CEDH : limite de la liberté d’expression : l’affaire Z

Publié le 04/01/2023

Le requérant était invité dans l’émission télévisée « C à vous » diffusée en direct à 19 heures sur une chaîne de télévision dans le cadre de la promotion de son livre intitulé « Un quinquennat pour rien » comprenant une introduction intitulée « La France au défi de l’Islam » d’une quarantaine de pages. À cette occasion, il tint des propos qui lui valurent d’être cité par l’association Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient (CAPJPO) devant le tribunal correctionnel de Paris sur le fondement de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

La Cour rappelle d’emblée qu’elle a pour tâche de vérifier si les solutions retenues par les juridictions internes en vertu de leur pouvoir d’appréciation sont compatibles avec l’article 10 de la Convention.

La Cour relève également que les propos litigieux ont été tenus par le requérant alors qu’il était l’invité d’une émission de télévision à une heure de grande écoute en sa qualité de journaliste et polémiste. La Cour reconnaît, à l’instar du Gouvernement, qu’eu égard à la notoriété et à la personnalité du requérant, d’une part, et à la nature des questions abordées lors de l’interview qui portaient sur la place de l’islam dans la société française, notamment dans un contexte d’attentats terroristes, d’autre part, les propos litigieux, qui étaient susceptibles d’intéresser le public, d’éveiller son attention ou de le préoccuper sensiblement, s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général.

Pour autant, ces propos n’échappent pas aux limites posées au paragraphe 2 de l’article 10. Dès lors, il convient de déterminer si les juridictions internes ont dûment motivé leur appréciation selon laquelle les propos incriminés devaient être assimilés à un « discours de haine » et dans l’affirmative si la sanction imposée au requérant peut être qualifiée de proportionnée au but légitime poursuivi, en tenant compte des différents facteurs qui caractérisent un tel discours et qui ont été rappelés au paragraphe 52 ci-dessus. Il y a notamment lieu de prendre en considération le contexte ayant entouré les faits de l’espèce.

La Cour rappelle que le requérant a présenté les musulmans vivant en France comme des « colonisateurs » et des « envahisseurs » en lutte pour « islamiser » le territoire français et a affirmé que cette situation impliquait qu’ils fassent « un choix entre l’islam et la France ». Elle relève que, par des décisions concordantes, les juridictions françaises ont considéré que ces propos visaient la communauté musulmane dans son ensemble, et partant un groupe de personnes victimes d’une discrimination désignée par le critère de la religion. En présentant les personnes de confession musulmane comme une menace pour la sécurité publique et les valeurs républicaines et en postulant leur nécessaire solidarité avec les violences faites au nom de leur foi, le requérant nourrissait un sentiment de rejet généralisé à leur égard et ne se bornait pas à une critique de l’islam ou de la montée du fondamentalisme religieux dans les banlieues françaises.

Pour sa part, la Cour considère que ses propos, présentés comme le fruit d’une « analyse historique et théologique », contenaient en réalité des assertions négatives et discriminatoires de nature à attiser un clivage entre les Français et la communauté musulmane dans son ensemble.

Dans ces conditions, et à la lumière de l’article 17, la Cour considère que les propos du requérant ne relèvent pas d’une catégorie de discours bénéficiant d’une protection renforcée de l’article 10 de la Convention, et en déduit que les autorités françaises jouissaient d’une large marge d’appréciation pour y apporter une restriction.

La Cour relève qu’ils ont été exprimés lors d’une émission télévisée diffusée en direct à une heure de grande écoute et qu’ils étaient donc susceptibles de toucher un large public. Or le requérant était à l’époque lui-même journaliste et chroniqueur, connu pour ses sorties polémistes, et même s’il s’exprimait en qualité d’auteur sur le plateau de télévision, il n’échappait pas aux « devoirs et responsabilités » d’un journaliste. Il était donc parfaitement à même de mesurer la portée de ses propos, malgré les questions posées à brûle-pourpoint par les journalistes, et d’en apprécier les conséquences.

La Cour considère également que ces propos ne se limitaient pas à une critique de l’islam mais comportaient, compte tenu du contexte général dans lequel ils s’inscrivaient et des modalités de leur diffusion, une intention discriminatoire de nature à appeler les auditeurs au rejet et à l’exclusion de la communauté musulmane dans son ensemble et, ce faisant, à nuire à la cohésion sociale.

Au vu des éléments qui précèdent, la Cour considère que les motifs retenus par les juridictions internes pour entrer en voie de condamnation, alors même qu’elles ne se sont pas expressément fondées sur l’article 10 de la Convention, étaient suffisants et pertinents pour justifier l’ingérence litigieuse.

Enfin, en ce qui concerne les peines infligées, elle relève que la sanction maximale encourue pour le délit prévu à l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881 est une peine d’emprisonnement d’une année et une amende de 45 000 euros. Compte tenu de la marge d’appréciation de l’État en l’espèce et de la condamnation du requérant au paiement d’une amende d’un montant de 3000 euros qui n’est pas excessif, la Cour est convaincue que l’ingérence litigieuse était proportionnée au but poursuivi.

En conclusion, la Cour considère que l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression était nécessaire dans une société démocratique afin de protéger les droits d’autrui qui étaient en jeu en l’espèce.

Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Sources :
Rédaction
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