CEDH : handicap non décelé par le diagnostic prénatal et application de la loi dans le temps
Les requérants sont deux parents et leur fils. Le handicap de ce dernier n’avait pas été décelé lors d’un diagnostic prénatal, et ses parents (et lui-même) ont demandé l’indemnisation des charges particulières résultant du handicap au juge administratif qui a rejeté leur demande.
Le 7 mars 2002, sont entrées en vigueur de nouvelles dispositions selon lesquelles nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer. Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
Le Conseil d’État considéra que, faute d’avoir engagé une instance avant cette date, les requérants n’étaient pas titulaires d’un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d’un bien au sens de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention. Statuant ensuite sur la responsabilité du centre hospitalier, le Conseil d’État exclut toute indemnisation des préjudices propres à l’enfant. En revanche, il retint l’existence d’un lien de causalité directe et certaine entre les préjudices des parents et la faute commise par le centre hospitalier dans la réalisation de l’échographie qui, les ayant empêchés de déceler l’affection grave et incurable de l’enfant à naître, les avait privés de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les conditions légales.
Selon la jurisprudence de la Cour, cet article du Protocole, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général.
En l’espèce, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que l’application au litige porté par les requérants des dispositions de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, qui ont exclu par principe l’indemnisation des frais liés à la prise en charge du handicap de leur fils, constitue une ingérence s’analysant en une privation de propriété. Il lui faut donc rechercher si l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
La Cour constate, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel (Cons. const., QPC, 11 févr. 2005, n° 2010-2), a abrogé l’ensemble du dispositif transitoire ayant prévu l’application rétroactive de ce texte.
La suppression de cette disposition de droit transitoire laisse immédiatement place à l’application des règles de droit commun relatives à l’application de la loi dans le temps.
Il s’ensuit que ce texte ne saurait être appliqué à des faits nés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, quelle que soit la date d’introduction de l’instance, en vertu des règles de droit commun relatives à l’application des lois dans le temps.
La Cour relève, en second lieu, la divergence entre l’interprétation retenue, de manière prétorienne, par le Conseil d’État de la volonté du législateur et de la portée de l’abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel et celle retenue par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-27473).
Dans ces conditions, elle n’est pas en mesure de considérer que la légalité de l’ingérence résultant de l’application, par la décision du Conseil d’État, de l’article L. 114-5 précité, pouvait trouver un fondement dans une jurisprudence constante et stabilisée des juridictions internes. La Cour en déduit que l’atteinte rétroactive portée aux biens des requérants ne saurait être regardée comme ayant été « prévue par la loi » au sens de l’article 1 du Protocole n° 1.
Partant, il y a eu violation de ce texte en ce qui concerne les parents.
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