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L’époux commun en biens, un danger pour la société

Publié le 06/01/2023
Divorce, pension alimentaire
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Par un arrêt rendu le 21 septembre 2022, la Cour de cassation affirme que la renonciation du conjoint non associé pouvait être tacite. Deux époux s’étaient mariés sans établir de contrat de mariage préalable à l’union. L’épouse est, pendant la vie conjugale, devenue associée d’une société de transports. Pendant la procédure de divorce, l’époux cherche à obtenir des parts sociales et, en vertu de l’article 1832-2 du Code civil, il notifie à la SARL son intention de devenir associé à hauteur de la moitié des parts sociales. Par cet article, il est possible pour l’époux non associé d’exprimer son intention d’être personnellement associé, disposition qui ne trouve cependant application que dans le cas des sociétés dont les parts sont négociables (SARL et société civiles), et c’est précisément le sens du dernier alinéa de l’article 1832-2 du Code civil.

Dans les sociétés par action, seule la finance est commune, mais le titre reste propre ; c’est là toute la différence entre le titre et la finance. Dans une société par action, il n’y a donc aucune possibilité de revendication du conjoint de la qualité d’associé.

Confronté au refus de son épouse et de la société de lui reconnaître la qualité d’associé et, par voie de conséquence, de lui transmettre les documents sociaux réclamés, l’époux introduit une action à leur encontre.

Cass. 1re civ., 21 sept. 2022, no 19-26203

Ayant à statuer sur le problème de revendication de la qualité d’associé par un époux1, la présente décision, après avoir précisé que l’affectio societatis2 – point que nous n’évoquerons pas car tout a été dit – n’est pas une condition requise pour la revendication par un époux de la qualité d’associé3, a admis que sa renonciation à revendiquer cette qualité peut être tacite.

Cette décision permet de faire le point sur les conditions de la revendication de la qualité d’associé par un époux commun en biens (I). Dans le cadre d’un régime matrimonial de droit commun, la renonciation à la qualité d’associé peut être tacite (II).

I – La qualité d’associé dans le régime de la communauté

Dans le cadre d’un régime matrimonial de droit commun, chacun des époux a le pouvoir de disposer seul des biens communs et peut réaliser un apport de biens communs à une société4. Il est toutefois tenu d’en informer son conjoint et doit justifier de cet avertissement dans l’acte5. En pratique, le plus souvent, cette opération se concrétise dans les statuts de la société ou dans un acte à part annexé aux statuts. Ainsi, la qualité d’associé est reconnue à celui des époux qui réalise l’apport6.

Elle est également reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d’être personnellement associé7.

Il est très important de veiller à faire renoncer le conjoint, dans les statuts, à la revendication de la qualité d’associé et à éviter les dangers de certains régimes matrimoniaux.

Mais, pour la Cour de cassation, la renonciation d’un époux à revendiquer la qualité d’associé peut être tacite et faire obstacle à une revendication ultérieure.

A – La qualité d’associé : principe et conséquences

En l’espèce, le couple contracta mariage le 17 juillet 1970, sans contrat de mariage préalable. Monsieur déposa une requête en divorce le 27 décembre 2006. Par jugement du 7 avril 2009, le tribunal de grande instance prononça le divorce des époux. Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 13 juin 2007, antérieure au prononcé du divorce, Monsieur fit connaître à la SARL de transports, créée le 1er janvier 1990 et dont son épouse était gérante, qu’il désirait être personnellement associé à hauteur de la moitié des parts sociales, correspondant à l’apport en numéraire effectué par son épouse. Il estimait avoir, depuis cette date, la qualité d’associé.

Par acte du 6 septembre 2018, il fit assigner la société et son ex-épouse pour voir constater qu’il avait la qualité d’associé depuis juin 2007. Ses demandes furent accueillies par le jugement rendu, en première instance, qui estimait que l’époux avait la qualité d’associé depuis le 13 juin 2007, et ce à hauteur de 125 parts sociales. Pour s’opposer à la qualité d’associé de Monsieur, Madame interjeta appel de la décision, faisant valoir que la revendication de la qualité d’associé se heurtait tout d’abord à l’historique des relations entre les époux, qui démontrait que ceux-ci avaient, à l’origine, renoncé à toute association dans les sociétés qu’ils avaient respectivement constituées. En effet, à la lecture de l’arrêt, on comprend que les époux, initialement, exploitaient en commun un garage, entreprise individuelle immatriculée au nom de Monsieur.

Puis, au début de l’année 1990, ils décidèrent de scinder en deux leur activité par la création de deux SARL, l’une ayant pour objet d’exploiter le garage, l’autre exerçant une activité de transport routier. Il fut convenu que Monsieur serait gérant de la SARL exploitant le garage, tandis que Madame serait gérante de la SARL exploitant l’entreprise de transport routier. Dès lors, on pouvait se demander si, au regard de leur régime matrimonial, il n’y avait pas là une volonté de « séparer les patrimoines » et d’éviter les dangers dudit régime.

La création des deux sociétés était intervenue, pour la société de transport routier, entre Madame et son fils et, pour la société exploitant le garage, entre Monsieur, son fils et un tiers. Chacun des époux était associé à 50 % de sa propre société sans être associé de l’autre et sans jamais rien revendiquer de l’autre société.

Les époux avaient, en conséquence, renoncé de facto à revendiquer respectivement la qualité d’associé de la société créée par leur conjoint et, en l’état de la jurisprudence, ils ne pouvaient plus revenir sur cette décision8. C’est ce que la Cour de cassation semble considérer comme établissant la renonciation – tacite – à se prévaloir de la possibilité de réclamer la qualité d’associé.

Il été soutenu par Madame que la revendication de la qualité d’associé était contraire aux règles applicables aux époux communs en biens lorsque l’un d’eux est associé d’une société. Il est admis qu’il est reconnu à chacun des époux le droit d’exercer seul une profession et d’accomplir seul les actes de disposition nécessaires à celle-ci9. La société a cherché à faire valoir que la reconnaissance de la qualité d’associé au profit de Monsieur serait contraire à l’intérêt social de la SARL et à sa pérennité, car il n’y aurait pas d’affectio societatis, et qu’il existerait, en raison du divorce conflictuel des ex-époux, un risque de paralyser le fonctionnement de la société. Néanmoins, la cour d’appel reconnut à Monsieur la qualité d’associé jugeant que, si l’époux peut renoncer, lors de l’apport ou de l’acquisition des parts par son conjoint, il peut ultérieurement exercer la faculté de demander à être associé10, et ce à la condition que cette renonciation soit expresse et non équivoque. La renonciation tacite dont se prévalaient Madame et la SARL ne suffisait pas à faire obstacle au droit de Monsieur d’exercer cette revendication. Le jugement était en conséquence confirmé, ce qui entraîna un pourvoi en cassation qui a décidé que les conventions « légalement formé[e]s tiennent lieu de loi à ceux qui les ont fait[e]s »11. La renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer.

On notera qu’en pratique les associés peuvent prévoir, lors de la rédaction des statuts, que la renonciation de l’époux de l’associé apporteur devra être écrite et sera définitive12.

Les statuts peuvent également contenir une clause d’agrément du conjoint qui revendique la qualité d’associé, laquelle lui sera opposable, même après le décès de l’époux associé. La revendication n’étant pas une cession, cette clause doit faire l’objet d’une disposition spéciale13.

Enfin, il est toujours possible, au cours de la vie sociale, de prévoir l’insertion d’une telle clause, si celle-ci n’a pas été prévue, pour anticiper notamment l’éventualité du divorce d’un associé14. On notera aussi – c’est ce que semble dire l’arrêt – qu’une renonciation à revendiquer la qualité d’associé peut être tacite.

Ainsi, l’époux non associé peut demander à le devenir pour la moitié des parts jusqu’à la date de dissolution de la communauté. En cas de divorce, la revendication est possible aussi longtemps qu’un jugement de divorce passé en force de chose jugée n’est pas intervenu15.

Le rôle de conseil et d’avertissement de la part de professionnels compétents est essentiel pour l’information préalable du conjoint de l’associé sur la portée de sa décision16.

Le conjoint de l’associé doit être informé des positions qu’il peut prendre17, mais il est aussi très important d’avertir l’associé lui-même.

Le thème du couple et de la qualité d’associé au sein de sociétés dont les parts sociales sont non négociables n’est pas une question nouvelle, mais il est toujours d’actualité.

C’est parfois à l’occasion d’un divorce ou d’un décès, voire « d’une faillite » d’un époux commun en biens, associé d’une société de personnes dominée par l’intuitu personae, que se posent les questions du respect des dispositions relatives à cette question18 et des incidences patrimoniales de la prise – ou non – de la qualité d’associé par le conjoint non apporteur ou non cessionnaire19. Ce point nous amène à faire un état des lieux du droit positif20.

Un époux ne peut, sous la sanction d’une demande en annulation de l’acte par l’autre époux (sauf ratification de sa part21), employer des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son conjoint en ait été averti, et sans qu’il en soit justifié dans l’acte22.

Ces dispositions ne sont applicables que dans les sociétés dont les parts ne sont pas négociables, et seulement jusqu’à la dissolution de la communauté. Cette situation suscite un certain contentieux, notamment à l’occasion d’un divorce de personnes mariées sous un régime communautaire.

L’harmonisation entre le droit des sociétés et le droit matrimonial n’est pas toujours au rendez-vous. Cependant la recherche d’un équilibre entre les deux est nécessaire23.

Il est donc utile de dresser un état des lieux relatif à la situation des époux communs en biens associé(s) ou cessionnaire(s) de droits sociaux non négociables et aux conditions d’application du texte correspondant24.

Il faut, en premier lieu, se poser la question lors de la rédaction de statuts d’une société de personnes dont les parts sont non négociables. Il faut déterminer le domaine d’application du texte25 qui ne concerne que les sociétés dont les parts sociales sont non négociables. Il faut également savoir si le ou les biens apportés à la société sont propres, sous réserve de la preuve du caractère propre des biens en question. Ne sont concernées que les sociétés dont les parts sociales sont non négociables.

Quand l’apport à une société est effectué à l’aide de biens communs, en nature ou en numéraire, l’autorisation du conjoint non apporteur sera nécessaire, règle que l’on comprend aisément dans la mesure où ces biens sont communs aux deux époux.

Toutefois, l’article 1832-2 du Code civil est inapplicable en cas d’acquisition de parts sociales non négociables26, mais la présomption de communauté peut être utilement invoquée à l’effet d’établir le caractère commun des fonds utilisés pour réaliser l’opération27. Cela s’applique seulement jusqu’à la dissolution de la communauté28.

Le conjoint non associé peut revendiquer la qualité d’associé s’il n’a pas, antérieurement, refusé de manière définitive – c’est-à-dire jusqu’au prononcé du divorce définitif29 – purgé toutes les voies de recours30.

Si les conditions d’application sont remplies31, il y a lieu d’indiquer à l’époux, apporteur ou cessionnaire, l’obligation qui lui est faite d’informer son conjoint et de prouver que cette information a été donnée, sous peine de la sanction de nullité32.

S’il refuse de manière définitive, il devra conserver la preuve que son conjoint a renoncé à revendiquer la qualité d’associé, et ce de manière expresse et en pleine connaissance de cause des conséquences.

S’il refuse de manière provisoire, ou encore s’il n’a pas pris parti, il pourra revendiquer cette qualité jusqu’au prononcé du divorce définitif. Il devra alors être informé des conséquences patrimoniales qui y sont attachées, d’une part, et des clauses statutaires instituant un éventuel agrément pour être associé, d’autre part, et enfin des incidences patrimoniales découlant de son refus temporaire ou de son silence.

Le conjoint souscripteur ou acquéreur doit informer l’autre époux33 :

  • qu’il utilise des biens communs pour réaliser un apport à une société dont les titres sont non négociables ou pour acquérir des parts sociales non négociables ; mais cette obligation n’a de sens qu’en cas de gestion concurrente34 et non en cas de cogestion35, car cette dernière implique l’intervention du conjoint et, par suite, son information ;

  • que, par suite, le conjoint non souscripteur ou non acquéreur peut revendiquer la qualité d’associé à concurrence de la moitié des parts sociales souscrites ou acquises.

Il est important que le conjoint soit informé d’une telle opération patrimoniale car, si la gestion concurrente permet à un époux d’employer – en principe –, des biens communs pour la réalisation d’une telle opération36, c’est sous réserve de toute fraude37 aux droits du conjoint ou au droit des régimes matrimoniaux38, et c’est sous réserve également de la non-application de la cogestion – eu égard à la nature de l’apport39.

Les parts sociales ainsi reçues en contrepartie de l’apport ou du paiement du prix d’acquisition sont communes en valeur, mais avec une incidence au regard du passif puisque la communauté sera tenue des dettes de la société. En effet, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu (pour quelque cause que ce soit) pendant la communauté peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier. En revanche, le conjoint qui n’est pas associé, pour avoir refusé de prendre cette qualité, n’est pas tenu à titre personnel des dettes sociales40. La preuve ou la justification de l’information41 résultera :

  • soit de l’intervention de l’époux non apporteur ou non cessionnaire à l’acte en question ;

  • soit de la notification qui lui a été faite, avant l’apport ou l’acquisition, par lettre recommandée ou par exploit d’huissier, du projet de constitution d’une société par intérêt ou de l’acquisition de droits sociaux non négociables, à l’aide de fonds communs.

Le défaut d’information du conjoint42 est sanctionné par la nullité43, sanction lourde ouverte au conjoint pendant deux années à compter du jour où il en a eu connaissance – sans qu’elle puisse être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté – et exclusive de toute autre44.

Le refus de la prise de qualité d’associé par le conjoint non apporteur ou non cessionnaire est définitif et de ce fait doit être non équivoque, exprès et s’exprimer au moment où ses droits sont acquis45. La règle46 est d’ordre public47 et, une fois cette renonciation notifiée à la société, l’époux non associé ne peut plus revendiquer cette qualité postérieurement48.

En cas de refus de la qualité d’associé, c’est le conjoint souscripteur ou acquéreur qui est seul associé.

Le principe est la répartition égalitaire des droits sociaux au sein du couple. Lorsque le conjoint notifie son intention lors de l’apport ou de l’acquisition, l’acceptation ou l’agrément des associés vaut pour les deux époux49.

La clause d’agrément éventuellement insérée aux termes des statuts s’appliquera en cas de notification postérieure par le conjoint non souscripteur ou non acquéreur qui aura refusé provisoirement ou qui sera resté taisant. Dans la présente espèce, le silence du conjoint semble avoir été interprété comme une renonciation tacite à la possibilité de renonciation à demander la qualité d’associé.

L’intérêt pour le conjoint le moins « intéressé aux affaires sociales » est de pouvoir acquérir la qualité d’associé et ainsi exercer les prérogatives qui y sont attachées, telles que le droit de participer aux assemblées générales, le droit de vote, le droit de regard sur les affaires sociales, etc.

Le professionnel qui conseille les époux devra leur rappeler les dispositions applicables50, qui supposent que les associés-fondateurs aient une réelle volonté de s’associer et surtout soient tous animés d’un affectio societatis, différent de l’affectio conjugalis pouvant exister au sein du couple. Ces deux aspects sont particulièrement difficiles à vérifier pour un tiers, même professionnel du droit. Le rédacteur traduira, dans les statuts, la prise de position du conjoint non apporteur ou non cessionnaire. À défaut, on peut se voir prononcer la nullité d’une cession de parts sociales pour avoir omis de rappeler les dispositions légales51.

Le Code civil52 a eu le mérite de tenter de réaliser une conciliation satisfaisante entre le droit des sociétés et celui des régimes matrimoniaux communautaires53. La qualité d’associé est attribuée à celui qui fait l’apport ou qui acquiert les parts sociales : prééminence au libre choix du coassocié. Le conjoint bénéficie d’un droit de revendication de cette qualité pour la moitié des parts obtenues ou acquises. Les statuts peuvent subordonner cette revendication à un agrément du conjoint par les autres associés ayant pour but la sauvegarde de l’intuitu personae qui caractérise la société.

Lorsque la notification de la revendication est postérieure à l’apport ou à l’acquisition, les seules clauses d’agrément à prendre en considération sont celles prévues à cet effet.

Une clause d’agrément visant spécialement la revendication de la qualité d’associé par le conjoint, en vertu des règles applicables au cas du régime matrimonial de communauté54, est nécessaire. À défaut, la revendication produira automatiquement ses effets. Une modification des statuts est donc indispensable pour préserver complètement le contrôle des associés sur la transmission de la qualité d’associé entre époux. Une présomption de communauté existe55. La preuve contraire à la présomption de communauté incombe à celui qui conteste le caractère commun du bien en cause56, ce qui est une intéressante et parfaite application de la présomption d’acquêts.

La possibilité pour le conjoint de revendiquer la qualité d’associé57 est tributaire des délais impartis58.

Il est permis au conjoint de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises par son époux avec des biens communs59. Ce droit de revendication lui est accordé jusqu’à la dissolution de la communauté60. Des dates différentes sont à prendre en compte pour la dissolution de la communauté en cas de divorce :

  • le jugement de divorce n’est opposable aux tiers qu’après sa publicité à l’état civil61 ;

  • le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre époux, en ce qui concerne les biens, à la date de l’assignation62.

Cette rétroactivité de la dissolution dans les rapports entre époux s’inscrit dans le cadre de leurs rapports patrimoniaux. Elle a pour but de cristalliser la composition des masses patrimoniales, notamment de la communauté, au jour de l’assignation63.

Les biens sont communs avant la revendication et restent communs après cette revendication. Le seul élément en cause est la qualité d’associé et son attribution à l’un ou à l’autre époux. La revendication par le conjoint de la qualité d’associé ne modifie pas la qualification patrimoniale des droits sociaux, ils étaient des biens communs, ils restent des biens communs. La revendication de la qualité d’associé pendant l’instance en divorce est possible64 ; l’ex-époux d’un associé peut alors notifier à la société son intention d’être personnellement associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises par son conjoint65. La difficulté vient du fait que, en cas de divorce, il existe plusieurs dates de dissolution, selon qu’il s’agit des rapports entre époux (en distinguant entre les questions personnelles et celles relatives aux biens) ou des effets du divorce à l’égard des tiers66.

Certains auteurs avaient regretté que, s’agissant de rapports patrimoniaux entre époux, la date d’assignation n’ait pas été retenue67. Le droit de demander à être associé n’est pas lié à la qualité d’époux mais bien plutôt à celle d’époux commun en biens. En conséquence, dès lors que cesse la communauté, cesse le droit de revendiquer la qualité d’associé.

La date de la dissolution remonte au jour de l’assignation, mais pas avant que le divorce ne soit prononcé ; jusque-là, la communauté demeure.

B – La revendication par l’époux de la qualité d’associé

La revendication de la qualité d’associé par le conjoint d’un associé est possible mais cela dépend de la forme de société envisagée et, dans certains cas, les autres associés peuvent s’y opposer. Ainsi, même en l’absence de clause d’agrément statutaire, les associés d’un époux commun en biens peuvent s’opposer à la revendication de la qualité d’associé sur la moitié des parts sociales d’une société en nom collectif (SNC) formulée plusieurs années après l’apport par son conjoint68.

Ainsi, dans une affaire, les époux étaient mariés sous le régime communautaire depuis plusieurs années ; l’époux était associé d’une SNC, et l’épouse avait notifié dans les formes requises sa volonté de devenir associée pour la moitié des parts présentes en valeur dans la masse commune. Après un délai de neuf années, un courrier officiel du conseil de l’unique associé de son époux avait indiqué ne pas s’y opposer. Toutefois, aucune délibération sociale n’avait suivi. Pour les juges, la revendication de la qualité d’associé par le conjoint d’un associé en nom, bien que ne constituant pas une cession, est subordonnée au consentement unanime des autres associés, qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales69. Lorsque le consentement d’un seul associé est requis, ce consentement est, à défaut de délibération, adressé à la société et annexé au procès-verbal prévu70 ; le consentement satisfaisant aux exigences légales71 faisant défaut, en l’absence de toute clause d’agrément, la volonté de l’épouse de devenir associée est par conséquent tenue en échec.

II – La renonciation tacite à la qualité d’associé de l’époux commun en biens

Le conjoint commun en biens de l’associé doit, en principe, pouvoir revendiquer la qualité d’associé jusqu’à la dissolution de la communauté72. Faute de stipulation statutaire, la lettre du code73 laisse à penser qu’aucun obstacle ne devrait se dresser contre l’expression a posteriori de cette volonté74. Pourtant, la jurisprudence subordonne la revendication ultérieure de la qualité d’associé à une condition supplémentaire et inédite75 : que la cession des parts de la SNC suppose l’accord unanime des associés du cédant, en raison de la nature non librement négociable des parts sociales. Mais cela ne soumet à l’exigence d’agrément que les cessions de titres. Quant à la forme sociale qui implique un intuitu personae fort entre associés, il est naturel que l’acte (l’accès de la société à un nouvel associé) suppose l’accord de tous les associés. Or il est offert au conjoint de l’associé la faculté d’intégrer, en qualité d’associé, une société dont, jusque-là, il n’était pas membre76.

Ajouter une condition à la réalisation du souhait de devenir associé exprimé par le conjoint, en la subordonnant au consentement unanime des associés, même en l’absence de clause d’agrément, paraît être dicté par l’intérêt de la société et des associés, qui répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales.

Réduite aux acquêts, la communauté absorbe l’ensemble des revenus de l’un et de l’autre des époux et répond de l’ensemble de leurs dettes respectives nées au temps du mariage77. Certes, la solvabilité respective de chacun des associés peut être décisive pour ceux qui répondent solidairement et indéfiniment des dettes sociales. Cependant, lorsque la communauté sert respectivement à l’identique le crédit de l’un ou l’autre des époux communs en biens, à l’heure de décider d’ouvrir ou non l’accès de la société au conjoint d’un associé, l’économie du régime matrimonial des époux suffit à en gommer l’enjeu.

L’opposabilité des clauses statutaires d’agrément au conjoint veut préserver l’entente entre des associés qui doivent s’être acceptés pour poursuivre ensemble l’intérêt de la société.

Lors de l’apport ou de l’acquisition des parts par son conjoint (ou ultérieurement), l’époux peut renoncer à exercer la faculté de demander à être associé78. La renonciation à ce droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer79.

Certes, la renonciation à un droit ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer80, mais cela n’empêche pas la jurisprudence d’admettre que la renonciation puisse être tacite.

Conclusion

L’arrêt pousse aussi à réfléchir à la question suivante : lorsque l’on se lance dans les affaires, n’est-il pas opportun d’opter pour un régime de séparation de biens ou, même, de rester célibataire ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Conditions de la revendication de la qualité d’associé par un époux » obs. ss Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26203, FS-B : DEF 6 oct. 2022, n° DEF210i0.
  • 2.
    I. Tchoutourian Vers une définition de l’affectio societatis lors de la constitution d’une société, 2011, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, préf. Y. Dereu, EAN : 9782275036090.
  • 3.
    C. civ., art 1832-2.
  • 4.
    C. civ., art. 1421.
  • 5.
    C. civ., art. 1832-2, al. 1er.
  • 6.
    C. civ., art. 1832-2, al. 2.
  • 7.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 8.
    Cass. com., 12 janv. 1993, n° 90-21126, PB.
  • 9.
    C. civ., art. 223 et C. civ., art. 1421, al. 2.
  • 10.
    C. civ., art. 1832-2, al. 3.
  • 11.
    C. civ., art. 1103.
  • 12.
    J.-P. Richaud, « Le notaire, le conjoint associé et l’article 1832-2 du Code civil », DEF 1er juin 2014, n° DEF116h5.
  • 13.
    M. Storck, S. Fagot et T. de Ravel d’Esclapon., Les sociétés civiles immobilières, 2e éd., 2019, LGDJ, Les intégrales, EAN : 9782275063751.
  • 14.
    Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18103 : DEF flash 10 juin 2013, n° DFF118p4 – Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n° 94-17771 : Defrénois 15 déc. 1996, n° 36448-166, p. 1440, obs. G. Champenois – Cass. 1re civ., 17 janv. 1995, n° 93-10462 : Defrénois 15 déc. 1995, n° 36214-169, p. 1480, obs. G. Champenois.
  • 15.
    Cass. com., 18 nov. 1997, n° 95-16371, PB – Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18103, D.
  • 16.
    C. civ., art. 1832-2 ; J.-P. Richaud, « Le notaire, le conjoint associé et l’article 1832-2 du Code civil », DEF 1er juin 2014, n° DEF116h5, spéc. p. 48.
  • 17.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 18.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 19.
    J. Derruppé., « La nécessaire distinction de la qualité d’associé et des droits sociaux (À propos des droits sociaux acquis avec des biens communs) », JCP G 1984, I 251.
  • 20.
    S. Schiller., « Le couple et la qualité d’associé », Actes prat. strat. patrimoniale 2012, dossier « Couples et société », étude n° 2, nos 17 à 28.
  • 21.
    C. civ., art. 1427.
  • 22.
    C. civ., art. 1832-2, issu de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982.
  • 23.
    F. Vialla, « Autonomie professionnelle en régime communautaire et droit des sociétés : des conflits d’intérêts ? », RTD civ. 1996, p. 841 et s.
  • 24.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 25.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 17 janv. 1995, n° 93-10462 : Bull. civ. I, n° 33.
  • 27.
    Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n° 94-17771 : Bull. civ. I, n° 251.
  • 28.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 29.
    Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18103, PB – Cass. com., 18 nov. 1997, n° 12-18103 : Bull. civ. IV, n° 298 ; JCP G 1998, I 135, n° 10, obs. P. Simler.
  • 30.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 31.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 32.
    C. civ., art. 1427.
  • 33.
    D. Randoux, « Commentaires de la loi du 10 juillet 1982 », JCP G 1983, I 3103, nos 42 et 43.
  • 34.
    C. civ., art. 1421.
  • 35.
    C. civ., art. 1424.
  • 36.
    C. civ., art. 1421, al. 1er.
  • 37.
    CA Grenoble, 26 mars 2012, n° 11/02714.
  • 38.
    Cass. com., 28 janv. 1992, n° 90-17389 : Bull. civ. IV, n° 36.
  • 39.
    C. civ., art. 1424.
  • 40.
    Cass. 3e civ., 20 févr. 2002, n° 99-15474 : Bull. civ. III, n° 42.
  • 41.
    J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 1995, Armand Colin, n° 372.
  • 42.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 43.
    C. civ., art. 1427.
  • 44.
    Cass. 1re civ., 23 mars 2011, n° 09-66512 : Bull. civ. I, n° 61.
  • 45.
    Cass. com., 12 janv. 1993, n° 90-21126 : Bull. civ. IV, n° 9.
  • 46.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 47.
    Cass. com., 12 janv. 1993, n° 90-21126 : BJS mars 1993, n° 99, p. 364, note J. Derruppé.
  • 48.
    Cass. com., 12 janv. 1993, n° 90-21126 : BJS mars 1993, n° 99, p. 364, note J. Derruppé.
  • 49.
    C. civ., art. 1832-2, al. 3.
  • 50.
    C. civ., art. 1832.
  • 51.
    C. civ., art. 1832 ; Cass. 1re civ., 20 oct. 2011, n° 10-19818, D.
  • 52.
    C. civ., art. 1832-2, al. 3, loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, relative aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale.
  • 53.
    J. Derruppé., « Les droits sociaux acquis avec des biens communs selon la loi du 10 juillet 1982 », Defrénois, 1983, art. 33053.
  • 54.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 55.
    C. civ., art. 1402.
  • 56.
    R. Cabrillac, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 1996, Montchrestien, n° 136 ; A. Colomer, Régimes matrimoniaux, 7e éd., 1995, Litec, nos 405 et s. ; G. Cornu, Les régimes matrimoniaux, 7e éd., 1995, PUF, Thémis, p. 346 et s. ; J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 1995, Armand Colin, nos 328 et s. ; P. Malaurie et L. Aynès, Les régimes matrimoniaux, 3e éd., 1994, Cujas, nos 378 et s. ; F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 1994, Dalloz, nos 302 et s.
  • 57.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 58.
    J. Derruppé, « Délai imparti au conjoint pour revendiquer la qualité d’associé en vertu de l’article 1832-2 du Code civil », BJS mars 1998, n° 85, p. 221.
  • 59.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 60.
    C. civ., art. 1832-2, al. 4.
  • 61.
    C. civ., art. 262.
  • 62.
    C. civ., art. 262-1.
  • 63.
    J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., 1995, Armand Colin, n° 490.
  • 64.
    G. Champenois, « Revendication de la qualité d’associé pendant l’instance en divorce » obs. ss Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18103, PB (rejet) Defrénois 30 nov. 2013, n° DEF114G2, spéc. p. 1148.
  • 65.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 66.
    C. civ., art. 260, C. civ., art. 262 et C. civ., art. 262-1.
  • 67.
    C. civ., art. 260.
  • 68.
    C. com., art. L. 221-13 ; Cass. com., 18 nov. 2020, n° 18-21797, FS-PBR : Defrénois flash 9 déc. 2020, n° DFF159a3 ; I. Dauriac, « Revendication de la qualité d’associé par le conjoint d’un associé en nom collectif », Defrénois 3 juin 2021, n° DEF201d6.
  • 69.
    C. civ., art. 1832-2, al. 3, et C. com., art. L. 221-13 combinés.
  • 70.
    C. com., art. R. 221-2.
  • 71.
    C. com., art. L. 221-13.
  • 72.
    Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-18103 : Bull. civ. IV, n° 81.
  • 73.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 74.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 75.
    C. com., art. L. 221-13.
  • 76.
    C. civ., art. 1832-2.
  • 77.
    C. civ., art. 1413.
  • 78.
    C. civ., art. 1832-2, al. 3.
  • 79.
    C. Berlaud, « Qualité d’associé de l’époux commun en biens : renonciation tacite », obs. ss Cass. com., 21 sept. 2022, n° 19-26203, FS-B : GPL 4 oct. 2022, n° GPL440r5.
  • 80.
    É. Mulon, « Qui ne dit mot ne consent pas », obs. ss Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-17952, D : Gaz. Pal. 24 août 2013, n° GPL143s8.
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