CEDH : extradition et traitements inhumains

Publié le 08/09/2023

CEDH : extradition et traitements inhumains

Le requérant, M. Paul François Compaoré, est un ressortissant burkinabé, frère de M. Blaise Compaoré, ancien président de la République du Burkina Faso dont il fut l’un des proches conseillers jusqu’à sa démission forcée, en raison d’un soulèvement populaire en 2014.

Antérieurement à ces événements, il avait fait l’objet d’investigations dans le cadre d’une enquête portant sur l’assassinat par armes à feu et l’incendie du véhicule où ils se trouvaient, d’un journaliste d’investigation et du directeur de l’hebdomadaire « L’indépendant », Norbert Zongo, du frère de celui-ci et de deux autres collaborateurs.

Le 7 avril 2015, le magistrat instructeur rendit une ordonnance de réouverture de la procédure d’instruction et délivra un mandat d’arrêt international à l’encontre du requérant, en vertu duquel une demande d’arrestation provisoire des autorités burkinabè fut diffusée via Interpol. Le lendemain de l’interpellation du requérant à l’aéroport de Roissy, une demande d’extradition du requérant fut transmise aux autorités françaises, au visa de l’Accord de coopération en matière de justice du 24 avril 1961 signé entre la France et le Burkina Faso. Cette demande d’extradition fut complétée par un courrier par lequel le ministre de la Justice du Burkina Faso s’engageait à ne pas requérir la peine de mort à l’encontre du requérant et, si elle était prononcée par le juge du siège indépendant, de ne pas la ramener à exécution.

Le requérant soutient que son extradition vers le Burkina Faso l’exposerait à un risque réel de subir la torture ou des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

L’article 3 de la Convention, qui prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions, et d’après l’article 15, il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation.

La Cour n’a pas de raison de remettre en cause les observations du Gouvernement lorsqu’il fait état de relations diplomatiques de longue date avec le Burkina Faso, qui est l’un des critères importants de fiabilité des assurances données, et ce quels que soient les changements politiques successifs depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1960 mais note que les relations diplomatiques entre les deux pays se sont indéniablement détériorées ces derniers mois, en particulier depuis un coup d’État en 2022.

La Cour constate qu’il n’existe plus les éléments de stabilité permettant de s’assurer, au jour où la Cour statue, de la fiabilité des assurances fournies par le Burkina Faso par le passé et sur lesquelles les autorités internes se sont exclusivement fondées pour motiver leurs décisions accordant l’extradition du requérant.

La Cour rappelle ensuite qu’elle doit être mise en mesure de contrôler qu’il a été procédé en temps utile à l’analyse des risques, laquelle implique un examen, au besoin d’office, et qu’alors même qu’il s’était engagé à le faire avant toute mise à exécution du décret d’extradition, le gouvernement français s’est abstenu, à ce jour, de procéder d’office au réexamen de la situation dans le pays d’accueil et des risques pour le requérant de subir des traitements contraires à l’article 3 au regard des bouleversements politiques majeurs précédemment décrits. Des incertitudes en découlent en ce qui concerne l’application des dispositions du Code pénal relatives à l’aménagement des peines d’emprisonnement à vie et des conditions de détention applicables au requérant. Or, ces incertitudes n’ont pas été dissipées au jour où la Cour statue, faute d’actualisation des garanties diplomatiques précédemment obtenues.

De l’avis de la Cour, si elle est compétente pour indiquer le cas échéant à l’État défendeur de ne pas extrader un requérant pendant la durée de la procédure devant elle en application de l’article 39 de son règlement, cet État garde intact son pouvoir d’appréciation du bien-fondé de la mesure d’extradition qu’il a accordée et ce tant que celle-ci n’est pas exécutée. En outre, le fait que le requérant n’ait pas présenté de demande d’abrogation du décret litigieux en invoquant de nouvelles circonstances postérieures à son édiction n’exonère pas l’État défendeur d’un tel réexamen du grief tiré de l’article 3 de la Convention.

La Cour constate en conséquence qu’au moment où elle statue, l’absence de prise en compte par les autorités internes du nouveau contexte politique et constitutionnel dans le pays d’accueil ne lui permet pas de considérer que le risque allégué par le requérant de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention a été écarté en l’état actuel de la procédure d’extradition. Il en est ainsi tant au regard du risque pour le requérant de ne pas être détenu dans le quartier réservé aux personnalités que de celui d’être condamné à une peine d’emprisonnement à vie incompressible au Burkina Faso.

Enfin, s’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle sa notoriété l’exposerait à titre personnel à un risque plus grand en cas de renvoi au Burkina Faso, la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à l’étayer.

En tout état de cause, et sans que la Cour ait à se pencher sur les craintes invoquées par le requérant à cet égard, dont il revient en premier lieu aux autorités internes françaises d’examiner la réalité, les considérations qui précèdent sont suffisantes pour lui permettre de conclure qu’il y aurait une violation de l’article 3 de la Convention en son volet procédural en cas de mise à exécution du décret d’extradition susmentionné, sans que l’État défendeur n’ait préalablement, eu égard aux changements politiques majeurs touchant au maintien de l’ordre constitutionnel dans l’État d’accueil, procédé à un réexamen de la validité et de la fiabilité des assurances diplomatiques fournies par cet État, de nature à écarter le risque que le requérant soit soumis à une peine d’emprisonnement ou à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

Sources :
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