CEDH : co-parent et droit de visite : motivation insuffisante sur les intérêts en présence
La requérante a eu recours avec sa compagne, mère biologique, à une insémination avec tiers donneur pratiquée en Espagne.
Les deux femmes se sont mariées puis ont divorcé et le juge aux affaires familiales accorda à la requérante un droit de visite et d’hébergement assorti de l’exécution provisoire. Sur appel de la mère biologique, le jugement fut annulé et le pourvoi de la requérante rejeté.
La Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre d’éventuelles ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Elle constate ensuite que l’atteinte alléguée à ce texte est la conséquence de la séparation de la requérante et de sa compagne. Elle ne résulte pas directement d’une décision ou d’un acte d’une autorité publique. En effet, le juge interne n’a pas supprimé un droit de visite et d’hébergement dont la requérante pouvait se prévaloir à l’égard de l’enfant. Il n’est intervenu que a posteriori, pour rejeter la demande qu’elle avait formulée sur le fondement du second alinéa de l’article 371-4 du Code civil, qui donne au juge aux affaires familiales la possibilité de fixer les modalités des relations entre un enfant et d’autres personnes que ses ascendants si tel est l’intérêt de l’enfant.
Il convient donc d’examiner la présente affaire sous l’angle de l’obligation positive des États parties à la Convention de garantir aux personnes relevant de leur juridiction le respect effectif de leur vie privée et familiale plutôt que sous l’angle de leur obligation de ne pas s’ingérer dans l’exercice de ce droit.
Dès lors, il n’y a pas lieu pour la Cour de rechercher si le refus du juge français d’accorder un droit de visite et d’hébergement à la requérante était prévu par la loi et poursuivait un but légitime, même si la requérante fait valoir que ces conditions ne sont pas remplies. La Cour rappelle que, dans le contexte des obligations positives, elle a pour tâche de vérifier si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence.
Or, en l’espèce, étaient en jeu, non seulement le droit au respect de la vie familiale de la requérante mais aussi le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et les droits de l’enfant au regard de l’article 8 de la Convention ainsi que les droits de la mère biologique au regard de cette disposition.
La Cour rappelle aussi qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
La Cour observe que le rejet de la demande de la requérante tendant à la fixation d’un droit de visite et d’hébergement à l’égard de l’enfant a des conséquences radicales sur son droit au respect de sa vie privée et familiale puisqu’il met fin à sa relation avec l’enfant, avec lequel la mère biologique et elle ont vécu en famille pendant plus de deux ans, de sa naissance et jusqu’à ce que cette dernière décide de quitter le domicile familial avec lui. La Cour n’exclut pas que l’équilibre requis puisse être ménagé dans un tel cas de figure, en particulier lorsqu’il y a des raisons impérieuses tenant à la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Toutefois, dès lors que la protection du droit de la requérante au respect de la vie privée et familiale était également en jeu, les juridictions internes étaient tenues de mettre en balance les intérêts éventuellement concurrents et, notamment, de montrer par leur raisonnement que les préoccupations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant étaient d’une telle importance par rapport à l’intérêt de la requérante à au moins maintenir un contact avec lui, qu’il était justifié, au titre de l’article 8, de rejeter intégralement la demande qu’elle avait formulée sur le fondement de l’article 371-4 du Code civil. Or, ni la cour d’appel de Bordeaux ni la Cour de cassation n’ont expressément reconnu que l’affaire dont elles étaient saisies soulevait également la question de la protection du droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante au titre de l’article 8, dans le cadre de l’examen de la demande qu’elle avait formulée sur le fondement l’article 371-4 du code civil. Ainsi, il ne ressort pas suffisamment du raisonnement des juridictions internes selon quelles modalités elles ont procédé pour rechercher si un juste équilibre avait été maintenu entre des intérêts potentiellement contraires, comme l’exige la jurisprudence de la Cour.
La décision de la cour d’appel de Bordeaux repose pour beaucoup sur la considération que la relation entre la requérante et l’enfant ne relevait pas pleinement de la vie familiale. La cour d’appel a en effet retenu en conclusion de son arrêt qu’outre que la requérante ne démontrait pas pouvoir accueillir l’enfant sereinement, elle n’avait voulu l’enfant qu’associée au vœu de sa compagne, n’avait contribué à l’élever que jusqu’à ses deux ans, et n’avait pas tenu à établir des liens de droit durables, faute d’avoir poursuivi son projet d’adoption. La Cour estime au contraire qu’il existait entre la requérante et l’enfant des liens personnels effectifs tenant du lien parent‑enfant, et bénéficiant de la protection de l’article 8 de la Convention.
La Cour a, en tout état de cause, du mal à voir en quoi les motifs retenus par la cour d’appel mentionnés ci-dessus et la circonstance que le projet parental de la mère biologique a précédé sa vie en couple avec la requérante, étaient décisifs pour l’examen de la demande de la requérante, qui ne visait ni à établir un lien de filiation entre l’enfant ni à obtenir le partage de l’autorité parentale. La requérante demandait seulement la possibilité de continuer à voir, de temps en temps, un enfant à l’égard duquel elle a agi en se considérant comme un co-parent pendant plus de deux ans depuis sa naissance.
La Cour relève que les juridictions internes se sont séparées sur l’issue à réserver à la demande de la requérante.
En outre, il est difficile pour la Cour de déceler dans le raisonnement de la cour d’appel, alors même qu’elle n’a pas estimé nécessaire de procéder à une évaluation psychologique de l’enfant, la raison pour laquelle elle s’est séparée de l’appréciation du TGI de Bordeaux et du ministre public. La cour d’appel de Bordeaux a certes relevé que l’enfant avait des difficultés, constatant que le psychologue qui la suivait avait noté un changement entraînant un malaise patent … une détresse psychique … en lien avec les perturbations récentes … dans son environnement. Elle a cependant admis que, si la relation fusionnelle dont la requérante faisait état n’allait pas dans l’intérêt de l’enfant, il ne pouvait être considéré que l’attitude de la requérante était seule à l’origine des difficultés de l’enfant, notant à cet égard qu’elle était confrontée à la séparation du premier couple qu’elle avait connu, aux plaintes de sa mère sur la requérante et aux litiges induits. La requérante fait à juste titre valoir à cet égard que la cour d’appel n’a pas démontré que le fait que l’enfant avait des difficultés était la conséquence de ses rencontres avec elle.
Ainsi, les motifs de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, compte-tenu de l’étendue limitée du contrôle effectué dans le cadre du pourvoi en cassation, ne démontrent pas qu’un juste équilibre ait été ménagé entre l’intérêt de la requérante à la préservation de sa vie privée et familiale, d’une part, et, d’autre part, l’intérêt supérieur de l’enfant.
Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.
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