CEDH : état d’urgence et prévention du terrorisme
Le 26 janvier 2015, le préfet du Val d’Oise ordonna à un ressortissant français de lui remettre l’ensemble des armes et munitions en sa possession, et lui interdit d’acquérir et de détenir des armes ou des munitions.
Dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, des attentats coordonnés, revendiqués par Daech, furent perpétrés à Saint-Denis et à Paris. L’état d’urgence fut déclaré le 14 novembre 2015.
Par deux arrêtés des 16 novembre et 18 décembre 2015, le ministre de l’Intérieur assigna le requérant à résidence sur le territoire de la commune, en l’obligeant à se présenter quatre fois par jour dans une brigade de gendarmerie et en l’astreignant à demeure entre 20 h et 6 h. Le tribunal administratif annula ces deux arrêtés pour excès de pouvoir et sur les appels du ministre de l’Intérieur, la cour administrative d’appel annula ces deux jugements. Le requérant s’étant pourvu en cassation, le Conseil d’État annula l’arrêt, au motif que le principe du contradictoire avait été méconnu. Puis, réglant l’affaire au fond, annula les deux jugements.
Le requérant conteste la prévisibilité de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Il fait valoir que ces dispositions ont eu un impact important sur sa liberté de circulation et qu’elles n’avaient, jusqu’alors, jamais été appliquées en matière de lutte contre le terrorisme. Il soutient que ces dispositions ne définissent pas de manière suffisamment détaillée « l’activité » ou les « comportements » pouvant donner lieu à l’application d’une mesure d’assignation à résidence, et fait valoir en substance qu’elles n’encadrent pas suffisamment le pouvoir d’appréciation conféré à l’autorité administrative.
Il estime en outre que les autorités internes ne se sont pas livrées à une appréciation acceptable et de bonne foi des faits de l’affaire, et soutient que la mesure ne repose pas sur des motifs pertinents et suffisants. Il fait valoir que la note blanche sur laquelle le ministre de l’Intérieur s’est fondé pour l’assigner à résidence ne portait pas sur des faits précis et circonstanciés. Il reproche en outre à la cour administrative d’appel de Versailles et au Conseil d’État de n’avoir pas tenu compte des éléments qu’il avait fournis pour contester son caractère probant. Il souligne par ailleurs qu’il n’a jamais été condamné pénalement et qu’il pratiquait le tir de façon licite, sa situation administrative au regard de la législation sur les armes étant connue par l’administration qui l’aurait délibérément dissimulé au juge administratif.
Concernant la prévisibilité de la loi, la Cour considère que l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015, répondait aux exigences de prévisibilité de la loi.
Sur la nécessité de la restriction litigieuse, pour assigner le requérant à résidence, le ministre de l’Intérieur s’est fondé sur la gravité de la menace terroriste et sur différentes informations portées à son attention par les services de renseignement, selon lesquelles le requérant aurait fait preuve de prosélytisme, aurait comparé les jihadistes à des résistants et aurait adopté un discours et un comportement inquiétants sur son stand de tir. Il résulte ainsi de la note blanche produite par le ministre de l’Intérieur dans le cadre des procédures internes que le requérant aurait réclamé à plusieurs reprises sur son stand de tir de pouvoir disposer d’une tête factice à la place de la cible afin de pouvoir lui « mettre une balle entre les deux yeux », qu’il aurait équipé son arme d’un silencieux et qu’il se serait targué de la porter régulièrement sur lui hors du stand. La Cour note par ailleurs que la cour administrative d’appel et le Conseil d’État ont considéré que la mesure était également justifiée par le fait que des armes et un grand nombre de munitions avaient été découvertes au domicile du requérant, alors que la détention d’armes lui avait été interdite plusieurs mois plus tôt.
En deuxième lieu, la Cour relève que les deux arrêtés pris à l’encontre du requérant ont fait l’objet d’un contrôle juridictionnel à l’occasion duquel celui-ci a été effectivement en mesure de faire valoir ses arguments. Elle note que le Conseil d’État a remédié à l’atteinte portée au caractère contradictoire de la procédure invoqué par le requérant, en annulant l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles.
S’agissant ensuite des éléments pris en compte par le ministre de l’Intérieur, la Cour relève que ceux-ci ont été portés à la connaissance du requérant au moyen d’une note blanche versée au débat contradictoire qui n’a jamais invité les juridictions internes à faire usage de leurs pouvoirs d’instruction afin d’obtenir des clarifications à leur sujet. Elle constate ensuite qu’il a été en mesure d’en contester la valeur probante, et qu’il a produit à cette fin de multiples attestations selon lesquelles il ne s’était jamais fait remarquer pour des prises de positions radicales et qu’il s’était investi dans une association de quartier par le passé. La Cour relève que les juridictions internes ont examiné la valeur probante des faits relatés dans cette note blanche, en recherchant s’ils étaient suffisamment précis et circonstanciés et s’ils étaient sérieusement contestés. Dans ces conditions, la Cour considère que la production de la note blanche a été accompagnée de garanties procédurales suffisantes et que la conclusion à laquelle sont parvenues les juridictions internes ne saurait passer ni pour arbitraire ni pour manifestement déraisonnable.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et, compte tenu du besoin impérieux que constitue la prévention d’actes terroristes, du comportement du requérant, et des garanties procédurales dont il a effectivement bénéficié, la Cour conclut que son assignation à résidence n’était pas disproportionnée au but poursuivi.
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