Contrats

Vente de fonds de commerce – réticence dolosive – manquement à l’obligation d’information et de conseil

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 4 avr. 2016, no 2015048934

Créée par Mme G. et M. N. en vue d’acquérir et d’exploiter un fonds de commerce de bar restaurant, la société NCK a acquis de la société P., par l’entremise de la société Paris CHR Transactions, un fonds à Paris 17e rue Guersant.

Ayant appris, après une semaine d’exploitation, que l’employeur occupant l’immeuble en face du fonds allait déménager, NCK demande au tribunal d’annuler la cession en raison du dol par omission commis par Pascal et de condamner Paris CHR Transactions à des dommages et intérêts du fait du manquement à son obligation d’information et de conseil, ainsi que subsidiairement Pascal sur le même fondement si la cession n’était pas annulée.

Le tribunal rejette la demande d’annulation de la cession et fait partiellement droit aux demandes de dommages-intérêts aux motifs suivants :

« Attendu que NCK produit au tribunal plusieurs témoignages indiquant que P. avait connaissance du déménagement du « Groupe M » et de ses employés, du fait des relations étroites que M. P. entretenait avec les membres du comité d’établissement de la société (relations attestées par plusieurs courriels versés aux débats) ;

Attendu que M. P. a décidé de céder son fonds de commerce, après moins d’un an d’exploitation, alors qu’il avait réussi à redresser la rentabilité d’exploitation ; qu’il avait réalisé des travaux fin 2013 ; et qu’il n’invoque aucun motif pour justifier sa décision ;

Attendu que P. a souhaité que l’interdiction de réimplantation à moins de 800 m du fonds cédé, qui lui était faite, soit réduite à 500 m ; que cette modification imposée par P. crédibilise l’hypothèse faite par la requérante, que P. connaissait le lieu de transfert du « Groupe M » (à 1,3 km du fonds cédé) ;

Attendu cependant que le lien entre le départ du « Groupe M » et les travaux de second œuvre qui ont été programmés par le bailleur de l’immeuble n’apparaît pas certain ; le bailleur a-t-il pris conscience à l’occasion du déménagement décidé par son locataire de la nécessité de réaliser ces travaux pour relouer (vétusté des locaux et loyer trop élevé) ? Attendu dans ces conditions que si un faisceau d’indices permet d’établir la preuve que P. savait que le « Groupe M » devait déménager et que cette information l’a incité à vendre son fonds de commerce pour suivre une partie de la clientèle, il n’est pas prouvé qu’il ait eu connaissance des travaux qui allaient être entrepris par le bailleur et surtout de leur durée ;

Attendu donc que P. n’a omis de livrer qu’une information au cessionnaire : le déménagement du « Groupe M » ; or ce déménagement ne remettait pas en cause le potentiel de chalandise puisque l’immeuble situé en face du bar-restaurant ne changeait pas de destination (de bureaux) ;

Attendu ensuite que l’information relative au déménagement du « Groupe M » aurait pu aisément être recueillie par NCK (comme démontré ultérieurement ), y compris auprès des chalands puisque les associés de NCK ont reconnu avoir régulièrement visité les lieux pendant un mois avant de signer l’acte de cession ; que la fréquentation du bar en début de journée et pendant « les after hours » par les employés du « Groupe M » était évidente (traversées de rue constatées par l’huissier) et expliquait le chiffre d’affaires du bar, mis en avant par l’annonce de CHR Transactions ; que NCK n’a pas cherché à connaître les raisons du désistement de l’acquéreur qui l’avait précédé ; que sa recherche d’un fonds de commerce présentant une activité et une rentabilité pérennes, n’était pas satisfaite par un commerce qui avait été déficitaire plusieurs années avant qu’il ne soit redressé par M. P. sur un seul exercice ; enfin que NCK aurait dû approfondir les motivations de P. qui vendait un fonds qu’elle avait réussi à redresser rapidement de façon spectaculaire ;

Attendu qu’en ne s’informant pas, NCK a commis une erreur inexcusable et ôté à l’omission faite par P. le caractère d’une réticence dolosive ;

Attendu ensuite que P. a indiqué dans l’acte de cession du fonds de commerce qu’il détenait un droit de terrasse, alors qu’il n’en avait pas et que le fait qu’il ait appartenu au précédent propriétaire du fonds ne permettait pas de présager une obtention par le cédant ou le nouveau cessionnaire ;

Attendu que la mention dans l’acte de cession de l’existence d’un droit de terrasse non cessible, est donc inexacte ;

Attendu cependant qu’il n’est pas certain que P. ait sollicité en vain le renouvellement d’une autorisation de terrasse « révocable et précaire », et que le droit n’était pas implicitement inclus dans le permis de rénovation de façade du bar restaurant, obtenu en 2013 par P. ; que seules des hypothèses contraires traduiraient une inexactitude intentionnelle ; attendu enfin que cette inexactitude peut provenir d’une négligence du rédacteur de l’acte, qui a maintenu la mention litigieuse, bien qu’il n’ait pas obtenu copie du dépôt d’une demande de droit auprès de la mairie, après plusieurs demandes (mail de Me B. versé aux débats) ;

Attendu de plus que cette déclaration inexacte n’est pas reprise dans le descriptif des lieux ou la consistance du fonds de commerce qui figurent dans l’acte de cession ; qu’elle est cohérente avec le constat d’huissier en date du 13/05/15, produit au tribunal, qui montre une quarantaine de chalands, debout devant l’établissement, le verre à la main, pendant les « after hours » ;

Attendu que le tribunal dit en conséquence que l’inexactitude relevée dans l’acte de cession relative au droit d’occupation du trottoir, ne permet pas de caractériser davantage la résistance dolosive de P.L, par suite déboutera NCK de sa demande principale ;

Sur la demande subsidiaire :

Attendu que l’intention du cessionnaire, d’acquérir une clientèle stable et pérenne, comme elle le soutient dans ses écritures, n’est pas mentionnée dans l’acte de cession ; que les chiffres communiqués par l’expert-comptable montrent clairement que le redressement de l’affaire a été réalisé en un laps de temps très court (11 mois), qu’il ne pouvait donc être qualifié de pérenne (CA 2012 : 191 012,82 € ; CA 2013 : 279 581 €) ;

Il s’avère d’autre part que le « Groupe M » occupait les locaux de la rue Guersant avant l’acquisition du fonds de commerce par P., et que les travaux de rénovation du bar-restaurant sont intervenus en fin d’exercice 2013 ;

Le développement soudain du CA du Bar-Restaurant et le redressement de sa rentabilité sur l’exercice 2013, ont été obtenus par la valorisation d’une chalandise inchangée, et sans transformation des locaux ; qu’il est donc imputable essentiellement au travail et au savoir-faire de M. P. ;

Attendu ensuite que toutes les informations fournies par M. P. sur le CA réalisé ou les résultats d’exploitation des exercices 2010, 2011, 2012, et 2013 ne sont pas contestés par NCK ; attendu que seul le résultat de l’exercice 2013, capitalisé 3, 18 fois, explique la variation de la valeur des éléments incorporels entre l’acquisition du fonds par M. P. (120 000) et la cession à NCK (238 000) ;

Attendu que P. n’a donc pas manqué à son devoir d’information puisque sur la base des données comptables fournies, les acquéreurs avaient tous les éléments leur permettant d’apprécier la valeur du fonds et d’en négocier le prix ;

Attendu par ailleurs qu’un mandat de recherche n° 3911 avait été signé entre NCK et CHR Transactions ; que CHR Transactions connaissait parfaitement les objectifs des mandants (pérennité de la clientèle) et leur non professionnalisme ;

Attendu que l’annonce publiée par CHR Transactions à l’enseigne Michel S. comportait le commentaire suivant : « (…) beau bistrot licence IV situé dans une rue très commerçante, à côté de plusieurs bureaux, il dispose de deux salles pouvant accueillir 45 convives, une terrasse d’une dizaine de places, ainsi qu’une très belle vitrine, tou(s) le matériel est neuf et les travaux ont été réalisés fin 2013. Cette affaire est fermée samedi et dimanche et sort une moyenne de 13 fûts de bière par semaine… » ;

Attendu que le droit d’occupation de la terrasse apparaît donc acquis au cédant du fonds de commerce au vu de l’annonce, que l’acte signé en présence de CHR Transactions le confirme, même s’il est précisé que le droit n’est pas cessible ;

Attendu que l’information relative à la chalandise est très incomplète, et que CHR Transactions agissant en mandataire de NCK devait lui conseiller d’exiger du cédant du fonds une étude de marché plus complète et plus précise ;

Attendu enfin que l’activité du bar est soulignée par le nombre de fûts de bière délivrés par semaine (13) et méritait donc une explication précise de cet important débit qui aurait pu alerter les acquéreurs sur une fréquentation très dépendante de quelques clients (une cinquantaine selon constat) venant de l’immeuble d’en face ;

Attendu qu’au mandat de recherche de fonds de commerce initialement signé par NCK, s’est substitué un mandat de recherche de financement bancaire par CHR Transactions, qui a été imposé à NCK lors de la promesse d’achat ;

Attendu que CHR Transactions a publié une information erronée, n’a pas vérifié les informations qu’elle publiait, et a donc manqué à son devoir d’information, mais également à son devoir de conseil vis-à-vis de cessionnaires non professionnels qui lui avait confié le mandat de rechercher, un fonds puis un financement, et lui faisait entièrement confiance ; CHR Transactions a ainsi induit les acquéreurs dans l’erreur et a causé plusieurs préjudices à NCK : honoraires payés, 18 600 €, préjudice moral 5 000 €, et perte de chance que le tribunal évalue à 7 000 € ;

Le tribunal condamnera en conséquence CHR Transactions à payer à NCK la somme de 30 600 €, en réparation des dommages occasionnés, déboutant pour le surplus ;

Sur la demande reconventionnelle de CHR Transactions :

Attendu que CHR Transactions demande à être relevée de ces condamnations par P. ;

Attendu que la mention erronée de l’existence d’un droit de terrasse au bénéfice du cédant dans l’acte de cession a été rendue possible par le silence de P. aux interrogations de Me B., le tribunal dit que le préjudice subi par NCK est partiellement imputable à une négligence de P. qui n’a pas répondu à Me B. alors que, selon toute vraisemblance le permis obtenu pour la restauration de la façade en 2013 incluait un droit d’occupation de la terrasse (cf. : photos du constat d’huissier où apparaissent des tables ; et la révocation de ce « droit » par la mairie au motif qu’il manque « 5 cm » pour le passage des piétons) ; P. sera donc condamnée à relever CHR Transactions de ses condamnations à hauteur de 30 % et déboutée du surplus de sa demande ».