La réforme du régime des nullités en droit des sociétés est actée

Publié le 23/04/2025
Entreprise, difficultés
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Le nouveau régime de droit commun des nullités des sociétés est mis en place par l’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés.

L’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés s’inscrit dans le cadre de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024, qui habilite le gouvernement à réformer le régime des nullités en droit des sociétés1.

Elle repose sur un rapport du 27 mars 2020 du Haut comité juridique de la place financière de Paris, ainsi que sur les recommandations du Conseil d’État du 4 juillet 2024 et sur un constat partagé par les praticiens mettant en évidence des lacunes dans le régime en vigueur, soulignant sa complexité, les incertitudes et les risques associés, ainsi que la nécessité de clarifications.

Afin de moderniser le droit des sociétés, l’ordonnance est structurée en trois titres : le premier concerne le régime de nullités des sociétés dans le Code civil, le second celui du Code de commerce, et enfin un dernier titre est réservé à des mesures diverses. L’ordonnance prévoit des dispositions :

  • simplifiant et clarifiant les nullités en limitant les risques d’insécurité et d’incertitude juridique liés à ce régime ;
  • harmonisant le droit français avec la directive européenne n° 2017/1132 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2017, pour éviter toute confusion entre le droit écrit et son interprétation conforme à la directive par les tribunaux ;
  • renforçant la sécurité juridique en évitant les nullités en cascade pouvant fragiliser les sociétés.

En alignant le droit français sur les standards européens, cette ordonnance introduit des critères plus stricts pour la reconnaissance des nullités et limite leur portée afin de faire évoluer les nullités du droit des sociétés dans leur champ d’application et leur régime, dans le but de renforcer la sécurité juridique en circonscrivant le risque de nullités et les incertitudes de leur mise en œuvre.

La réforme vise donc à simplifier et clarifier les nullités en droit des sociétés. Actuellement, ces nullités reposent sur des dispositions redondantes dans le Code civil et le Code de commerce, créant de l’insécurité juridique. La réforme rétablit dans son titre premier le rôle des articles 1844-10 et suivants du Code civil comme droit commun des nullités en matière de droit des sociétés, en abrogeant les dispositions générales du Code de commerce, dont certains dispositifs sont intégrés au Code civil. Le nouveau régime entrera en vigueur le 1er octobre 2025.

I – Les causes de nullité (C. civ., art. 1844-10)

L’objectif de l’ordonnance est de revoir l’ensemble des causes de nullité afin d’identifier celles qu’il était nécessaire d’exclure du contrôle du juge.

La nullité de la société. L’article premier de l’ordonnance modifie le premier alinéa de l’article 1844-10 pour réduire les causes de nullité des sociétés à l’incapacité atteignant les fondateurs et la règle relative au nombre minimum d’associés, conformément à l’article 11 de la directive n° 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés.

En effet, l’alinéa premier spécifiait que, outre les causes de nullité issues du droit commun des contrats, le Code civil ne prévoit la nullité de la société que pour la violation de certaines dispositions légales relatives :

  • à l’objet social (C. civ., art. 1833, al. 1 : objet licite et dans l’intérêt commun, précise la loi de mai 2019).

Désormais, l’alinéa premier prévoit que la nullité de la société ne peut résulter que « de l’incapacité de tous les fondateurs ou de la violation des dispositions fixant un nombre minimal de deux associés ».

Le régime des clauses statutaires illégales. Quant au second alinéa, il prévoit désormais que toute clause statutaire contraire à une disposition impérative « du droit des sociétés » (et non plus « du présent titre ») dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite. Autrement dit, au deuxième alinéa de l’article 1844-10 du Code civil, la règle de localisation (« du présent titre ») est remplacée par le critère matériel de « droit des sociétés ». En effet, selon le rapport au président de la République, les limitations imposées par un critère formel, comme la localisation de la règle, ont poussé la jurisprudence à s’en éloigner. Pour plus de clarté, le critère matériel du « droit des sociétés », déjà adopté par la jurisprudence, remplace désormais la règle de localisation.

La nullité des décisions sociales. L’alinéa 3 énonce que les actes ou délibérations des organes de la société n’encourent la nullité qu’en cas de violation d’une disposition impérative du droit commun des sociétés – à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833 (gestion dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité) que précise la loi de mai 2019 – ou en raison de l’une des causes de nullité des contrats en général. Désormais, il précise que « la nullité des décisions sociales ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative de droit des sociétés, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général ». Ainsi, au troisième alinéa de l’article 1844-10 du Code civil, la notion de « décision sociale » se substitue à celle « d’actes ou de délibérations de la société », de sorte que la règle de localisation est donc remplacée par le critère matériel de « disposition impérative du droit des sociétés ».

L’objectif ici est que les « décisions sociales » excluent les conventions avec des tiers et les avis émis par des instances collectives non décisionnaires. Le régime des nullités des décisions sociales s’applique uniquement aux actes décisionnels internes de la société, y compris les nullités des assemblées d’obligataires.

Le nouveau régime de la nullité pour violation des statuts. L’article premier de l’ordonnance crée un nouvel alinéa à l’article 1844-10 du Code civil qui prévoit le nouveau régime de la nullité pour violation des statuts. Il en résulte que « sauf si la loi en dispose autrement, la violation des statuts ne constitue pas une cause de nullité. »

Ainsi, la question de la nullité pour violation des statuts est désormais clarifiée. Un principe général d’exclusion est posé, réservant toutefois la possibilité de dispositions dérogatoires.

II – Le nouveau régime de la nullité de l’apport (C. civ, art. 1844-10-1 nouv. ; Ord., art. 2)

L’article 2 de l’ordonnance crée un nouvel article 1844-10-1 du Code civil relatif au régime de la nullité de l’apport, distinct de la nullité de la société.

Ainsi, il résulte du nouvel article 1844-10-1 du Code civil que : « La nullité de l’apport ne peut résulter que des causes mentionnées au troisième alinéa de l’article 1844-10.

La nullité de l’apport entraîne l’annulation des parts sociales ou des actions émises en contrepartie, et, dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9, la restitution, par la société, des engagements exécutés par l’apporteur.

La nullité de tous les apports, qu’ils soient souscrits au cours de la constitution ou postérieurement à celle-ci, entraîne la dissolution de la société. Il est alors procédé à sa liquidation conformément aux dispositions des statuts et du chapitre VII du titre III du livre II du Code de commerce, sans préjudice des dispositions du troisième alinéa de l’article 1844-5 ».

III – L’extinction de l’action en nullité (C. civ., art. 1844-11 ; Ord., art. 3)

L’action en nullité est désormais simplement éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance. Il n’est plus spécifié « sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social ».

Autrement dit, l’article 3 de l’ordonnance, en modifiant l’article 1844-11 du Code civil, supprime l’exception fondée sur la cause de nullité tirée de l’illicéité de l’objet social, la modification de l’objet social qui le rendrait licite pouvant aussi éteindre l’action.

IV – Le dispositif de la régularisation de la société par tout intéressé sacrifié (C. civ., art. 1844-12 abrogé ; Ord., art. 4)

L’article 4 de l’ordonnance abroge l’ancien article 1844-12 du Code civil et supprime ainsi le mécanisme, peu usité, de l’action interrogatoire.

Ainsi, le régime actuel ne pourra être appliqué que jusqu’au 30 septembre 2025. Il prévoit, pour l’heure, qu’en cas de nullité de la société, d’un acte ou d’une délibération postérieure à sa constitution, qui est fondée sur un vice de consentement ou l’incapacité d’un associé, si la régularisation est possible, tout intéressé peut mettre en demeure celui qui peut y procéder, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. Cette mise en demeure doit être dénoncée à la société.

Dans ce même délai, la société ou tout associé peut proposer au juge toute mesure susceptible de supprimer l’intérêt du demandeur, notamment par le rachat des droits sociaux. Le juge va alors soit prononcer la nullité, soit rendre obligatoires les mesures proposées préalablement adoptées par la société aux conditions des modifications statutaires. Le vote de l’associé dont le rachat des droits est demandé est sans influence sur la décision de la société.

En cas de contestation, la valeur des droits sociaux à rembourser à l’associé est déterminée conformément à l’article 1843-4 du Code civil.

V – Les conditions de la nullité des décisions de la société (C. civ., art. 1844-12-1 ; Ord., art. 5)

L’article 5 de l’ordonnance introduit un nouvel article 1844-12-1 du Code civil prévoyant un régime général contenant des directives d’interprétation dit « triple test » pour le juge saisi d’une demande de nullité d’une décision sociale.

Ainsi, désormais, le nouvel article 1844-12-1 du Code civil prévoit que « la nullité des décisions sociales ne peut être prononcée que si :

« 1° Le demandeur justifie d’un grief résultant d’une atteinte à l’intérêt protégé par la règle dont la violation est invoquée ;

« 2° L’irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision ;

« 3° Les conséquences de la nullité pour l’intérêt social ne sont pas excessives, au jour de la décision la prononçant, au regard de l’atteinte à l’intérêt dont la protection est invoquée ».

Ainsi, l’automaticité du prononcé de la nullité est écartée ici.

VI – La régularisation judiciaire de la société (C. civ., art. 1844-13)

L’article 1844-13 du Code civil n’est pas réformé.

Ainsi, le tribunal saisi d’une demande en nullité peut toujours d’office fixer un délai de régularisation et ne peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’exploit introductif d’instance.

Et si lorsque pour couvrir une nullité il est nécessaire de réunir une assemblée générale (sa convocation régulière doit alors être justifiée) ou de consulter les associés (l’envoi aux associés du texte des projets de décision accompagné des documents adéquats doit alors être justifié), le juge doit accorder le délai nécessaire à la prise de décision.

VII – Le délai de prescription des actions en nullité (C. civ., art. 1844-14 ; Ord., art. 6)

En matière de droit des sociétés, les actions en nullité de la société, ainsi que certains actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivaient d’une manière générale par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue.

Désormais, le nouveau texte prévoit que « sous réserve des dispositions particulières concernant les fusions, les scissions et les modifications du capital social, les actions en nullité de la société, de décisions sociales postérieures à sa constitution ou d’apports se prescrivent par deux ans à compter du jour où la nullité est encourue ».

Autrement dit, l’article 6 de l’ordonnance modifie l’article 1844-14 du Code civil pour raccourcir le délai de prescription des actions en nullité de la société, d’apport ou de décisions sociales postérieures, de trois à deux ans. Les dispositions relatives à la prescription propres aux modifications du capital social, aux fusions et aux scissions sont réservées.

VIII – Les effets de la nullité

À la suite de l’article 1844-15 du Code civil relatif aux effets de la nullité de la société sur le contrat de société, l’article 8 de l’ordonnance de 2025 insère deux articles 1844-15-1 et 1844-15-2 à la suite de l’article 1844-15, tous deux relatifs aux conséquences des nullités des décisions sociales.

A – Les effets de la nullité de la société sur le contrat de société (C. civ., art. 1844-15 ; Ord., art. 7)

Le premier alinéa est conservé en l’état. Ainsi, « lorsque la nullité de la société est prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat ».

L’article 7 modifie l’alinéa 2 de l’article 1844-15 du Code civil afin d’y intégrer les dispositions de l’article L. 235-10 du Code de commerce abrogé par l’article 63 de l’ordonnance. La nouvelle rédaction de l’alinéa 2 prévoit donc que sous réserve de l’application des dispositions du troisième alinéa de l’article 1844-5 du Code civil, relatif à la liquidation des sociétés à associé unique, il est procédé à sa liquidation2. L’article précise que lorsque la nullité de la société est prononcée, il est procédé à sa liquidation conformément aux dispositions du Code de commerce, le dispositif du Code de commerce couvrant les sociétés civiles. Le cas des sociétés à associé unique, prévu à l’article 1844-5, alinéa 3, est réservé s’agissant de la liquidation. Pour rappel, celui-ci prévoit qu’« en cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l’associé unique, sans qu’il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de 30 jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l’opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La transmission du patrimoine n’est réalisée et il n’y a disparition de la personne morale qu’à l’issue du délai d’opposition ou, le cas échéant, lorsque l’opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées ».

L’ancien alinéa 2 devient l’alinéa 3. Ainsi, il est toujours prévu qu’« à l’égard de la personne morale qui a pu prendre naissance, elle produit les effets d’une dissolution prononcée par justice ».

B – La nullité de la nomination est par principe sans effets sur les actes accomplis (C. civ., art. 1844-15-1 nouv. ; Ord., art. 8)

Il résulte du nouvel article 1844-15-1 du Code civil que, « sauf disposition législative contraire, la nullité de la nomination ou le maintien irrégulier d’un organe ou d’un membre d’un organe de la société n’entraîne pas la nullité des décisions prises par celui-ci ».

Ainsi, l’article 1844-15-1 du Code civil prévoit que les irrégularités de désignation ou de composition d’un organe social n’entraînent pas la nullité des décisions subséquentes. Il s’agit ici de généraliser des règles spécifiquement élaborées pour les sociétés par actions, en prévoyant que les irrégularités de désignation ou de composition d’un organe social n’entraînent pas par elles-mêmes la nullité des décisions subséquentes, pour mettre un terme aux risques que les nullités dites « en cascade » présentaient pour le fonctionnement régulier des sociétés.

C – Les effets de la nullité peuvent être différés (C. civ., art. 1844-15-2 nouv. ; Ord., art. 8)

Il résulte du nouvel article 1844-15-2 du Code civil que « lorsque la rétroactivité de la nullité d’une décision sociale est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social, les effets de cette nullité peuvent être différés ».

L’article 1844-15-2 prévoit ainsi une disposition générale qui autorise le juge à différer dans le temps les effets de la nullité, et par conséquent de la priver de son effet rétroactif, lorsque la rétroactivité de la nullité est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social.

IX – Les effets de la nullité sur les tiers (C. civ., art. 1844-16)

Le régime des effets de la nullité sur les tiers demeure inchangé.

Ainsi, le Code civil prévoit toujours que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi ». Toutefois, lorsqu’elle résulte de l’incapacité ou d’un vice du consentement (autre que la lésion), elle demeure opposable aux tiers par l’incapable et ses représentants légaux, ou par l’associé dont le consentement a été vicié.

X – L’action en responsabilité en raison de la nullité (C. civ., art. 1844-17 ; Ord., art. 9)

Le rapport au président de la République nous apprend que la réforme prend en compte les incertitudes exprimées par les praticiens concernant la terminologie « d’actes et de délibérations », introduite par la loi du 24 juillet 1966. En effet, la notion « d’acte » peut concerner les conventions passées par la société avec des tiers, qui relèvent du droit commun des contrats et ne doivent pas être soumises aux nullités du droit des sociétés. La notion de « délibération » pourrait se rapporter aux résultats des travaux des instances collectives non décisionnaires, comme les comités prévus par les statuts. Ainsi, les termes « actes et délibérations » sont remplacés par « décisions sociales », qui excluent les conventions passées avec des tiers, ainsi que les avis, opinions ou recommandations émis par toute instance collective instituée au sein de la société par la loi, les statuts ou de toute autre manière. Le régime des nullités des décisions sociales s’applique donc uniquement aux actes décisionnels internes de la société. Par cohérence, les nullités des assemblées d’obligataires sont également soumises à ce même régime par une disposition spéciale.

C’est pourquoi, désormais, l’action en responsabilité fondée sur l’annulation de la société ou « des décisions sociales et apports postérieurs » (et donc non plus « des actes et délibérations postérieurs » à la constitution) se prescrit par trois ans à compter du jour où la décision d’annulation est passée en force de chose jugée.

Toutefois, la disparition de la cause de nullité n’est pas un obstacle à l’action en dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le vice affectant la société, « la décision sociale ou l’apport » (et non plus « l’acte ou la délibération »). Cette action se prescrit également par trois ans à compter du jour où la nullité a été couverte.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ord. n° 2025-229, 12 mars 2025, portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés : JO, n° 0062, 13 mars 2025, texte n° 3 ; Rapp. au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025, portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés : JO, n° 0062, 13 mars 2025, texte n° 2.
  • 2.
    Conformément aux dispositions des statuts et du chapitre VII du titre III du livre II du Code de commerce.
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