CEDH : la supposée partialité d’un juge

Publié le 19/06/2023

CEDH : la supposée partialité d'un juge

Le requérant est un ressortissant suisse et guatémaltèque, ancien directeur général de la Police nationale civile du Guatemala (PNC), actuellement détenu en Suisse. La Communauté genevoise d’action syndicale ainsi que plusieurs ONG déposèrent une plainte pénale contre lui, lui reprochant d’avoir commis plusieurs infractions dans le cadre de son activité au sein de la PNC et notamment d’avoir été impliqué dans des exactions extrajudiciaires lors d’opérations de police au Guatemala.

En fin de procédure, le Tribunal fédéral jugea que la demande de récusation d’une juge présentée par le prévenu condamné pour assassinat, au motif que cette juge avait déjà refusé sa demande de mise en liberté, ayant été présentée tardivement, elle ne pouvait être réexaminée sous peine de remettre en cause l’autorité de chose jugée.

La Cour note que le requérant considère que la juge a manqué d’impartialité et qu’il s’appuie à cet égard sur les termes qu’elle a utilisés notamment dans son ordonnance précédente. Elle observe que le requérant disposait d’une voie de recours sous la forme d’une demande de récusation qu’il devait présenter « sans délai » dès la prise de connaissance par lui du motif de récusation. La Cour ne voit rien d’arbitraire dans la manière dont le Tribunal fédéral a établi les faits pertinents et appliqué l’article 58 du Code de procédure pénale dans les circonstances de la cause. Il ressort de l’interprétation du droit interne donnée par le Tribunal fédéral que le requérant n’a pas observé les règles applicables, dont le respect est l’une des conditions qu’il convient de remplir pour satisfaire à l’exigence d’épuisement des recours internes.

Dès lors, le grief fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention relativement à un défaut d’impartialité de la juge découlant des termes utilisés par elle dans l’ordonnance est irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes, et il doit être rejeté.

La Cour note que la seconde demande de récusation du requérant se fondait sur les termes utilisés par la juge et que, tout comme la première, elle a été rejetée par les juridictions internes.

Quand bien même la question d’un défaut d’impartialité de la juge  en raison de termes utilisés par elle dans ses observations aurait été tranchée par le Tribunal fédéral, la Cour ne saurait souscrire à l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait dû saisir la Cour dans les six mois. En effet, la question relative au bien-fondé des charges pénales dirigées contre le requérant a été définitivement tranchée le 14 novembre 2019, date à laquelle le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation de l’intéressé. Aux yeux de la Cour, exiger du requérant l’introduction de deux requêtes devant elle à des dates différentes pour tenir compte de cette spécificité du droit interne relèverait d’une interprétation par trop formaliste du délai de six mois.

En l’espèce, le requérant a saisi la Cour le 27 mai 2020, soit dans les six mois suivant la date de notification de l’arrêt du Tribunal fédéral. La Cour estime donc que le grief fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention et tiré d’un défaut d’impartialité de la juge découlant des termes utilisés par elle dans ses observations n’est pas tardif. Il est donc recevable.

La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugés ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, il convient de l’apprécier selon une démarche subjective tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire consistant à rechercher si celui-ci n’a pas fait montre de parti pris ou de préjugés personnels dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité.

En l’espèce, la Cour constate d’emblée que les éléments du dossier ne démontrent pas que la juge ait fait preuve d’hostilité ou de malveillance pour des raisons personnelles à l’égard du requérant. La Cour empruntera donc la démarche objective pour vérifier s’il y avait une raison légitime de redouter un défaut d’impartialité de sa part.

La Cour relève que la juge, en tant que présidente de la formation judiciaire de la chambre pénale d’appel et de révision (CPAR), a agi également en qualité de juge de la détention. Invitée à répondre à la demande de récusation dirigée à son encontre à la suite de l’annulation de l’ordonnance prorogeant la détention de sûreté du requérant, elle a réitéré, dans ses observations, les termes selon lesquels il existait, à l’encontre de l’intéressé, des « charges suffisantes » qui rendaient la perspective d’une condamnation « vraisemblable » et que des éléments du dossier pénal « continu[ai]ent de parler en faveur de la culpabilité ».

La Cour observe que, selon l’article 221 du Code de procédure pénale, la détention pour des motifs de sûreté peut être ordonnée à condition que le prévenu soit « fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit ». Le Tribunal fédéral a indiqué que les tribunaux suisses avaient interprété cette condition comme exigeant, en pratique, l’existence d’« indices sérieux de culpabilité » ou une perspective de « condamnation qui doit apparaître avec une certaine vraisemblance ». Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation d’une telle terminologie était donc « inhérente à l’application des dispositions sur la détention avant jugement », et « [p]ar l’emploi des termes litigieux, la juge incriminée s’est limitée à utiliser des expressions consacrées par la doctrine et la jurisprudence en matière de contrôle de la détention ».

Selon la Cour, quand bien même la juge en cause se serait bornée à employer, dans ses observations, des expressions standardisées, la Cour considère que celles-ci dépassaient l’énoncé d’un simple soupçon et qu’elles démontraient que l’écart entre l’appréciation portée sur l’opportunité du maintien en détention du requérant et l’établissement de sa culpabilité à l’issue du procès était devenu minime.

Dès lors, le requérant pouvait raisonnablement craindre que la juge eût une idée préconçue sur la question de sa culpabilité lorsqu’elle serait appelée à se prononcer, quelques mois plus tard, en tant que membre de la formation de jugement de la CPAR qui l’a condamné à quinze ans de privation de liberté. La Cour constate par ailleurs que la juge présidait cette formation.

Enfin, la Cour estime que le fait que la juge ait été appelée à se prononcer au sein d’une formation élargie de sept juges n’est pas déterminant au regard de la question de l’impartialité objective, dès lors que le secret des délibérations ne permettait pas au requérant de connaître l’influence réelle que la juge aurait pu avoir au cours de celles-ci.

Partant il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en tant qu’il garantit le droit à un tribunal impartial.

Sources :
Rédaction
Plan