CEDH : CNews et les propos discriminatoires à une heure de grande écoute

Publié le 07/12/2023

CEDH : CNews et les propos discriminatoires à une heure de grande écoute

La société requérante, CNews, est titulaire d’une autorisation d’exploiter un service de télévision. Depuis le 14 octobre 2019, la société requérante diffusait en semaine une émission intitulée « face à l’info » dans laquelle E.Z. – journaliste et chroniqueur politique connu, ayant publié de nombreux ouvrages d’analyse politique avant d’entamer une carrière politique à partir de 2021 – fut chroniqueur jusqu’en septembre 2021.

Au cours de cette émission, alors qu’il débattait avec un député autour de thèmes liés à l’immigration, l’intégration des personnes d’origine étrangère, les banlieues et la place des musulmans en France, E.Z. tint des propos qui suscitèrent environ deux mille trois cents plaintes. Le CSA mit la société requérante en demeure de se conformer à l’avenir au dernier alinéa de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, aux termes duquel « [le CSA] veille (…) à ce que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité (…) », ainsi qu’aux articles 2-2-1 et 2-3-3 de la convention qu’elle avait conclue avec le CSA le 19 juillet 2005. La société requérante saisit le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État rejeta le recours de la société requérante.

Une ingérence dans l’exercice du droit garanti par l’article 10 § 1 de la Convention enfreint la Convention si elle ne remplit pas les exigences du second paragraphe de cette disposition. Il y a donc lieu de déterminer si la mise en demeure qui a été adressée à la société requérante était prévue par la loi, inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre.

Il n’y a pas de doute pour les parties que l’ingérence était légitime et qu’elle poursuivait le but légitime de protection de la réputation ou des droits d’autrui.

Concernant la question de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique, la Cour partage l’appréciation des autorités nationales qui ont considéré que, tenus en conclusion de déclarations relatives à l’immigration en France de personnes d’origine musulmane qui amalgamaient islam et islamisme, de tels propos, qui légitimaient aujourd’hui des violences commises dans le passé en Algérie à l’égard des populations musulmanes, même replacés dans le contexte d’un débat d’intérêt général sur les banlieues, l’intégration des personnes d’origine étrangère et la place de l’islam et des musulmans en France, revêtaient indubitablement une connotation haineuse et discriminatoire.

La Cour partage également l’appréciation des autorités nationales en ce qui concerne la vigilance particulière qui incombait à la société requérante face à de tels propos et à leur possible impact dans l’opinion, étant donné la notoriété de leur auteur, la circonstance qu’ils ont été tenus à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision librement accessible, et le fait que la journaliste qui animait l’émission n’a pas joué son rôle de modératrice de débat.

En troisième lieu, la Cour constate qu’il ressort de la du Conseil d’État que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le Conseil d’État a dûment examiné les moyens qu’elle a soulevés devant lui et précisé les motifs pour lesquels il les écartait. Il a en particulier répondu au moyen tiré d’une méconnaissance du droit à la liberté d’expression, jugeant explicitement qu’étant donné le caractère discriminatoire et incitatif à la haine des propos litigieux, la mise en demeure adressée à la société requérante de respecter à l’avenir ses obligations, qui prohibaient les propos incitant à la haine et discriminatoires, ne constituait pas une atteinte disproportionnée à ce droit.

Aux motifs de la décision du Conseil d’État s’ajoute l’analyse de la rapporteure publique, dont les conclusions ont pu, selon la formule retenue par la Cour dans l’affaire Marc-Antoine c. France (CEDH, 4 juin 2013, n° 54984/09), permettre aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier et la lecture qu’en a fait la juridiction.

Enfin et en quatrième lieu, la Cour rappelle que la société requérante n’a pas fait l’objet d’une sanction en raison de la diffusion des propos litigieux sur son antenne dont elle rappelle qu’elle n’a en rien été affectée par la décision litigieuse. La mise en demeure que lui a adressée le CSA est un rappel à l’ordre, qui a pour seule conséquence d’ouvrir la perspective du prononcé d’une sanction dans l’hypothèse où, à l’avenir, elle se rendrait responsable d’un autre manquement à l’obligation qui pèse sur elle, en tant qu’éditrice d’un service de télévision, de s’assurer que les programmes qu’elle diffuse ne contiennent pas d’incitation ou d’encouragement à la haine ou à la violence pour des raisons notamment de religion ou de nationalité. L’ingérence litigieuse revêtait dès lors un caractère mesuré.

De l’ensemble de ces considérations, la Cour conclut que cette ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi.

Sources :
Rédaction
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