CEDH : accès des personnes nées d’une AMP aux données concernant le donneur
Les requérants, français nés dans les années 80 d’une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur, se sont heurtés à un refus d’accès à des informations relatives au donneur. Cette situation a perduré jusqu’au 1er septembre 2022, date à laquelle le nouveau dispositif d’accès aux origines est entré en vigueur. Ce dernier met en place un système d’accès aux origines pour les personnes nées de dons antérieurs à son entrée en vigueur, sous réserve cependant du consentement des donneurs.
Invoquant l’article 8, les requérants soutiennent que l’impossibilité d’obtenir des informations sur leur géniteur respectif a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Invoquant l’article 14, combiné avec l’article 8, ils soutiennent qu’ils subissent, du fait du mode de leur conception, une discrimination dans leur droit au respect de leur vie privée par rapport aux autres enfants, en raison de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent d’obtenir des informations non identifiantes sur le tiers donneur, en particulier, des informations médicales.
Pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est d’ordinaire restreinte. En revanche, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est large. Elle est d’une façon générale également ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention qui se trouvent en conflit.
La Cour relève qu’au moment où le requérant et la requérante ont saisi les juridictions internes puis la Cour de leurs prétentions, le droit français ne permettait pas aux enfants conçus par don de gamètes, lorsque leur mode de conception leur avait été révélé, et qu’ils le souhaitaient, de connaître l’identité du tiers donneur ou d’avoir accès à des informations non identifiantes sur ce dernier. Ils dénoncent les lacunes du système juridique français qui ont conduit au rejet de leurs demandes respectives. La Cour considère dès lors, contrairement au Gouvernement, que ce grief doit être examiné sous l’angle de la question de savoir s’il pesait sur l’État défendeur une obligation positive de garantir aux intéressés un droit d’accès à leurs origines. La question qui se pose en l’espèce est de celle savoir si, en opposant à la requérante et au requérant le principe d’anonymat du donneur, la France a manqué à son obligation positive de garantir le respect effectif de leur vie privée.
La Cour relève que la situation dénoncée par la requérante et le requérant découle des choix du législateur dont elle ne peut que constater qu’ils résultent de débats extrêmement approfondis et dont la qualité ne peut être mise en doute. Elle note d’ailleurs que chaque loi de bioéthique a été précédée d’un débat public sous forme d’états généraux, afin de prendre en considération l’ensemble des points de vue et de peser au mieux les intérêts et droits en présence.
L’État français a décidé d’assimiler le don de gamètes à l’ensemble des dons d’éléments et de produits du corps dans le cadre d’un système juridique d’ensemble fondé sur les principes d’anonymat et de gratuité du don. La Cour, contrairement à la requérante, voit dans ce choix de départ une cohérence répondant aux exigences de la préservation de considérations éthiques et des risques à l’époque redoutés de la remise en cause de la procréation médicale assistée sociale, soit à des justifications d’ordre général convaincantes.
La Cour observe ensuite que la proportionnalité de l’anonymat absolu du donneur a été débattue de manière approfondie, tant au regard des considérations d’intérêt général, telles que « la sauvegarde de l’équilibre des familles et le risque de remettre en cause le caractère social et affectif de la filiation, le risque d’une baisse substantielle des dons de gamètes ainsi que celui d’une remise en cause de l’éthique qui s’attache à toute démarche de don d’éléments ou de produits du corps », que de celles liées à la prise de conscience de la souffrance ressentie par certaines personnes conçues par don et de la reconnaissance dans certains États et par la Cour d’un droit d’accès aux origines. C’est finalement la crainte d’une baisse des dons et celle d’une remise en cause de la paix des familles et de la protection du donneur qui l’ont emporté, le législateur préférant ne pas distinguer l’anonymat des dons.
Pour sa part, la Cour, relève qu’il n’existe pas de consensus sur la reconnaissance du droit d’accès aux origines des personnes nées de dons mais seulement une tendance récente en sa faveur, ce qui ne lui permet pas de dire que les personnes dans la situation de la requérante et du requérant auraient dû, à l’instar, de celles nées sous X, se voir offrir plus tôt la possibilité de saisir une commission d’accès aux origines. On ne saurait dès lors reprocher à l’État défendeur son rythme d’adoption de la réforme et d’avoir tardé à consentir à une telle réforme.
S’agissant, en second lieu, des informations médicales non identifiantes, dont la requérante et le requérant déplorent l’accès trop restrictif, la Cour constate qu’elles sont également couvertes par le secret absolu du donneur et le secret médical, sous la réserve des dérogations prévues au profit du médecin.
En l’espèce, la Cour constate que le principe d’anonymat du don de gamète ne faisait pas obstacle, au moment de l’introduction des requêtes devant la Cour, à ce qu’un médecin accède à des informations médicales et qu’il les transmette à la personne née du don en cas de nécessité thérapeutique. Or, cette dernière couvre, d’après l’étude d’impact du gouvernement, la prévention du risque de consanguinité principalement considéré par la requérante et le requérant comme une atteinte au droit à leur santé. De même, le Conseil d’État a jugé que des informations médicales non identifiantes peuvent être obtenues à titre de prévention, en particulier dans le cas d’un couple de personnes issues l’un et l’autre d’un don de gamètes. En outre, l’ancienne législation prévoyait également la possibilité pour le donneur, en cas de maladie génétique, d’autoriser le médecin à saisir le centre responsable du don pour qu’il procède à l’information de l’enfant né du don.
Compte tenu de ces éléments, et en l’absence de données suffisamment précise aux dossiers sur les retombées concrètes pour les intéressés de la préservation du secret médical, en particulier sur le lien allégué entre la souffrance résultant du secret avec la connaissance de leurs antécédents médicaux, la Cour considère que la France a maintenu un juste équilibre entre les intérêts concurrents en présence en ce qui concerne les informations médicales non identifiantes. Elle note d’ailleurs que cet aspect de l’anonymat du don de gamètes, sous réserve des questions liées à l’élargissement de l’accès aux informations concernées, n’a jamais été, contrairement au secret des origines, remis en cause dans son principe au cours des débats législatifs successifs. Partant, le rejet des demandes des requérants pour les raisons liées au respect du secret médical ne caractérise pas un manquement par la France à son obligation positive de garantir le droit de ces derniers au respect de leur vie privée.
Sources :