Report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI : la notion de réinvestissement avec prise de contrôle
Dans un arrêt du 16 février 2024, le Conseil d’État apprécie strictement la condition de réinvestissement par l’acquisition de titres d’une société conférant à l’acquéreur son contrôle.
Dans le cadre du report d’imposition d’une plus-value d’apport prévu par l’article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI), le Conseil d’État vient d’apporter des précisions sur la condition de réinvestissement dans des titres de société conférant à l’acquéreur la prise de contrôle de la société (CE, 16 février 2024, n° 472835).
Le report d’imposition
L’article 150-0 B ter du CGI permet au contribuable qui apporte des titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés de bénéficier d’un report de sa plus-value d’apport obligatoire sous plusieurs conditions.
En principe ce report d’imposition expire en cas de cession à titre onéreux des titres apportés, dans le délai de trois ans suivant l’apport, et cas de rachat, remboursement ou annulation dans le même délai.
Toutefois, il n’est pas mis fin au report d’imposition lorsque la société bénéficiaire de l’apport cède les titres apportés dans ce délai de trois ans et prend l’engagement d’investir une part significative du produit de cession (60 % pour les apports réalisés actuellement), dans un délai de deux ans suivant la date de cession, dans les emplois visés au 2° du I de l’article 150-0 B ter du CGI, notamment :
• dans le financement de moyens permanents d’exploitation affectés à son activité opérationnelle ;
• dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une telle activité et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle ;
• ou dans la souscription en numéraire au capital initial ou à l’augmentation de capital d’une ou de plusieurs sociétés opérationnelles.
Le non-respect de la condition de réinvestissement met fin au report d’imposition au titre de l’année au cours de laquelle le délai de réinvestissement de deux ans expire. Lorsque les titres apportés font eux-mêmes l’objet d’un apport à une société éligible au remploi, le réinvestissement est considéré comme effectif dès lors que la société apporteuse obtient, à l’issue de cet apport, le contrôle de la société bénéficiaire du nouvel apport, toutes conditions étant par ailleurs remplies.
La condition de réinvestissement
Dans une affaire soumise au Conseil d’État, c’est la notion d’acquisition avec prise de contrôle qui est au cœur des discussions. En juillet 2016, le contribuable avait apporté les titres d’une SAS G à une SAS GA7, réalisant à cette occasion une plus-value de plus de 3 millions d’euros. En septembre 2016, la société G avait procédé au rachat puis à l’annulation des actions ainsi apportées. En octobre 2026, la holding GA7 avait réinvesti plus de 50 % (minimum légal du quota de remploi applicable au moment des faits) du produit de cession en acquérant auprès de la même société G les parts sociales de la société Groupement forestier B. En 2017, le couple de contribuables avait déclaré la plus-value réalisée lors de l’apport de la SAS G à la société GA7, sur laquelle ils avaient appliqué l’abattement pour une durée de détention de 65 %, conformément à l’article 150-0 D, 1 ter, B, du CGI. Dans un second temps, ils avaient demandé à bénéficier du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI, et par suite, avaient sollicité le dégrèvement de l’impôt sur la plus-value qu’ils ont acquitté. L’administration avait rejeté leur demande, considérant que le réinvestissement ne pouvait être regardé comme lui ayant conféré le contrôle de celle-ci, au motif que la holding GA7 contrôlait déjà, à l’issue de l’opération d’apport de juillet 2016, la société Groupement forestier B.
L’appréciation de la prise de contrôle
La question se pose donc du caractère éligible du réinvestissement au regard des exigences de l’article 150-0 B ter du CGI ? En appel, l’administration a fait valoir qu’à l’issue de l’opération d’apport réalisée le 28 juillet 2016, la société GA7 possédait 42 % des titres de la société G, qui avait elle-même 97,5 % des parts du capital de la société Groupement Forestier. Il en résulte que la société GA7, qui détenait par ailleurs 10 parts de la société Groupement Forestier, disposait à cette date, directement et indirectement, d’une fraction des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de cette dernière supérieure à 33,33 %.
L’administration en avait déduit que l’opération du 27 octobre 2016 avait permis à la société GA7 de reprendre le contrôle de la société Groupement Forestier, qu’elle avait perdu quelques jours auparavant du fait de la cession du 26 septembre 2016. Or la cour administrative d’appel de Toulouse avait considéré qu’« à supposer même que la société GA7 ait contrôlé la société Groupement Forestier, au sens du 2° du III de l’article 150-0 B ter du CGI, dès le 28 juillet 2016, tel n’était en tout état de cause plus le cas postérieurement au 26 septembre 2016, date du rachat de ses propres titres par la société G ». Elle en avait conclu « que l’investissement réalisé le 27 octobre 2016 par la société GA7 a eu pour effet de lui conférer le contrôle de la société Groupement Forestier dans les conditions prévues à la deuxième phrase du 2° du I de l’article 150-0 B ter du CGI. Par suite, la condition du réinvestissement prévue à l’article 150-0 B ter du CGI a été respectée […]. Dans ces conditions, c’est à tort que l’administration fiscale a estimé que M. et Mme C… ne remplissaient pas les conditions pour bénéficier du report d’imposition de la plus-value réalisée au titre de l’apport, à la société GA7, des titres de la société G, et a intégré cette plus-value à leur revenu imposable au titre de l’année 2016 (CAA Toulouse, 23 février 2023, n° 21TL00748).
La notion de prise de contrôle
Saisi par l’administration fiscale, le Conseil d’État a suivi le même raisonnement que les juges d’appel. Il a en effet estimé que « la circonstance que la société GA7 contrôlait la société Groupement forestier à l’issue de l’opération d’apport du fait de la détention par la société Gaillard de la quasi-totalité des parts de cette société ne permettait pas, par elle-même, de regarder comme non satisfaite la condition de réinvestissement avec prise de contrôle à laquelle l’article 150-0 B ter du CGI subordonne le maintien du report d’imposition en cas de cession des titres apportés, dès lors que la société GA7 avait, à la date du réinvestissement, perdu ce contrôle du fait du rachat et de l’annulation des titres de la société G au travers desquels elle l’exerçait. En statuant ainsi, la cour administrative d’appel, qui a porté sur les faits de l’espèce une appréciation exempte de dénaturation et n’a pas insuffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit ».
Le Conseil d’État s’est livré à une lecture littérale des conditions de l’article 150-0 B ter du CGI, lequel, rappelons-le, constitue un dispositif anti-abus et doit donc être appliqué strictement. La condition de prise de contrôle par la société holding de la société cible doit s’apprécier au moment, et seulement à cet instant, du réinvestissement.
Cette lecture est éloignée de celle de l’administration fiscale, laquelle a déjà considéré le réinvestissement de façon assez restrictive. Ainsi, dans sa cartographie des risques fiscaux, l’administration fiscale a ajouté ce qu’elle considère comme une utilisation abusive du report d’imposition. Dans ce schéma, un contribuable qui possède la totalité des titres d’une société A en fait l’apport à une nouvelle société B. La plus-value bénéficie d’un report d’imposition. La société B revend pour la même valeur les titres de la société A à une société C, constituée par un fonds d’investissement dans le cadre d’un LBO. La société C verse 40 % du prix, le solde faisant l’objet d’un crédit-vendeur. Puis la société B incorpore sa créance au capital de la société C en contrepartie de quoi elle reçoit des titres de la société C. L’administration fiscale considère que cette opération a permis artificiellement le maintien du report d’imposition de la plus-value d’apport, et qu’elle est donc constitutive d’un abus de droit fiscal entrant dans les prévisions de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, sur le fondement de la fraude à la loi.
Référence : AJU012x8