L’admission du préjudice autonome d’angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime

Publié le 17/10/2024
L’admission du préjudice autonome d’angoisse de mort imminente en cas de survie de la victime
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Malgré certaines décisions fondées sur l’intégration du préjudice d’angoisse de mort imminente au poste des souffrances endurées, la Cour de cassation a consacré l’autonomie de ce préjudice. En ce sens, le référentiel Mornet, qui évalue et standardise l’indemnisation des préjudices corporels, définit ce préjudice comme « la souffrance extrême subie par la victime entre l’accident et son décès du fait de la conscience de sa mort imminente ». L’arrêt ici commenté vient donc utilement rappeler le caractère autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente, alors même que la victime a survécu à ses blessures.

Cass. 2e civ., 11 juill. 2024, no 23-10068

La Cour de cassation a consacré, dans son arrêt rendu le 11 juillet 2024, que le préjudice d’angoisse de mort imminente n’est pas subordonné au décès de la victime. En l’espèce, une aide-soignante avait été poignardée à 14 reprises par le patient d’un hôpital alors qu’elle venait en aide à une collègue agressée. Par la suite, ce patient a été déclaré pénalement irresponsable. La victime a poursuivi l’assureur de l’agresseur pour obtenir une indemnisation des préjudices subis.

La cour d’appel a accueilli favorablement la demande de la victime, incluant l’indemnisation pour les souffrances endurées et le préjudice d’angoisse de mort imminente. L’assureur de l’agresseur a alors formé un pourvoi en cassation. L’argument essentiel de l’assureur était que l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente ne peut être accordée qu’en cas de décès de la victime. Mais la haute juridiction n’a pas fait droit à ces arguments. En effet, la Cour de cassation admet l’indemnisation de la victime pour un préjudice d’angoisse imminente alors même que la victime aurait survécu. En revanche, sur la question du respect du principe de réparation intégrale, la Cour maintient le refus de la double indemnisation.

I – La reconnaissance du préjudice d’angoisse de mort imminente non subordonnée au décès de la victime

A – Indemnisation du préjudice autonome en cas de survie de la victime

Face à la délicate question de la distinction entre le préjudice d’angoisse de mort imminente et le préjudice des souffrances endurées, quelques précédents jurisprudentiels peuvent être mobilisés pour démontrer les dissensions entre les chambres sur ce sujet. Si la chambre criminelle a dès le début indemnisé ce poste de manière autonome1, la deuxième chambre civile s’y refusait en énonçant que « l’angoisse d’une mort imminente éprouvée par la victime ne peut justifier une indemnisation distincte qu’à la condition d’avoir été exclue de ce poste »2. Ainsi, c’est la chambre mixte de la Cour de cassation qui a consacré, dans un arrêt rendu le 25 mars 2022, l’autonomie de l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente. Dans cette affaire, les ayants droit d’une victime décédée lors d’une agression au couteau ont obtenu une indemnisation au titre de l’angoisse de mort imminente vécue par leur proche.

Néanmoins, bien que les juges de cassation aient établi en l’espèce que la mort de la victime n’est plus une condition nécessaire à la caractérisation de ce préjudice, cela n’est toutefois pas suffisant pour admettre son indemnisation. En effet, il est encore nécessaire que la victime ait été consciente de son état avant de potentiellement mourir. Cela signifie que pour que ce préjudice soit indemnisé, la victime doit avoir ressenti la peur intense de sa propre mort imminente.

B – Le maintien de l’indemnisation autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente même en cas de survie de la victime

Dans un arrêt du 4 avril 20233, la Cour de cassation avait précisé, concernant une personne décédée à la suite d’un accident de la circulation, que le préjudice d’angoisse de mort imminente ne pouvait être confondu avec le poste des souffrances endurées. En effet, le préjudice d’angoisse de mort imminente est distinct des souffrances endurées dans le sens où il représente une peur intense de mourir ressentie par la victime avant de mourir ou avant d’être sauvée.

Il s’agit d’un préjudice spécifique lié à la conscience de la gravité de la situation. Or, si la victime n’a pas conscience de cette situation de mort imminente alors, comme le rappelle la Cour de cassation, ce préjudice sera rattaché au poste des souffrances endurées. Les souffrances endurées couvrent toutes les douleurs physiques et psychiques que la victime subit depuis l’incident jusqu’à la stabilisation de son état de santé. Ainsi, les souffrances endurées englobent une large gamme de préjudices, incluant les douleurs physiques, les traumatismes psychologiques et les angoisses liées à l’événement dommageable, aussi bien passées que futures. Ces préjudices sont catalogués au sein de la nomenclature Dintilhac, qui constitue une référence en matière d’indemnisation.

Ce faisant, en l’espèce, la Cour de cassation indique clairement que le préjudice d’angoisse de mort imminente peut être reconnu de manière autonome, même si la victime survit, à condition qu’elle ait été consciente de son état et ait ressenti une peur intense de mourir.

II – Le respect du principe « reparatio in integrum » même en cas de survivance de la victime

A – Le rejet de la double indemnisation

Pour rejeter la double indemnisation de la victime il faut rappeler, en effet, qu’en droit de la responsabilité civile, l’élément fondamental réside dans le principe de la réparation intégrale. Il vise à compenser complètement les préjudices subis par la victime, sans pour autant lui procurer un gain injustifié. Cela signifie donc que l’indemnisation doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage. Autrement dit, la victime doit être replacée dans la situation où elle se trouvait avant la survenance du dommage, sans bénéfice supplémentaire.

Ici surgit une difficulté puisque la Cour de cassation précise que l’indemnisation d’un préjudice de manière autonome ne peut faire l’objet d’une cassation que si ce préjudice a été indemnisé deux fois, ce qui violerait le principe de réparation intégrale. Ainsi, en l’absence pour la victime d’une atteinte corporelle ou d’une menace de blessure corporelle suffisamment grave pour qu’elle anticipe raisonnablement la possibilité imminente de sa propre mort, l’indemnisation sera rattachée au poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou au poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, qui ne peut être indemnisé séparément.

B – La motivation du préjudice à indemniser

Dans ces conditions, une certaine rigueur dans la démonstration du sentiment de mort imminente devrait alors être exigée de la part des juges du fond. On rappellera ici que les médecins experts évaluent les souffrances endurées sur une échelle à sept degrés, permettant de quantifier l’intensité des douleurs physiques et psychiques subies par la victime.

En l’espèce, les souffrances endurées par l’aide-soignante ont été quantifiées à 4/7 par l’expert. Malgré tout, il ressort de l’arrêt d’appel que l’indemnisation des souffrances endurées a pris en compte les lésions résultant des multiples plaies par arme blanche, mais sans précision de l’expert sur la peur de mourir ressentie par la victime.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 23 oct. 2012, n° 11-83770 – Cass. 1re civ., 26 sept. 2019, n° 18-20924.
  • 2.
    Cass. ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15624.
  • 3.
    Cass. crim., 4 avr. 2023, n° 22-83735.
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