Le patrimoine d’affectation du responsable d’une EIRL neutralisé par des exigences de forme

Publié le 13/09/2019

Le non-respect des exigences de forme auxquelles doit satisfaire la déclaration d’affection de patrimoine faite par un responsable d’EIRL est de nature à en neutraliser les effets.

Cass. com., 6 mars 2019, no 17-26605, PB

Il existe assez peu de contentieux portant sur les déclarations d’affectation de patrimoine à l’activité professionnelle de personne exerçant leur activité sous la forme d’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, cette décision en est un des rares exemples. Une personne à la tête d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée a, par une déclaration déposée, affectée une partie de son patrimoine à son activité professionnelle. Une procédure collective a été ouverte.

La société Caisse régionale de crédit agricole de la Corse (la Caisse), qui lui avait consenti un prêt pour le financement de l’acquisition de son logement, a déclaré une créance à ce titre, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que l’intéressé ayant régulièrement affecté une partie de son patrimoine à son activité professionnelle, la créance relative au prêt habitat consenti à titre privé ne constitue pas une créance née à l’occasion de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté et qu’elle ne peut donc être admise à son passif.

La Cour de cassation estime que tribunal ayant ouvert la procédure collective sans préciser qu’elle ne visait que les éléments du seul patrimoine affecté à l’activité en difficulté et en ne mentionnant pas la dénomination sous laquelle était exercée l’activité sous forme d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ni ces derniers mots ou les initiales EIRL, il en résultait que la Caisse pouvait déclarer sa créance à la procédure collective. Dès lors, elle casse et annule l’arrêt rendu entre les parties, par la cour d’appel.

Cette interprétation formelle et restrictive (II) de la possibilité ouverte à un entrepreneur exerçant sous forme d’entreprise individuelle à responsabilité limitée d’affecter une partie seulement de son patrimoine à son activité (I) limite beaucoup les effets de cette disposition.

I – L’affectation d’une partie de son patrimoine à l’activité de celui qui exerce sous forme d’EIRL

A – Le patrimoine

Le patrimoine a longtemps été considéré comme une entité unique, mais cette notion admet maintenant des assouplissements1, avec le patrimoine d’affectation autorisé dans le cadre de l’activité professionnelle d’un entrepreneur exerçant son activité sous la forme d’EIRL2 mais avec des précautions pour sauvegarder les droits des créanciers.

B – Assouplissements à l’unité du patrimoine

La relative fin de l’unité du patrimoine s’est manifestée par l’entrée dans le droit français de la possibilité offerte à l’entrepreneur individuel d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel3. Dans cette optique, le lieu servant d’habitation à la famille est maintenant protégé4. S’il souhaite bénéficier des règles lui permettant une séparation de son patrimoine affecté à son entreprise de son patrimoine personnel5, un entrepreneur individuel à responsabilité limitée6 doit affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel7.

La séparation du patrimoine professionnel et du patrimoine personnel est une mesure qui permet à l’entrepreneur individuel de mettre ses biens personnels à l’abri de la poursuite des créanciers en cas de difficultés financières ou de procédure collective. Cette séparation de patrimoines se réalise au moyen de la déclaration d’affectation de patrimoine8.

Pour être valable, cette déclaration d’affectation doit comporter un certain nombre d’indications relatives à sa nature et à sa valeur9.

Pour l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté, l’entrepreneur individuel doit utiliser une dénomination incorporant son nom, précédé ou suivi immédiatement des mots : « Entrepreneur individuel à responsabilité limitée » ou des initiales : « EIRL »10.

L’absence de mention dans la déclaration relative aux biens nécessaire à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel constitue un manquement grave de nature à invalider la déclaration et à la priver d’effets car l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable sur la totalité de ses biens et droits en cas de manquement grave à ces règles11. La déclaration d’affectation du patrimoine est inopposable au liquidateur judiciaire dès lors que l’entrepreneur individuel a manqué aux règles qui y sont applicables12, permettant alors au créancier de poursuivre leur débiteur sur l’ensemble de son patrimoine sans avoir à tenir compte de la déclaration d’affectation de patrimoine.

Un entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui souhaite affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel doit le faire par le dépôt d’une déclaration devant comporter un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l’activité professionnelle, en nature, qualité, quantité et valeur, le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun de ces éléments constitue en conséquence un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines13.

La déclaration d’affectation du patrimoine d’un entrepreneur individuel se fait auprès des organismes chargés de la tenue de registres qui sont :

  • 1° Soit le registre de publicité légale auquel l’entrepreneur individuel est tenu de s’immatriculer ;

  • 2° Soit le registre de publicité légale choisi par l’entrepreneur individuel en cas de double immatriculation ; dans ce cas, mention en est portée à l’autre registre ;

  • 3° Soit, pour les personnes physiques qui ne sont pas tenues de s’immatriculer à un registre de publicité légale, à un registre tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal ;

  • 4° Soit, pour les exploitants agricoles, au registre de l’agriculture tenu par la chambre d’agriculture compétente14.

Les organismes, chargés de la tenue des registres où est faite la déclaration, n’acceptent le dépôt de celle-ci qu’après avoir vérifié qu’elle comporte les éléments exigés par la loi15.

Normalement, l’acceptation du dossier de déclaration par le greffe suppose la vérification préalable des biens affectés.

II – Une interprétation formelle et restrictive

A – Une interprétation rigide des textes

Les textes exigent une déclaration précise du patrimoine affecté à l’activité professionnelle, faite auprès d’organismes précis et la mention dans les actes professionnels de l’intéressé qu’il s’agit d’une entreprise à responsabilité limitée ou au moins la mention EIRL et il a déjà été jugé, et cela est repris par la présente décision, que l’absence de ces mentions entraîne l’invalidité de cette déclaration et donc la possibilité pour les créanciers de poursuivre le responsable de l’entreprise à responsabilité sur l’ensemble de son patrimoine sans avoir à tenir compte de la déclaration d’affection du patrimoine16.

B – Conséquences

Les juges rappellent alors que le dépôt de déclaration d’affectation ne mentionnant aucun de ces éléments constitue un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines17.

Conclusion

Derrières des exigences formelles cette interprétation des textes semble destinée à la sauvegarde des droits des créanciers.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Denizot A., « L’étonnant destin de la théorie du patrimoine », RTD civ. 2014, p. 547.
  • 2.
    L. n° 2010-658, 15 juin 2010.
  • 3.
    C. com., art. L. 526-6, al. 1.
  • 4.
    C. com., art. L. 526-1 ; L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 206, dite loi Macron qui déroge au Code civil (C. civ., art. 2284 et C. civ., art. 2285).
  • 5.
    C. com., art. L. 526-6.
  • 6.
    L. n° 2010-658, 15 juin 2010.
  • 7.
    Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481.
  • 8.
    C. com., art. L. 526-6.
  • 9.
    C. com., art. L. 526-6 ; Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481.
  • 10.
    C. com., art. L. 526-6.
  • 11.
    C. com., art. L. 526-12, 2°, al. 2 ; Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481.
  • 12.
    Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481.
  • 13.
    C. com., art. L. 626-6 ; Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481.
  • 14.
    C. com., art. L. 526-7, mod. par L. n° 2014-626, 18 juin 2014, art. 33.
  • 15.
    C. com., art. L. 526-8, mod. par L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 128.
  • 16.
    Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481.
  • 17.
    Gamaleu Kameni C., docteur en droit, « Retour sur la déclaration d’affectation du patrimoine d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée », LPA 10 avr. 2018, n° 134y1, p. 11.
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