Le travail dissimulé par dissimulation d’activité commerciale
Dès lors qu’une entreprise immatriculée à l’étranger dispose d’une représentation permanente en France à travers l’adresse de son gérant pour les besoins de son activité commerciale, ce dernier est tenu de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés français, de procéder aux déclarations de son activité aux organismes de sécurité sociale ou à l’administration fiscale.
L’absence d’immatriculation de ce gérant au registre du commerce et des sociétés est constitutive de travail dissimulé par dissimulation de l’activité en France
Cass. crim., 20 juin 2017, no 14-85879, PB
1. Le travail dissimulé1 est une gangrène pour la société toute entière. Outre le fait qu’elle prive les salariés de la protection sociale qui leur est due et qu’elle fausse la concurrence entre les entreprises dont certaines échappent aux charges sociales qui frappent les autres2, cette infraction3 porte également atteinte aux droits du Fisc en privant l’administration fiscale de la possibilité de recouvrer normalement les créances obligatoires. Afin de remédier à cet état de chose, le législateur a édicté, par le truchement de la loi du 10 juillet 20144, des peines complémentaires relatives à l’infraction de travail dissimulé. Quant aux juges, ils s’attèlent, de manière quotidienne, à sanctionner toutes les formes de travail dissimulé, spécifiquement le travail dissimulé par dissimulation d’activité. L’affaire rendue le 20 juin 2017 par la chambre criminelle de la Cour de cassation constitue une parfaite répréhension du travail dissimulé par dissimulation d’activité. En l’espèce, après la liquidation de son commerce sous l’enseigne « le Faubourg de l’habitat », le gérant de la société Comores Construction, immatriculée aux Comores, propose à sa clientèle une offre commerciale en vue de la construction des maisons individuelles aux Comores. À l’issue de cette campagne promotionnelle, le gérant décroche de nombreux contrats en vue de la construction dans ce pays de maisons individuelles. Ces contrats, signés en France où demeurait sa clientèle, stipulaient que le financement de l’opération serait assuré, suivant une pratique locale s’apparentant à la tontine, au moyen du versement, par chaque souscripteur, d’un acompte puis de mensualités, l’ordre d’exécution des travaux devant être arrêté par décision du groupe ou par tirage au sort. Les échanges entre le gérant et la clientèle étant faits grâce à l’adresse du domicile du gérant à Marseille. Les souscripteurs n’étant pas satisfaits du service accompli par la société Comores Construction ont porté plainte contre le gérant de la société. Aux termes d’une information ouverte sur les faits, le gérant a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour travail dissimulé par dissimulation d’activité et abus de confiance. Il est condamné sous ces chefs d’accusation. Il interjette appel du jugement du tribunal correctionnel auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette dernière, par arrêt confirmatif, condamne le gérant à 1 an d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve et à 5 ans d’interdiction de gérer. Le gérant forme un pourvoi contre cet arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Pour lui, il n’existe pas de travail dissimulé car l’immatriculation aux Comores de la société Comores Construction le dispense de procéder en France à l’inscription au registre du commerce et des sociétés. Bien plus, en sa qualité de gérant, il œuvrait de manière temporaire pour le compte de sa société étrangère et n’avait guère l’intention de commettre le délit de travail dissimulé. Le pourvoi formé par ce gérant a été rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Une question se pose au vu de ce qui précède : l’absence de soumission à la législation française relative à l’immatriculation d’une société déjà immatriculée à l’étranger est-elle constitutive de travail dissimulé par dissimulation d’activité ? La chambre criminelle de la Cour de cassation répond sans ambages par l’affirmative et condamne le gérant de ladite société. Ainsi, l’absence d’inscription au registre du commerce et des sociétés constitue un délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité justifiant la culpabilité du gérant de la société (I). Cette culpabilité emporte une conséquence principale : la condamnation dudit gérant (II).
I – La culpabilité du gérant de société
2. Le travail dissimulé est d’actualité5. Malgré le renforcement6 des sanctions y relatives, nombreux sont les employeurs qui y recourent subtilement soit par le procédé de la dissimulation d’emploi salarié, soit par le procédé de la dissimulation d’activité. L’affaire rendue le 20 juin 2017 par la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle fort utilement que cette infraction de dissimulation d’activité mérite d’être sanctionnée. À la question de savoir si l’absence d’immatriculation d’une société déjà immatriculée à l’étranger, fût-ce par ignorance du gérant, constitue un délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité, les juges de la chambre criminelle ont répondu par l’affirmative. Très concrètement, en rejetant le pourvoi formé par le gérant de la société Comores Construction, la haute juridiction approuve l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui déclare « (…) M. X. coupable de travail dissimulé par dissimulation d’activité (…) ». La culpabilité de ce gérant est fondée sur plusieurs moyens de droit spécifiquement la violation des dispositions des articles L. 123-1, l, 3°, du Code de commerce et L. 8221-3 du Code du travail.
3. Il faut d’abord reconnaître que le droit pénal est régi par le principe de la légalité des délits et peines7. Aussi, la responsabilité pénale d’une personne physique ne peut être engagée qu’en cas de violation d’une infraction8. Cette violation suppose un élément matériel et un élément moral. Dans l’affaire rendue le 20 juin 2017 établissant la culpabilité de l’employeur, l’élément matériel du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité a été aisément mis en lumière. En effet, depuis avril et septembre 1999, les premiers contrats visant la construction des maisons individuelles ont été signés par les différentes parties. Bien plus, le versement des mensualités relatives à la construction des maisons était régulièrement assuré depuis les années 2000. Cet état de chose atteste l’existence et le fonctionnement de la société sur le territoire français au mépris de la législation en la matière9. L’élément matériel de l’infraction peut davantage être caractérisé par le fait que le gérant, de nationalité française, recevait à son domicile les courriers relatifs à son activité commerciale sans jamais détenir une comptabilité et sans déclarer à l’administration fiscale, encore moins aux organismes de sécurité sociale, son activité commerciale. Peut-on dire que le gérant est de bonne foi ? Avait-il l’intention de commettre l’infraction ? Dans son pourvoi, il relève clairement l’absence de son intention de commettre l’infraction. Cependant, « nul n’est censé ignorer la loi ». Peu importe que la société soit immatriculée à l’étranger, les juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation mettent en exergue l’idée suivant laquelle le gérant de la société Comores Construction ne saurait ignorer durant plusieurs années les différentes obligations légales mises à la charge de gérant de société sur le territoire français d’autant plus qu’il a dirigé une société ayant été liquidée. Autrement dit, en rejetant son pourvoi, la haute juridiction invoque implicitement l’élément moral de l’infraction10 afin de caractériser l’exécution du travail dissimulé voire son abus de confiance. L’argument de son absence d’intention de commettre le délit n’a pu prospérer puisqu’en sa qualité de commerçant, l’intéressé ne pouvait ignorer ses obligations en la matière. Force est de constater que la réunion de l’élément matériel et de l’élément moral atteste que l’absence d’immatriculation de sa société au registre du commerce et des sociétés, peu importe son immatriculation à l’étranger, est une dissimulation d’activité commerciale. Dès lors que la culpabilité du gérant a été établie, diverses conséquences s’en suivent, notamment sa condamnation.
II – La condamnation du gérant de société
4. En droit social français, l’immatriculation d’une société au registre du commerce et des sociétés est une obligation qui incombe à tout dirigeant social. Cette obligation est doublement règlementée. Elle est régie par les articles L. 8221-311 et suivants du Code de travail et par les article L. 123-1 du Code de commerce. Cette obligation « préalable » au fonctionnement de toute activité commerciale et même artisanale érige le procédé d’immatriculation des sociétés en France comme une arme majeure dans la lutte contre le travail clandestin12 ou en une clef de voûte de la lutte contre le travail illégal13. Ce postulat conduit à une interrogation : qu’adviendrait-il si un dirigeant de société procède à l’immatriculation de la société postérieurement à son fonctionnement ? Cette immatriculation postérieure à la mise en route de la société n’est pas illégale. Cependant, les actes passés par la société en formation seront repris une fois la société immatriculée14. Tel n’est pas le cas dans cette hypothèse. Ici, le gérant de Comores Construction a violé la loi15. Cette société n’a pas, au jour de la saisine des juridictions, été inscrite sur le registre du commerce et des sociétés en France. Par conséquent, il se rend coupable du délit de travail dissimulé, spécifiquement de travail dissimulé par dissimulation d’activité. Depuis les années 2000, années de signature de contrats de construction de maisons individuelles aux Comores, sa société n’a été déclarée ni aux organismes de sécurité sociale ni à l’administration fiscale. Cette société ne détient point de comptabilité régulière alors qu’elle recevait mensuellement des paiements des souscripteurs. Grâce à ces éléments, la Cour de cassation a sans ambiguïté qualifié l’acte de travail dissimulé par dissimulation d’activité commerciale et a justifié amplement la condamnation de son gérant. Que ce soit une dissimulation d’activité ou une dissimulation d’emploi salarié, l’infraction de travail dissimulé est sanctionnée par une peine privative de liberté et par une peine d’amende auxquelles il faut éventuellement adjoindre des sanctions administratives16. En l’espèce, le gérant a été condamné par la juridiction d’appel à 1 an d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve et à 5 ans d’interdiction de gérer. Décision approuvée par la haute juridiction.
5. Cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation apparaît important. En condamnant cet individu à diverses peines, l’arrêt du 20 juin 2017 constitue un signal supplémentaire adressé aux auteurs et complices de travail dissimulé dans son ensemble. Cet arrêt consolide aussi la répression du travail dissimulé comme d’autres arrêts précédemment rendus sur la question. On peut alors citer à titre illustratif l’arrêt du 21 novembre 2001 qui assimile au travail dissimulé la poursuite d’une activité par une personne après sa radiation de l’organisme de protection sociale17, l’arrêt du 16 avril 201318 qui considère comme travail dissimulé la mention par l’employeur sur le bulletin de paie d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli sauf si cette mention résulte d’un accord collectif. L’on soulignera enfin l’arrêt du 17 juin 201419 qui relève que dans le cadre d’une société créée de fait, constitue un travail dissimulé l’absence de déclaration préalable des salariés.
Notes de bas de pages
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1.
Le travail dissimulé est prévu par C. trav., art. L. 8221-1. Il peut s’agir d’une dissimulation totale ou partielle du travail. V. Duquesne F., « Recours à un contrat inapproprié et intention coupable de travail dissimulé », Dr. soc. 2009, p. 936.
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2.
Cass. crim., 21 nov. 2001, n° 01-83014 : Savatier J., « Travail dissimulé. Application à un voyant-guérisseur non déclaré à l’URSSAF », Dr. soc. 2002, p. 215.
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3.
Le travail dissimulé est une infraction relevant des règles de droit pénal du travail.
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4.
L. n° 2014-790, 10 juillet 2014, visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale : JORF, 11 juill. 2014, p. 11496.
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5.
Il fait l’objet d’articles dans la presse écrite et la presse audiovisuelle.
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6.
Le renforcement des sanctions relatives au travail dissimulé est un processus entamé par les pouvoirs publics depuis fort longtemps. V. à ce titre Damy G., « Le renforcement des sanctions du travail dissimulé », JCP E 2007, 1466.
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7.
Nullum crimen, nulla pœna sine lege.
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8.
Desportes F. et Le Gunehec F., Droit pénal général, 16e éd., 2009, Economica, Paris, n° 428.
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9.
D’après C. com., art. L. 123- I : « Il est tenu un registre du commerce et des sociétés auquel sont immatriculés, sur leur déclaration :
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10.
1° Les personnes physiques ayant la qualité de commerçant, même si elles sont tenues à immatriculation au répertoire des métiers ;
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11.
2° Les sociétés et groupements d’intérêt économique ayant leur siège dans un département français et jouissant de la personnalité morale conformément à l’article 1842 du Code civil ou à l’article L. 251-4 ;
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12.
3° Les sociétés commerciales dont le siège est situé hors d’un département français et qui ont un établissement dans l’un de ces départements ; ».
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13.
D’après Fardoux O. et Planque J.-C., Droit pénal du travail, 2e éd., 2013, Bréal, Paris, p. 236, la Cour de cassation déduit que la seule constatation du non-accomplissement de l’une des obligations mentionnées par le texte 121-3 du Code pénal suffit à établir l’élément intentionnel du délit.
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14.
D’après C. trav., art. L. 8221-3, « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations :
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15.
1° Soit n’a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers ou, dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, au registre des entreprises ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire, ou a poursuivi son activité après refus d’immatriculation, ou postérieurement à une radiation ;
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16.
2° Soit n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d’une partie de son chiffre d’affaires ou de ses revenus ou de la continuation d’activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l’article L. 133-6-7-1 du Code de la sécurité sociale ».
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17.
Salas F., « La déclaration préalable à l’embauche, arme majeure dans la lutte contre le travail clandestin », Dr. soc. 1996, p. 680.
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18.
Ravoux V. et Rebouillat Y., « La déclaration préalable à l’embauche. La simplicité d’une idée vieille de 30 ans, la jeunesse d’un vingtième anniversaire », Dr. soc. 2011, p. 1194.
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19.
D’après Cass. com., 11 juin 2013, n° 11-27356, les engagements souscrits antérieurement à l’immatriculation d’une société ne peuvent être repris par la société que s’ils ont été conclus pour le compte de la société en formation ou conclus par la société elle-même préalablement à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
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20.
C. trav., art. L. 8221-3-2.
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21.
Annulation des exonérations et réduction des cotisations sociales, refus des aides publiques, etc.
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22.
Cass. crim., 21 nov. 2001, n° 01-83014 : Dr. soc., n° 2, févr. 2002, p.215, note Savatier J.
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23.
Cass. crim., 16 avr. 2013, n° 12-81767, cité par Auzero G. et Dockès E., Droit du travail, 29e éd., 2014, Paris, Dalloz, n° 162.
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24.
Cass. crim., 17 juin 2014, n° 13-81116 : Rev. pénit. juill.-sept. 2014, n° 3, p. 709, chron. Chopin F.