CEDH : collecte et conservation des données concernant l’orientation sexuelle par l’EFS

Publié le 12/09/2022

À partir de 2009, les contre-indications au don de sang furent définies par le ministre chargé de la Santé par voie d’arrêtés.

Le 26 mai 2016, le requérant, qui s’était déjà auparavant vu refuser son don de sang et avait déposé plainte contre le référencement par l’EFS de ses pratiques homosexuelles supposées, tenta une nouvelle fois de donner son sang, en vain.

Il contesta ensuite à deux reprises la nomenclature des contre-indications au don en tant qu’elle excluait les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme. Le Conseil d’État estima, au vu des données statistiques et épidémiologiques discutées devant lui et en l’état des connaissances scientifiques, que le ministre de la Santé n’avait pas adopté une mesure discriminatoire illégale en prévoyant une contre-indication au don de sang total de douze mois pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme.

Le requérant se plaint de la collecte et de la conservation par l’EFS de données personnelles reflétant son orientation sexuelle supposée. Il dénonce une atteinte à son droit au respect de la vie privée.

La Cour rappelle que l’article 8 a d’abord pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, l’EFS étant un établissement public de l’État, la Cour examinera ce grief sous l’angle des obligations négatives.

En l’espèce, la Cour considère, avec les parties, qu’il y a eu ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant.

La Cour relève que l’article 8, II, 6° de la loi du 6 janvier 1978, dans sa version applicable au litige, faisait exception, en matière médicale, à l’interdiction de collecter et de traiter des données relatives à la santé ou à la vie sexuelle des personnes édictée à son paragraphe I. Ces dispositions autorisaient en particulier la mise en œuvre de traitements comportant de telles données en cas de nécessité pour la « gestion de services de santé », en conférant aux autorités internes un pouvoir d’appréciation s’agissant de la création de tels fichiers. Reste à déterminer si cette base légale était suffisamment prévisible et accessible, du point de vue d’un donneur de sang, et si elle fournissait une protection adéquate contre l’arbitraire.

De l’avis de la Cour, la prévisibilité de cette base légale doit être appréciée dans son contexte juridique. Or, la Cour relève qu’à la date des faits litigieux, l’article 18 de la directive 2002/98/CE imposait l’enregistrement des résultats des procédures d’évaluation et d’examen des donneurs. L’arrêté du 10 septembre 2003 prévoyait en outre la tenue d’un dossier informatisé du donneur comprenant les éventuelles contre-indications au don temporaires ou définitives, indiquées de façon codée le concernant. La Cour en conclut que ce cadre légal, pris dans son ensemble, définissait avec suffisamment de précision l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré aux autorités internes et permettait ainsi au requérant de régler sa conduite, c’est-à-dire de poursuivre ou de renoncer à sa démarche de don de sang en connaissance de cause. Elle estime donc que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi.

De l’avis de la Cour, l’ingérence litigieuse poursuivait au moins un des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2, à savoir la protection de la santé. À cet égard, la Cour ne perd pas de vue qu’un grand nombre de personnes ont été contaminées par le VIH ou par des virus hépatiques par voie de transfusion de produits sanguins insuffisamment sécurisés, en France comme dans de nombreux États contractants, avant que des techniques de détection, d’inactivation et d’élimination des agents pathogènes soient développées et généralisées.

Sur la nécessité de l’ingérence, la Cour doit d’abord examiner si l’ingérence litigieuse était fondée sur des motifs pertinents et suffisants.

La Cour considère que la collecte et la conservation de données personnelles relatives aux résultats des procédures de sélection des candidats au don du sang, et en particulier aux motifs d’exclusion du don éventuellement retenus, contribuent à garantir la sécurité transfusionnelle. Sans qu’il soit besoin de rechercher si d’autres critères de sélection des donneurs étaient envisageables, la Cour considère que la collecte et la conservation des données litigieuses reposaient sur des motifs pertinents et suffisants.

Afin d’apprécier si l’ingérence litigieuse était proportionnée et ménageait un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en concurrence, la Cour doit ensuite rechercher si la législation interne prévoyait des garanties appropriées.

Eu égard à la sensibilité des données personnelles litigieuses, qui comportent des indications sur les pratiques et l’orientation sexuelles du requérant, la Cour considère qu’il est particulièrement important qu’elles soient exactes et, le cas échéant, mises à jour, qu’elles soient adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités du traitement, et que leur durée de conservation n’excède pas celle qui est nécessaire. Par ailleurs, la Cour constate que les données litigieuses, qui touchaient à l’intimité du requérant, ont été collectées et conservées sans le consentement explicite du requérant.

En premier lieu, s’agissant de l’exactitude des données personnelles, la Cour estime que celle-ci doit être appréciée au regard de la finalité pour laquelle ces données ont été collectées. Dans le traitement litigieux, cette catégorie de données avait pour finalité d’assurer le respect d’une contre-indication au don spécifique, que le droit interne prévoyait alors de façon permanente. À cette fin, elle devait reposer sur une base factuelle précise et exacte. Or, le requérant s’est vu appliquer une contre-indication propre aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme au seul motif qu’il avait refusé de répondre à des questions relatives à sa sexualité lors de l’entretien médical préalable au don. Aucun des éléments soumis à l’appréciation du médecin ne lui permettait de tirer une telle conclusion sur ses pratiques sexuelles. C’est pourtant ce motif d’exclusion du don qui fut renseigné et conservé. La Cour en déduit que les données collectées se fondaient sur de simples spéculations et ne reposaient sur aucune base factuelle avérée. Or, la Cour rappelle que c’est aux autorités qu’il incombe de démontrer l’exactitude des données collectées. Elle relève de surcroît qu’elles n’ont pas été mises à jour à la suite des protestations et de la plainte du requérant.

La Cour tient à souligner par ailleurs qu’il est inadéquat de collecter une donnée personnelle relative aux pratiques et à l’orientation sexuelles sur le seul fondement de spéculations ou de présomptions. Au surplus, il aurait suffi, aux yeux de la Cour, pour atteindre l’objectif de sécurité transfusionnelle recherché, de garder trace du refus du requérant de répondre aux questions relatives à sa sexualité, cet élément étant de nature à justifier, à lui seul, un refus de la candidature au don de sang. Or, près de douze ans après leur collecte, les données relatives au motif d’exclusion étaient encore conservées. À cet égard, la Cour tient à souligner que la durée de conservation des données doit être encadrée pour chacune des catégories de données concernées et qu’elle doit être révisée si les finalités pour lesquelles elles ont été collectées ont évolué. La Cour relève, au vu de la pratique constante de l’EFS, que la durée excessive de conservation des données litigieuses a rendu possible leur utilisation répétée à l’encontre du requérant, entraînant son exclusion automatique du don de sang.

Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour conclut que l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de la collecte et de la conservation des données personnelles litigieuses.

Sources :
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