exemples, les décisions importantes, c’est-à-dire celles ayant des incidences significatives sur la subsistance même du pacte social, ne peuvent être prises collectivement qu’en AGE. Tel est le cas d’une décision d’augmentation, de réduction ou d’amortissement du capital social. Or, si le recours à ces assemblées est facultatif dans les SAS24, il est en revanche obligatoire dans la SA, dans laquelle le principe de la majorité des deux tiers des voix des actions présentes ou représentées s’applique nécessairement pour les décisions prises en AGE25. Il s’en déduit normalement, au regard du deuxième alinéa, que cette règle de la majorité des deux tiers devait également s’appliquer à la décision de l’AGE dans la SAS, puisque la précision figure dans une disposition applicable aux SAS. Elle constitue déjà une limite au principe de la liberté statutaire. L’alinéa 2 de l’article L. 227-9 ne renvoie-t-il pas implicitement aux règles de la SA, en raison de son introduction dans le chapitre applicable aux SAS, et ce, en dépit de l’exclusion de l’article L. 227-1, alinéa 3, du Code de commerce ? Il ne semble pas en effet qu’il y ait une incompatibilité substantielle entre l’exigence de l’alinéa 2 et les règles de la SAS.

Si une telle interprétation peut être valablement donnée à l’alinéa 2, le fait pour le législateur de préciser à nouveau in fine, « dans les conditions prévues par les statuts », est tout de même contradictoire. Elle semble, en effet, prêcher une chose et son contraire. Vouloir extraire les règles relatives aux attributions de l’AG et de l’AGE dans les domaines énumérés de la liberté contractuelle, et en même temps sembler, paradoxalement, admettre que ces attributions s’exercent conformément aux statuts paraît ambigu.

Pour pallier cet imbroglio, l’assemblée plénière érige une exception de l’exception, qui n’est pas totalement conforme à la lettre de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9.

Il faut comprendre « exercées collectivement par les associés », comme des décisions devant être prises par le plus grand nombre de voix. Il y avait donc un principe : celui de la liberté statutaire dans la SAS. Ce principe est assorti d’une exception, celle relative aux attributions de l’AG et de l’AGE dans certaines matières dont celle de l’augmentation du capital. En cette matière, la règle posée est impérative et réside dans la compétence de l’AGE sur les questions importantes comme l’augmentation du capital. Or, l’AGE ne peut statuer dans la SA qu’à la majorité des deux tiers26. Par conséquent, l’exception de l’alinéa 2 devait conduire à adopter cette majorité. Pourtant, à notre connaissance, cette position n’avait pas encore été retenue par les juges, peut-être parce qu’il ne s’agirait pas de la bonne interprétation. Ce serait alors pour cette raison que la haute cour, siégeant dans sa forme la plus solennelle, va ériger a minima la majorité relative puisqu’elle précise qu’il importe juste que la décision réunisse le plus grand nombre de voix, les attributions de l’AGE sur ces matières devant s’exercer collectivement par les associés, notamment par un vote majoritaire des délibérations. Mieux, la Cour fait coïncider la notion de « décision collective » avec celle de « majorité ». Il ne peut donc y avoir une décision collective sans une majorité des suffrages.

En définitive, la liberté de fixer dans les statuts les règles relatives aux prises de décision collective n’est pas absolue. En effet, les règles doivent permettre de départager les associés favorables et ceux opposés à la décision ou résolution à voter. Or, en instituant que la résolution pourrait être adoptée à la majorité des tiers, c’est-à-dire moins de la majorité des droits de vote, ceci ne permet pas d’atteindre l’objectif de départage recherché. La décision collective ne pourrait être tenue comme adoptée que si elle requiert le plus grand nombre de voix et, en ce sens, les minoritaires auront toujours tort. En statuant dans ce sens, la Cour de cassation apporte une condition qui n’est pas explicite, s’agissant de la notion de « décision collective », dans les articles au visa desquels la décision est rendue. Il est vrai que l’adoption à la majorité apporte une légitimité à la décision dite collective27 mais elle n’en était normalement pas une condition.

Une telle précision serait rendue inopérante par une interprétation approfondie de l’alinéa 2 de l’article L. 227-9 du Code de commerce sur les attributions de l’AG. Dans ledit alinéa, certaines matières sont énumérées comme relevant des attributions des assemblées dans la SA. N’aurait-il pas été plus aisé pour la Cour d’en déduire que, en ces matières, les modalités de vote des décisions collectives en AG ordinaire et AGE dans la SA s’appliquent en exception au principe de la liberté posé par l’alinéa 1er du même article ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 23 oct. 2007, n° 06-16.537, FS-PBI : D. 2008,p. 47, note Y. Paclot.
  • 2.
    Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795 : JCP E 2022, 1144, note B. Dondero – Cass. com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382 : JCP E 2022, p. 1371, note B. Dondero.
  • 3.
    Cass. com., 25 janv. 2017, n° 14-28.792 : BJS mars 2017, n° BJS116d5, note M. Germain et P.-L. Périn.
  • 4.
    D. Legeais, Droit commercial et des affaires 2025, 31e éd., 2024, Sirey, p. 379 et s. ; J. Delvallée, « La collégialité dans les sociétés par actions simplifiées », Rev. sociétés 2020, p. 76 ; J. Honorat, « La société par actions simplifiée ou la résurgence de l’élément contractuel en droit français des sociétés (1re partie) », LPA 16 août 1996, p. 4.
  • 5.
    J. Honorat, « La société par actions simplifiée ou la résurgence de l'élément contractuel en droit français des sociétés (1re partie), LPA 16 août 1996, p. 4 ; Cass. com., 25 janv. 2017, n° 14-28.792 – Cass. com., 20 nov. 2019, n° 18-17.787, F-D : JCP E 2020, 1215, § 9, note B.-O. Becker ; Dr. sociétés 2020, comm. 25, note J.-F. Hamelin.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 1er févr. 2024, n° 21-25.175, F-D.
  • 7.
    Tel est le cas de la possibilité pour la SAS de se soumettre aux régimes des conventions réglementées de la SA. V. C. Gbénou, « Articulation entre les régimes des conventions réglementées dans les SA et SAS : supplétivité et/ou impérativité du régime de la SAS ? », JCP E 2024, 1293.
  • 8.
    Cass. com., 25 janv. 2017, n° 14-28.792 : BJS mars 2017, n° BJS116d5, note M. Germain et P.-L. Périn.
  • 9.
    J. Paillusseau, « L’organisation du pouvoir dans la SAS », Dr. et patr. mars 2003, n° 113, p. 26.
  • 10.
    Cass. com., 9 févr. 1999, n° 96-17.661 : Rev. sociétés 1999, p. 81, note P. Le Cannu.
  • 11.
    Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-14.960 – Cass. com., 21 avr. 2022, n° 20-20.619, F-D.
  • 12.
    C. com., art. L. 227-9.
  • 13.
    D. Legeais, Droit commercial et des affaires 2025, 31e éd., 2024, Sirey, p. 330, n° 582.
  • 14.
    M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 37e éd., LexisNexis, p. 588, n° 1590.
  • 15.
    C. com., art. L. 227-9.
  • 16.
    M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 37e éd., LexisNexis, p. 226, n° 553.
  • 17.
    G. Grundeler, « Décision collective et assemblée générale, tentative de mise en ordre », D. 2022. p. 2241.
  • 18.
    D. Gallois-Cochet, « Faut-il consacrer la loi de la minorité ? », D. 2024, p. 1629.
  • 19.
    D. Gallois-Cochet, « Faut-il consacrer la loi de la minorité ? », D. 2024, p. 1629.
  • 20.
    F.-X. Lucas, « Définition de la majorité qu’implique la prise de décisions collectives de SAS », note ss Cass. com., 19 janv. 2022, n° 19-12.696, BJS avr. 2022, n° BJS200y3 ; B. Dondero, « La décision adoptée à la… minorité ? », JCP E 2022, n° 10, p. 1091.
  • 21.
    Cass. com., 4 janv. 1994, n° 91-20.256 : Rev. sociétés 1994,p. 278, note M. Lecène-Marénaud.
  • 22.
    F.-X. Lucas, « Définition de la majorité qu’implique la prise de décisions collectives de SAS », BJS avr. 2022, n° BJS200y3.
  • 23.
    J. Delvallée, « La collégialité dans les sociétés par actions simplifiées », Rev. sociétés 2020, n° 12, p. 77.
  • 24.
    D. Legeais, Droit commercial et des affaires 2025, 31e éd., 2024, Sirey, p. 383, n° 661.
  • 25.
    C. com., art. L. 225-96.
  • 26.
    C. com., art. L. 225-96.
  • 27.
    J.-B. Tap, « Réflexions sur les règles d’expression collective des associés », Rev. sociétés 2024, p. 298.
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