Le HCJP dessine la future « société européenne simplifiée » (SES) dédiée aux PME

Publié le 30/04/2021

Et si la société par actions simplifiée (SAS) s’exportait au niveau européen ? Le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) publie ce vendredi un rapport rédigé à la demande du gouvernement qui propose un modèle de société européenne taillé sur mesure pour les PME. Les explications de Jean-Eric Cros, associé CMS-Francis Lefebvre qui a piloté les travaux.

Le HCJP dessine la future "société européenne simplifiée" (SES) dédiée aux PME
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 Actu-Juridique :  « Jamais deux sans trois », prétend le dicton populaire. Après la SPE (1) en 2008 et la SUP (2) en 2014, voici que vous proposez la SES (3). Jusqu’ici, les modèles de société européenne peinent à se développer. Comment expliquer ces difficultés  ?

Jean-Eric Cros : Les raisons en sont essentiellement politiques. La Commission européenne fonctionne sur la règle de l’unanimité de ses membres, ce qui est compliqué à obtenir. Chaque pays en effet a tendance à protéger son système de sorte que dès qu’on propose une solution harmonisée, il y a toujours quelques états pour y faire obstacle. C’est pourquoi notre fil conducteur a consisté à heurter le moins possible les droits nationaux. Parmi les sujets sensibles, il y a la participation des salariés ou encore le rôle des notaires. Par exemple, les notaires allemands ont toujours été vent debout contre la SPE. Il s’agit donc de ne pas forcer. Une autre raison de ces succès mitigés, c’est la peur suscitée par la société européenne. La procédure de transformation est jugée lourde. Pour une entreprise française, cela implique d’entrer sous le régime de la société anonyme qui est devenue aujourd’hui un repoussoir en raison des règles qui se complexifient depuis 2001. On n’a quelques dizaines de sociétés européennes françaises, contre deux millions de SAS. Les allemands et les hollandais ont des formes de sociétés simplifiées assez similaires à la SAS.  D’où l’idée de travailler sur ce modèle.

Actu-Juridique : Pourquoi lancer un nouveau projet de société européenne maintenant ?

JEC. : C’est une demande de Bercy et de la Chancellerie qui s’appuie sur le constat que le développement économique passe nécessairement par les PME qui constituent 98% du tissu économique européen et qu’il manque à l’évidence une structure commune pour faciliter ce développement.  Concrètement, imaginons un petit groupe français qui décide de s’implanter en Pologne et en Allemagne. Il ne connait rien aux droits locaux, il lui faut donc faire cet apprentissage, recruter des conseils. Alors que s’il adopte une forme européenne, il lui suffira de lire le règlement relatif à la SES ce qui évite la peur de l’inconnu et réduit les coûts. Lors des auditions que nous avons réalisées, nous avons constaté également que le côté « label » était important : se constituer en société européenne marque la volonté de développer une activité européenne.  Et puis cela répond à une attente des investisseurs : il est plus simple pour un français d’entrer au capital d’une société européenne que d’une société slovène dont il ignore tout du droit local.

Actu-Juridique : Quelles sont les principales caractéristiques de la SES  ?

JEC. : Fortement inspiré de la SAS, la SES peut être créée par une ou plusieurs personnes physique ou morale, mais aussi être unipersonnelle. Le maitre-mot est la souplesse. Nous n’avons pas fixé de capital minimum, le règlement ne définit qu’un nombre de règles impératives minimum, le reste renvoie aux statuts. C’est une société de capitaux qui ressemble à une société par actions, mais elle n’est pas destinée à aller à la cotation. Nous avons ciblé les PME, depuis la plus petite d’une personne à capital de un euro, jusqu’à la filiale de grand groupe. Le modèle est inspiré de la SAS française et de ses homologues allemande –  GMBH- et néerlandaise -NV-.  Nous avons opté pour la simplicité : le siège est celui des statuts, le critère européen repose uniquement sur la  volonté exprimée dans l’objet social d’avoir une activité paneuropéenne. Nous avons repoussé l’exigence d’avoir deux associés dans deux pays car cela condamnait la société unipersonnelle.

Actu-Juridique : Les rapports du HCJP se traduisent très souvent par des réformes assez rapides, quel avenir espérez-vous pour celui-ci  ?

JEC : On pouvait espérer que la présidence française en 2022 serait l’occasion de soutenir ce projet, hélas, on nous indique que le calendrier est déjà plein. Il faut donc espérer que la Chancellerie le proposera à la Commission dès que ce sera possible. L’Association Henri Capitant a développé un projet parallèle proche de notre modèle, quoiqu’un peu plus rigide. Il nous a été indiqué que le gouvernement s’appuierait certainement sur les deux rapports pour présenter la SES.  Nous espérons avoir le soutien de l’Allemagne car ce sont nos deux pays qui portent depuis le départ les projets de société européenne. Les esprits ont évolué depuis les exercices précédents, la mondialisation a progressé, les frontières s’atténuent, nous sommes confiants dans le succès de ce nouveau modèle.

 

(1) Société privée européenne

(2) Société unipersonnelle à responsabilité limitée

(3) Société européenne simplifiée