CEDH : le référé-liberté constitue une voie de recours interne effective

Publié le 11/07/2023 à 5h58

CEDH-18mm-Adobe StockLes requérants, qui furent détenus à la prison de Fresnes, soutiennent tous avoir systématiquement subi des fouilles intégrales à l’issue de chaque visite reçue au parloir. De son côté et de manière générale, le Gouvernement fait valoir que trois notes de service adoptées entre décembre 2016 et septembre 2017 ont déterminé le régime des fouilles à la maison d’arrêt de Fresnes tel qu’il s’appliquait au cours de la détention des requérants.

Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. De leur côté, s’agissant des référés, les requérants font valoir que s’ils sont effectifs en théorie, ils ne l’auraient pas été en pratique. Ils en veulent pour preuve la pratique de l’administration pénitentiaire de la maison d’arrêt de Fresnes, et ses refus et résistances à se soumettre aux injonctions des juges ou des organes de contrôle ainsi qu’à une application scrupuleuse de la loi. Dans ces conditions, ils font valoir qu’il ne peut être sérieusement soutenu que les procédures de référé offraient une perspective réaliste de faire cesser la pratique des fouilles intégrales et, donc, qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes.

À titre liminaire, la Cour relève, en premier lieu, que lorsqu’ils ont saisi la Cour, les requérants se trouvaient détenus et soutenaient être soumis à un régime de fouilles les exposant à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et, partant, à une violation continue du droit garanti par cette disposition. Elle constate, en second lieu, que les requérants n’ont engagé aucune procédure devant les juridictions internes pour contester l’application de ce régime de fouilles et obtenir qu’il y soit mis un terme.

Pour déterminer si les exigences d’épuisement des voies de recours internes ont été ou non respectées, il revient à la Cour de vérifier si les recours ouverts devant le juge administratif et dont se prévaut le Gouvernement au titre de son exception d’irrecevabilité étaient adéquats, effectifs et de nature à obtenir qu’il soit mis fin aux pratiques dénoncées par les requérants. Dans les circonstances de l’espèce, il s’agit de déterminer s’il existait ou non un recours préventif effectif de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée.

En ce qui concerne les procédures de référé qui permettent au juge administratif de statuer dans l’urgence et, le cas échéant, de mettre un terme à une violation continue de l’article 3 de la Convention, le Gouvernement soutient que les requérants auraient dû exercer un référé-liberté. S’agissant du contrôle exercé par le juge des référés sur l’application d’un régime de fouilles corporelles intégrales, la Cour rappelle que, dans l’arrêt El Shennawy c/ France (CEDH, 20 janv. no 51246/08), elle a pris acte de l’existence de cette voie de recours, qui est dispensée de ministère d’avocat tant en première instance qu’en appel. Reste à examiner si elle était effective dans les circonstances de l’espèce.

En ce qui concerne les fouilles corporelles intégrales, la Cour relève qu’il ressort de la jurisprudence constante et bien établie du Conseil d’État que le juge des référés exerce un contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de l’application à une personne détenue d’un régime de fouilles, pour déterminer s’il porte atteinte ou non à sa dignité. Elle souligne par ailleurs que ce contrôle ne se limite pas aux mesures individuelles de fouille mais peut également porter sur une note de service de l’administration pénitentiaire instituant un régime de fouille ou sur une pratique administrative révélant une décision informelle d’appliquer un tel régime. La Cour relève également que le juge des référés peut, dans le cadre de ses pouvoirs, suspendre l’exécution de la mesure de fouille critiquée, enjoindre à l’administration d’aménager ou de modifier les conditions d’application d’un régime de fouille ou d’en réévaluer à intervalle régulier le bien-fondé. Elle en déduit qu’eu égard à son office, le juge du référé-liberté est doté de pouvoirs lui permettant de faire cesser, à bref délai, les violations continues dont il est saisi.

La Cour considère donc, contrairement aux affirmations des requérants, qu’en dépit des difficultés qu’ils invoquent à ce que soient modifiées les pratiques existantes au sein de la maison d’arrêt de Fresnes, la voie du référé-liberté avait une chance raisonnable de succès en ce qui les concerne.

Elle souligne certes qu’ils déplorent à bon droit l’absence de notification ou de traçabilité des fouilles pratiquées en détention mais elle rappelle que cette carence n’affecte pas, en pratique, l’exercice d’un recours en référé-liberté puisque que le juge peut être saisi d’une demande de suspension d’un régime de fouilles non formalisé par écrit et demander à l’administration pénitentiaire de produire tout élément de nature à révéler la pratique d’un tel régime. Rappelant que les procédures de référé-liberté ont effectivement permis de remédier à la violation de l’article 3 de la Convention en la matière, dans un certain nombre de cas, la Cour ne saurait, en l’absence de toute procédure engagée par les intéressés dans les présentes affaires, spéculer dans l’abstrait sur l’impossibilité d’obtenir l’exécution effective de mesures ordonnées par le juge des référés. Elle rappelle en outre qu’ils disposaient de procédures leur permettant, le cas échéant, de rechercher l’exécution des mesures prescrites par le juge des référés.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour conclut qu’eu égard à l’office du juge administratif, et en particulier à l’étendue de son contrôle et à la portée de ses pouvoirs, le référé-liberté doit être regardé, à l’époque des faits litigieux, comme constituant, en la matière, une voie de recours effective et disponible, en théorie comme en pratique.

Sources :
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