« Nous voulons favoriser le développement des SPE »

Publié le 08/10/2020

Comment, en pratique, créer une société pluriprofessionnelle d’exercice (SPE) ? Quels obstacles faut-il surmonter ? Comment faire concorder les règles et déontologies de plusieurs professions encadrées ? Pour répondre à ces questions et favoriser la mise en place de SPE, six professions règlementées ont signé, le 8 juillet dernier, un guide de création des sociétés pluriprofessionnelles d’exercice. Rémi Seguin, vice-président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, l’a présenté dans les grandes lignes aux Petites Affiches.

Les Petites Affiches : À quand remonte le projet de société pluriprofessionnelle d’exercice ?

R.S. : C’est un projet très ancien. Des textes sur le sujet existent depuis les années quatre-vingt-dix. Ils étaient très imprécis concernant la déontologie et les règles de chacune des professions, ce qui rendait les SPE difficiles à mettre en place. En 2015, une loi a repris ces textes antérieurs. Il a néanmoins fallu attendre l’ordonnance de 2016 pour affirmer clairement que certaines professions peuvent réaliser un exercice professionnel en commun. Entre 2016 et 2020, un certain nombre de professions concernées avaient attaqué cette ordonnance. Il a donc encore fallu attendre la position du Conseil d’État… Pendant ces années de latence, chacun des ordres mettait en place des dispositifs. Chaque professionnel qui voulait exercer en interprofessionnel se rapprochait de son ordre mais ces professionnels n’étaient pas très éclairés, il fallait créer des modèles juridiques. On n’avait pas essayé de résoudre ensemble les obstacles.

LPA : Comment est née l’idée de ce guide ?

R.S. : Les professionnels ont commencé à se parler régulièrement à partir de 2018, par le biais de dîners ou de réunions informelles, et par le truchement d’associations de professions libérales. L’idée a germé ainsi. Les leaders initiaux étaient les avocats, les experts-comptables et les notaires. Ils ont décidé d’écrire quelque chose qui permettrait enfin le déploiement de ce dispositif. Ont participé à la rédaction de ce guide : le Conseil national des barreaux, la Chambre nationale des commissaires de justice – qui regroupe des commissaires-priseurs et les huissiers de justice –, la Compagnie nationale des conseils en propriété intellectuelle, le Conseil supérieur du notariat, le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Ces derniers, même s’ils représentent une petite population, ont été très actifs pour participer à la réalisation de ce guide alors que leurs règles d’exercice sont très strictes. Globalement, la motivation de ces six professions a été diverse. Il faut dire que certaines professions sont plus réglementées que d’autres, ce qui complique les démarches.

LPA : Comment avez-vous travaillé ?

R.S. : J’ai participé à ces discussions en tant que président du secteur régalien de l’ordre des experts-comptables, et vice-président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables. J’étais assisté de la directrice juridique du Conseil supérieur des experts-comptables. Nous avions des réunions mensuelles. Nous avons identifié les grands pans de notre activité et de l’organisation d’une société qu’il fallait étudier. Chacune des professions est repartie avec un sujet à traiter. Nous, experts-comptables, avons traité de la partie comptabilité et avons également participé à la partie communication car notre ordre était plutôt en avance sur les règles de la communication.

Chaque institution rendait compte de ses travaux en assemblée plénière, avant rédaction des différentes parties. Cela a pris du temps et a fait émerger autre chose.

LPA : C’est un guide pratique, dites-vous.

R.S. : Nous avons sectorisé la réflexion pour voir ce que nos règles nous autorisent à faire. Il est structuré en différentes parties portant sur : le secret professionnel, le conflit d’intérêts, l’activité commerciale, la communication, les ressources humaines, l’assurance et le maniement de frais, et enfin sur la comptabilité. Il y a des sujets très sensibles. Pour la comptabilité par exemple, certaines professions nécessitent d’avoir des comptabilités identifiées et individualisées. Le secret professionnel est un point majeur : il est différent pour chaque profession, peut être absolu ou non selon les institutions. Le guide, pour chaque problématique, rappelle les textes applicables à chacune des professions. Il les décontextualise en fonction des textes de la SPE. Ensuite, nous faisons une préconisation claire et explicite.

LPA : Vous souhaitiez largement communiquer sur ce guide…

R.S. : Nous avions l’ambition de vulgariser la SPE à l’attention de nos pairs mais aussi du grand public. Nous avions envisagé une manifestation importante pour la sortie du guide, et avons dû nous rabattre, en raison de la Covid-19, sur une simple séance de signature avec les différents présidents d’institutions. Nous essaierons d’organiser plus tard des états généraux de la SPE pour faire connaître le dispositif. Cela donnera aussi du rayonnement à nos institutions.

LPA : Comment ces professionnels travaillent-ils ensemble, hors SPE ?

R.S. : L’interprofessionnalité a toujours existé, de manière informelle. Les professionnels sont dans des réseaux, se renvoient des affaires. Ce ne sont pas des petits arrangements entre amis, mais des collaborations entre professionnels différents mais complémentaires. Il existe d’ailleurs des professionnels différents qui font le choix de s’installer dans le même immeuble, dans des structures indépendantes. Cela donne du confort à leurs clients. La SPE permet de pousser cette dynamique plus loin.

LPA : Des SPE existent-elles déjà ?

R.S. : On en trouve quelques-unes, le plus souvent entre avocats et experts-comptables. On en dénombrait moins d’une centaine en 2019, mais cela se développe beaucoup. Tout cela prend vie. On espère que notre guide sera un levier significatif afin d’aider au déploiement de ces sociétés pluriprofessionnelles. Il est publié depuis le 8 juillet dernier et en interne, on voit que cela marche. Il est très pratique et très bien accueilli. Des SPE avec l’ensemble des professions n’existent pas encore. Nous souhaiterions voir émerger des SPE avec davantage de professions représentées. On peut imaginer que l’ensemble des corps de métiers soient représentés dans une SPE ! L’intérêt du guide est d’aller au fond de nos particularités professionnelles pour voir ce qu’il serait possible de montrer et ce qu’il est possible de faire si toutes les professions sont représentées.

LPA : Quels sont les freins à leur développement ?

R.S. : Quand on n’a pas les mêmes règles, c’est toujours la règle la plus stricte qui s’applique. Pour la profession la plus ouverte, cela peut représenter une contrainte. On peut cependant lever certaines barrières avec l’accord du client. Il peut par exemple délier son conseil du secret professionnel s’il en fait la demande écrite. Il faut avoir une connaissance des règles spécifiques qui sont clairement expliquées dans le guide pour pouvoir le pratiquer. Par ailleurs, les textes qui encadrent une profession peuvent être considérés comme trop rigides pour permettre à la profession de se moderniser. Toutes les institutions n’ont pas la même sensibilité sur ce point, certaines sont très attachées à leurs particularités. Les experts-comptables sont prêts à aller à la discussion auprès de l’autorité de tutelle pour pouvoir mieux exercer dans le cadre de la SPE. Nous, experts-comptables, avons une relation de services très ouverte avec le client. Nous sommes prêts à bouleverser le cadre, quand d’autres professions attendent que la SPE respecte absolument leurs règles.

LPA : Quel est l’intérêt de la SPE ?

R.S. : Le client va trouver de multiples services à l’intérieur du même cabinet. Je prends l’exemple de quelqu’un qui veut constituer une société. Au cabinet, il va rencontrer un expert-comptable, rencontrer l’avocat qui saura traiter plus précisément les aspects juridiques des décisions économiques, et enfin le notaire traitera des conséquences patrimoniales et familiales pour un individu qui s’engage dans une société. Il pourra bénéficier de conseils en propriété intellectuelle s’il doit déposer un brevet, faire valoir une marque ou protéger un savoir-faire développé par l’entreprise. Sous le respect de nos règles professionnelles, on pourra proposer tous ces services. C’est une richesse. Pour les professionnels, l’intérêt majeur est de proposer une offre diversifiée. Cela permet de partager les frais, d’avoir un secrétariat et un accueil commun. Cela nous rend plus performants. Cette mutualisation des frais permet d’être plus productif et d’avoir une meilleure attractivité en termes de prix. Les études d’expert-comptable ont en général un service social, un département plus fiscal, un département juridique pour les clients en société. Il est courant d’embaucher un juriste. La qualification et la signature des travaux est alors faite par l’expert-comptable qui peut parfois se demander s’il est bien dans les prérogatives de l’ordonnance de 1945. Avec un avocat dans l’équipe, on sait que la signature ne posera aucune ambiguïté et qu’on pourra parfaitement l’assumer.

LPA : Quelles suites allez-vous donner à ce guide ?

R.S. : Nous sommes des professionnels sous l’emprise de textes en constante évolution. Nous souhaitons que ce guide ne soit pas une opération d’un jour mais la consécration de quelque chose. Nous avons expliqué comment on pouvait s’associer ensemble. Chacune des institutions a délégué des membres pour veiller à la maintenance de l’équipe. On va se revoir dans les mois qui viennent pour faire la promotion du guide mais aussi organiser des réunions régulières pour l’actualiser.

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