Quand les assureurs se mettent sur le créneau des violences conjugales

Publié le 21/05/2025
Quand les assureurs se mettent sur le créneau des violences conjugales
Zubada/AdobeStock

En avril dernier, l’assureur Axa annonçait la mise en place d’un nouveau dispositif dans le cadre de son assurance habitation pour protéger leurs assurées victimes de violences conjugales. Une disposition révolutionnaire qui cache pourtant une triste réalité.

Dans le bal des publicités, entre le dernier SUV électrique et le club de vacances familial, un moment glacial. Dans un appartement, une jeune femme tuméfiée se tient la gorge, le regard perdu sur son propre reflet. Elle prend une décision. Une personne, pendue au téléphone, est auprès d’elle quand elle fourre en vitesse quelques pulls dans une valise. Elle marche auprès d’elle dans la rue, vers la sécurité. L’alliance a été déposée sur une commode. Une phrase s’affiche :  » être une femme ne devrait jamais être un risque ». En avril, Axa a lancé une nouvelle protection intégrée à son assurance habitation : la garantie violences conjugales visant à protéger les victimes, toujours plus nombreuses. En 2023, date des derniers décomptes, les services de sécurité ont enregistré 271 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2022.

Une disposition qui s’inscrit dans une politique

Si l’opération a fait date, c’est que pour la première fois, l’assureur propose une mise en sécurité de la victime (et de ses enfants si elle en a) et la mise à disposition d’un hébergement d’urgence jusqu’à sept jours, le temps de trouver avec Axa Assistance une solution avec un réseau associatif et une prise en charge juridique et psychologique. Ce nouveau dispositif s’ancre dans l’ADN de la branche Protection Juridique d’AXA France. En 2015, bien avant MeToo, les équipes de Juridica (composées de femmes à 80 %) avaient lancé un programme de mécénat, Elle’s Angels, dans le but d’accompagner les femmes sur le plan juridique, financier (création d’un compte bancaire Axa Banque) et psychologique en étroite relation avec des partenaires associatifs tels que Fédération nationale Solidarité Femmes, la Fondation des Femmes, la Maison des Femmes. Depuis sa création, plus de 2 000 femmes victimes ont été aidées par les juristes expertes violences et 1,4 million d’euros ont été versés pour prendre en charge des procédures judiciaires.

Nathalie Aubonnet, sa directrice générale, évoque la poursuite d’un engagement pour les droits des femmes. « Nous avons décidé d’aller beaucoup plus loin en s’appuyant sur le savoir-faire d’Axa Assurance, qui est habitué à accompagner les victimes d’incendies, de catastrophes naturelles, vers un logement d’urgence. Dans le cas des violences conjugales, le logement devient tout aussi dangereux, inhabitable. Le moment où la personne quitte le logement est particulièrement anxiogène car l’auteur peut redoubler de violences. En intégrant cette protection dans l’assurance logement, 2,5 millions de foyers sont couverts. Hommes, femmes, enfants ».

Afin d’informer le plus largement possible ses assurés, Axa a travaillé avec Publicis France sur une campagne d’information multicanaux. Affichage sur les abribus, campagne sur les réseaux sociaux ont accompagné le lancement du spot télévisé. Une opération médiatique qui rappelle la distribution du violentomètre (outil de prévention conçu fin 2018 par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et Paris, l’association En Avant Toute(s) et la Mairie de Paris) imprimé sur les sachets de baguettes de pain, ou les affiches collées dans les toilettes publiques, qui informent les victimes dans un espace public. Axa a également créé une page web dédiée proposant un film pédagogique expliquant simplement le dispositif et le moyen d’activer cette protection (à destination des victimes mais aussi des proches, qui ont un rôle important) et un court documentaire offrant un point de vue sur les coulisses du programme.

Une protection de plus en plus complète

La protection comporte un volet pour l’accompagnement juridique, psychologique et les démarches concernant le relogement. Les femmes peuvent choisir d’être mises à l’abri chez un tiers de confiance ou relogées en urgence dans un espace sécurisé (une chambre pour une personne seule ou un appart hôtel s’il y a des enfants par exemple, avec gardiennage). Cette période de 7 jours, permet à la victime de préparer la suite, porter plainte, se réparer, trouver une solution pérenne. « Grâce à notre travail au long cours avec les associations, nous avions déjà la compétence sur le droit, des équipes formées à l’écoute qui connaissent les précautions à tenir pour que l’auteur des violences ne se doute de rien. Les quatre associations avec qui l’on travaille nous envoient des victimes déjà assurées sans le savoir et nous travaillons avec elles pour des solutions plus pérennes ». Alors que les réactions sont très positives et que les assurées profitent déjà de cette mise à l’abri révolutionnaire, Nathalie Aubonnet, directrice de Juridica, espère que cela fera un effet boule de neige et que les autres assureurs suivront.

Selon France Assureurs, environ 1 foyer sur 3 est couvert par une garantie contre les violences intrafamiliales, même si elles ne sont pas aussi complètes. Au printemps 2021, AGIPI et l’association FEMMES avec… se sont mobilisés pour créer la garantie violences conjugales dans le cadre du contrat Prévoyance CAP. Cette garantie, incluse dans le contrat, offre une ligne d’écoute disponible 24 heures/7 J pour avoir accès à un soutien psychologique, à une prise en charge juridique et de possibles indemnités financières spécifiques en cas d’incapacité de travail.

Dans le sillage de la loi Létard qui, depuis novembre 2023 (qui permet à toute victime de violences conjugales de demander une aide à la Caisse d’allocations familiales (CAF) ou à la MSA, la Sécurité sociale agricole), d’autres acteurs se sont mis en ordre de marche. les caisses régionales de Crédit mutuel et de la Caisse d’épargne proposent des comptes spécifiques pour les victimes de violences conjugales souvent victimes de violences économiques (personnels, gratuits, non rattachés au domicile familial et autorisent le découvert).

L’assurance emprunteur April prend en charge certains frais liés au départ du domicile pour les victimes de violences intrafamiliales. Elle peut par exemple rembourser une partie des achats d’électroménager et d’ameublement, sur présentation de factures, payer le dépôt de garantie pour la location d’un appartement ou encore les frais d’avocat.

Une offre qui démontre les carences de l’État

Quand on regarde le spot de publicité. Le sentiment est ambivalent. Le soulagement d’abord, de voir développer au grand jour un sujet qui s’entête à rester tabou dans les foyers, et le regret aussi, que l’assureur privé prenne en charge une mise à l’abri qui devrait être publique et universelle. En France, le manque de place en hébergement d’urgence reste criant et le dispositif Téléphone Grave Danger ne peut à lui seul protéger les victimes. Comme le 3919 ou les associations d’accompagnement, l’hébergement d’urgence est chroniquement sous financé. En ce mois de mai, l’État est jugé dans l’affaire Nathalie Debaillie, tuée par son ex-conjoint malgré ses alertes, les mains courantes et la plainte déposée par la victime. C’est pourquoi, comme les assureurs et les banques, certaines associations et institutions prennent en charge ce défaut. Le réseau de citoyens « Un abri qui sauve des vies », vise par exemple à mobiliser la solidarité citoyenne pour apporter un hébergement d’urgence aux victimes, en familles d’accueil. Créé par le bailleur social Paris Habitat en lien avec l’association Esperem et la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl), le programme « Accompagner et loger des victimes de violences intrafamiliales » du bailleur social Paris Habitat met à disposition 95 logements prioritaires avec l’objectif d’anticiper la période d’incertitude qui vient avec la décohabitation d’une personne victime de violences.

Si les associations féministes se réjouissent que les acteurs privés prennent en charge les victimes de violences conjugales, leurs avis sont parfois nuancés sur leur mise en œuvre. Peu après la mise en place du service par Axa, l’association Osez le féminisme a publié un communiqué saluant l’opération, mais avec un bémol. Le fait que l’accès à l’hébergement d’urgence soit conditionné au dépôt de plainte pour violence conjugale : « Or, en France, seule une minorité de victimes porte plainte. Pas parce qu’elles ne veulent pas. Parce qu’elles ont peur. Parce qu’elles dépendent financièrement ou administrativement de leur agresseur. Parce qu’elles savent que porter plainte ne garantit pas leur sécurité, au contraire : le moment de la séparation est le plus dangereux pour une femme victime de violence conjugale. Parce que la justice a prouvé à maintes reprises qu’elle ne protège pas les femmes. Conditionner le logement à une plainte, c’est méconnaître la réalité c’est exclure les femmes qui ont justement besoin de protection pour ensuite engager des poursuites judiciaires si elles le souhaitent et si elles le peuvent. C’est ignorer que le dépôt de plainte peut entraîner une escalade de violences, l’agresseur cherchant souvent à se venger. Un tel dispositif ne doit pas reproduire les logiques punitives », indique le communiqué. Il faudra donc encore un peu de temps pour évaluer la portée de cette prise en charge.

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