Châtenay-Malabry : l’épineuse réhabilitation de la cité-jardin de la Butte Rouge

Publié le 09/10/2023
Cité-jardin_de_la_butte_rouge,_Châtenay-Malabry
Azadeh AC,
Cité-jardin francilienne, ensemble urbanistique, paysager et architectural de la première moitié du 20eme siècle.

Dans la cité des Hauts-de-Seine (92), un quartier HLM niché dans la forêt a fait le bonheur de générations de familles modestes. Aujourd’hui, la municipalité souhaite réhabiliter à grands coups de tractopelle ce quartier à haute valeur patrimoniale. Un projet qui est loin de faire l’unanimité.

Tout le monde l’appelle le gardien du musée. Jean-Claude Charrier est né à la Butte rouge en 1942. C’est dans le quatre-pièces qu’il occupe toujours aujourd’hui, à 81 ans, que son père (ouvrier chez Renault) et sa mère (femme au foyer) ont élevé leurs dix enfants. Ils s’y étaient installés en 1939. « Pour l’époque c’était un confort incroyable : trois chambres, une salle à manger, une salle de bains, une chaudière individuelle, deux jardins potagers. Après le travail, mon père allait cultiver les légumes qu’on mangerait le soir. C’était un bonheur pour les enfants : tous les soirs après l’école, les familles s’installaient sur les grandes pelouses, sur les bancs le long des allées. Tout le monde se connaissait et tous les enfants connaissaient la forêt comme leur poche », s’émeut le retraité. Désormais, il accueille toujours les étudiants en architecture du monde entier, les nostalgiques et les curieux pour faire découvrir son quartier.

Lancée avant la Seconde Guerre mondiale, la construction de cette cité-jardin à Châtenay-Malabry a fait date comme un projet d’avant-garde. Théorisé par l’urbaniste britannique, Ebenezer Howard en 1898, il s’agit de construire une ville ou un quartier en suivant quelques principes : une maîtrise publique du foncier (ce dernier appartient à la municipalité afin d’éviter la spéculation financière sur la terre), la présence d’une ceinture agricole autour de la ville (pour permettre à chacun de s’alimenter et pour mettre la nature au centre), une densité relativement faible du bâti (peu de bâtiments), des équipements publics situés au centre de la ville (parcs, galeries de commerces, lieux culturels) et la maîtrise des actions des entrepreneurs économiques sur l’espace urbain.

En France, le concept prend une autre forme : selon le service de l’Inventaire du patrimoine, la cité-jardin est un « lotissement concerté, où les habitations et la voirie s’intègrent aux espaces verts publics ou privés, et destiné généralement en France à un usage social ». Plusieurs cités-jardins sortent de terre en Île-de-France au début du XXe siècle : l’Office public d’habitations à bon marché (HBM) de la Seine en créé un peu partout pour abriter une main-d’œuvre échappée de la diagonale du vide pour pointer à l’usine. Arcueil, Stains, Suresnes, Drancy, Asnières, Gennevilliers, le Plessis-Robinson, Vitry-sur-Seine, Champigny sur Marne… toutes les communes en profitent. Mais la Butte rRuge de Châtenay-Malabry fait partie des plus importantes, avec plus de 4 200 logements construits entre les années 1930 et 1960. Conçue par les architectes Joseph Bassompierre, Paul de Rutté, Paul Sirvin et le paysagiste André Riousse, la Butte-Rouge est issue du projet de « Cité-jardin du Grand Paris », proposé en 1919 dans le cadre du concours international pour la conception d’un plan d’aménagement et d’extension de Paris lancé par la préfecture de la Seine et la ville de Paris. Elle se distingue des autres parce qu’elle s’étend sur 70 hectares et épouse parfaitement un paysage vallonné et forestier qui ne semble pas avoir rechigné à faire de la place aux bâtiments d’habitation aux formes tantôt rectilignes tantôt arrondies. L’ensemble qu’elle constitue, étudié dans l’inventaire du patrimoine des Hauts-de-Seine, a été labellisé en 2008 « Architecture contemporaine remarquable ».

« Le Maire a voulu détruire la Butte Rouge et il a fédéré l’opposition contre lui »

Plusieurs grandes vagues de travaux d’ampleur ont sporadiquement touché le quartier en 1984 et 1994 pour apporter entre autres une isolation par l’extérieur et différentes mises aux normes. Mais au fil des années, les bâtiments ont souffert du passage du temps. Moisissures, factures de chauffage démesurées, huisseries vieillissantes ont rendu le quotidien de ses habitants (à quasi 100 % HLM) difficile. La porte-parole du collectif « Sauver la Butte Rouge » nous résume la situation : « La Butte Rouge, c’était des petits immeubles peu épais, de trois quatre étages, avec des soubassements, des appartements traversants sans vis-à-vis, des escaliers qui desservent les appartements en lumière naturelle. Six à huit appartements par entrée, des massifs de fleurs, des jardins, une vie villageoise. Depuis 30 ans il n’y a pas eu de travaux d’entretien d’ampleur et cela se sent dans le quotidien de certains locataires aujourd’hui ».

Selon l’élu de l’opposition Stéphane Dieudonné (sans étiquettes), cette absence d’entretien dépasse les travaux des bâtiments : « Après 40 ans d’usage, il faut donner un véritable coup de frais, certains appartements ont des fils à nu ! Mais il se trouve que pour la Butte Rouge, les emprunts ont été payés, les loyers rentrent… Pourquoi ne pas entretenir ? Il y a eu une volonté politique d’enclaver le quartier et de lui faire perdre de son attractivité avec la fermeture des magasins en rez-de-chaussée. Il n’y a pas de maison des jeunes, l’espace social Lamartine est localisé dans un préfabriqué des années 1960… Il y a aujourd’hui une politique sociale de la commune oui, mais son activité n’est pas criante à la Butte Rouge ». Dès les années 2015, les projets de réhabilitation d’ampleur, associés à un projet de tramway desservant le quartier, commencent à bruisser aux oreilles des uns et des autres. En 2018, la commune transfère la propriété des logements sociaux de Châtenay-Malabry, dont ceux de la Butte Rouge, à la coopérative Bièvre Habitat, réunissant le patrimoine d’Antony et Châtenay-Malabry, atteignant ainsi le seuil de 10 000 logements sociaux requis par la loi ELAN. Un protocole de préfiguration est conclu avec l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU). Jean-Claude Charrier se souvient encore de cette journée de 2019 où un comité de pilotage de l’ANRU a débarqué. Il découvre alors, comme d’autres habitants, les plans de réhabilitation de son quartier de toujours, et manque de s’étouffer : « 85 % du quartier pouvait être détruit, nous étions stupéfaits ! C’est à ce moment-là que notre combat commence à s’impulser : le maire a voulu détruire la Butte Rouge et il a fédéré l’opposition contre lui », se souvient l’ancien maire adjoint.

Deux camps se sont dessinés : d’un côté, la mairie LR et ses soutiens, souhaitant raser une partie des bâtiments pour en construire d’autres, plus neufs, eco-friendly, plus à même de recevoir une population plus mélangée (« avec une répartition de 60 % de logements sociaux aidés ‒ 40 % sociaux et 20 % intermédiaires ‒ associés à 40 % d’accession libre et ce, à l’échelle de l’îlot pour éviter toute concentration d’un seul type de logements dans un même secteur », indique le dossier de presse). Le projet promet la conservation des bâtiments les plus iconiques de l’ensemble, un remplacement des logements HLM détruits au 1 pour 1, et un relogement des familles concernées. Végétalisation des toits et transformation des parkings en jardins sont avancés comme des évolutions positives pour le quartier. De l’autre, les élus de l’opposition, deux collectifs citoyens (de non-habitants principalement) et une amicale des habitants créés pour protéger la cité dans son ensemble, son patrimoine architectural et sa vocation première. Ils ont obtenu les soutiens des associations d’architectes, et même de l’ancienne ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Entre les deux, les 7 700 habitants du quartier attachés à leur cité mais néanmoins touchés par les dégradations du temps, rendant certains appartements invivables, selon la mairie.

Le pot de fer contre le pot de terre

Dans la chanson de Jacques Dutronc, Le Petit Jardin, le chanteur déplore la perte d’un petit jardin dévoré par l’appétit des promoteurs parisiens. Dans les histoires comme celles-ci, qui touchent à la réhabilitation (par une destruction d’ampleur) d’un quartier à valeur architecturale, d’un lieu de vie, d’une époque, les forces penchent souvent du côté des communes ou des bailleurs, même si des compromis sont souvent trouvés (comme ce fut le cas pour la réhabilitation des tours Aillaud, à Nanterre). Les enjeux dépassent souvent l’histoire du quartier, touchent aussi à la stratégie d’une ville, souhaitant se montrer plus attractive.

Dans le cas de Châtenay-Malabry, même si une modification d’ampleur s’est rapidement manifestée, les locataires des premiers logements concernés par la première phase des travaux ont commencé à être relogés depuis deux ans (sans expulsion aucune). Par une délibération du 18 mars 2021, l’établissement public territorial Vallée Sud-Grand Paris a approuvé la modification n° 4 du plan local d’urbanisme (PLU) de Châtenay-Malabry, destinée à rénover profondément la cité-jardin de la Butte Rouge.

Mais le 8 juin dernier, le camp du pot de fer a subi un revers : le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé que « par leur nature et leur ampleur, les changements apportés au PLU auraient dû faire l’objet d’une procédure de révision du PLU, plus exigeante que la procédure de modification choisie. Le tribunal administratif a également considéré que ces changements n’étaient pas cohérents avec les orientations du PLU – contenues dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) – et qu’ils n’étaient pas suffisamment justifiés dans le rapport de présentation du PLU. Après avoir écarté les autres moyens soulevés par les requérants, le tribunal a jugé que ces trois vices n’étaient pas régularisables ». La délibération du 18 mars 2021 a donc été annulée.

Cette victoire sera de courte durée selon les opposants, qui savent que la prochaine proposition de révision du PLU sera sans doute validée par le tribunal. « On aura gagné un ou deux ans, souligne la porte-parole du collectif « Sauvons la Butte Rouge ». On se dit qu’il y a en 2026 de nouvelles élections municipales, donc potentiellement un changement de municipalité. On sait que la forte bétonisation à Châtenay, l’installation du tramway en lieu et place de lignes de bus (la DUP avait été annulée en 2021 au moment où les travaux se terminaient), ne laissent pas indifférents. Peut-être les choses changeront-elles pour la Butte Rouge ? ».

Stéphane Dieudonné est d’accord : « Quand la Butte Rouge a été construite entre les années 30 à 60, les habitants avaient demandé à avoir une ligne de train et il a fallu attendre l’arrivée du tramway pour détruire le quartier et demander aux gens d’abandonner l’endroit où ils ont vu grandir leurs enfants. Comme dans d’autres endroits similaires en Île-de-France, on détruit au lieu de réhabiliter, l’argent public permet d’augmenter le prix des terrains… qui pourraient être privatisés ensuite avec l’accession à la propriété. Socialisation des pertes et privatisation des gains, ce n’est pas possible »…

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