CEDH : formalisme excessif du pourvoi imposé au requérant et à son avocat
Le requérant, un ressortissant français avait formé un recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale auprès d’une cour d’appel. L’acte fut établi sur papier par son avocat et envoyé au greffe. Ses contradicteurs contestèrent sa recevabilité, en arguant qu’il aurait dû être remis par voie dématérialisée. Le conseiller de la mise en état jugea que le recours litigieux devait en principe être transmis par voie électronique mais que le requérant justifiait d’une cause étrangère empêchant une telle transmission et déclara son recours recevable. Cette ordonnance fit l’objet d’un déféré et la cour d’appel conclut également à la recevabilité du recours en annulation du requérant. Elle releva que ni l’arrêté du 30 mars 2011, pris pour l’application de l’article 930-1 du Code de procédure civile, ni la convention conclue le 10 janvier 2013 entre la cour d’appel de Douai et les dix barreaux de son ressort n’avaient prévu d’inclure le recours en annulation d’une sentence arbitrale dans le champ de la communication électronique obligatoire. La cour d’appel releva que le formulaire informatique mis en ligne ne permettait pas de saisir la nature de ce recours et la qualité des parties sous leurs dénominations juridiques exactes. Elle en déduisit qu’il n’y avait pas lieu de reprocher au requérant de n’avoir pas remis son recours par voie électronique. Toutefois, la Cour de cassation prononça la cassation sans renvoi de cet arrêt.
Le requérant soutient qu’en jugeant que son recours en annulation aurait dû être remis par voie électronique et en prononçant une cassation sans renvoi, alors qu’un tel recours ne pouvait être effectivement saisi sur la plateforme e-barreau, la Cour de cassation a porté une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal. Il considère que cette exigence procédurale a reçu une application déraisonnable dans les circonstances de l’espèce.
La Cour relève que l’article 1495 du code précité est une disposition propre aux recours ouverts contre une sentence arbitrale. Elle prévoit que ceux-ci doivent être formés conformément aux exigences de l’article 930-1 du même code, qui est une disposition commune à l’ensemble des procédures avec représentation obligatoire devant la cour d’appel. Or celle-ci impose explicitement une transmission des actes de procédure par voie électronique.
Il est vrai, ainsi que le fait valoir le requérant, que ni l’arrêté susmentionné ni la convention locale de procédure n’ont expressément prévu l’application de la communication électronique au recours en annulation contre une sentence arbitrale. La Cour relève cependant que l’article 930‑1 alinéa 5 ne renvoie à un arrêté d’application que pour la définition des modalités techniques des échanges électroniques. Elle souligne en outre qu’en tout état de cause, ni cet arrêté d’application ni la convention locale de procédure précitée ne pouvaient compétemment modifier le champ d’application de la communication électronique devant les cours d’appel tel qu’il est défini par les dispositions du code.
Dans ces conditions, la Cour ne voit pas de raison sérieuse de s’écarter de la conclusion à laquelle est parvenue la Cour de cassation. La circonstance qu’il s’agisse de la première application, par la Cour de cassation, de cette combinaison de textes n’entache la restriction litigieuse d’aucune imprévisibilité ni d’aucun arbitraire à l’égard du requérant, dont la Cour rappelle qu’il était représenté par un avocat.
Pour autant, la Cour constate que la remise par voie électronique de son recours en annulation sur e-barreau supposait que l’avocat du requérant complète un formulaire en utilisant des notions juridiques impropres. En effet, il n’existe d’appelant et d’intimé qu’en matière d’appel. Si le Gouvernement soutient qu’un message d’avertissement invitait les utilisateurs d’e-barreau à procéder ainsi, il ne l’établit pas, alors même que le constat d’huissier fourni par le requérant tend à démontrer le contraire.
Plus largement, le Gouvernement ne démontre pas que des informations précises relatives aux modalités d’introduction du recours litigieux se trouvaient à la disposition des utilisateurs. De plus, le requérant indique sans être démenti que la jurisprudence était alors inexistante, y compris devant les cours d’appel.
Au vu de ces éléments, la Cour considère que le conseil du requérant n’a pas agi avec une particulière imprudence en présentant son recours sur papier alors même que l’article 930-1 alinéa 2 du Code de procédure civile pouvait sembler l’autoriser à titre exceptionnel. Le conseiller de la mise en état a d’ailleurs suivi ce raisonnement en cours d’instance. En conséquence, il n’apparaît pas que le requérant puisse être tenu pour responsable de l’erreur procédurale en cause. Il serait donc excessif de la mettre à sa charge.
Concernant l’excès de formalisme, s’il ne lui appartient pas de remettre pas en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation, la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès. Or, elle considère, dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif. Le requérant s’est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et d’autre part le droit d’accès au juge.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.