CEDH : l’insémination post-mortem avec transfert d’embryons à l’étranger

Publié le 15/09/2023

 

CEDH : l'insémination post-mortem avec transfert d'embryons à l'étranger

Les requérantes sont des ressortissantes françaises qui demandaient l’exportation en Espagne, pays qui autorise la fécondation post mortem, pour l’une des gamètes congelées par son époux avant son traitement de chimiothérapie, pour l’autre des embryons du couple qu’elle formait avec son époux décédé.

Leurs requêtes avaient été rejetées, l’insémination post mortem faisant l’objet d’une interdiction absolue en France.

Invoquant l’article 8, les requérantes se plaignent que les refus qui leur ont été opposés et qui se fondent sur l’interdiction de la procréation posthume posé par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique et l’interdiction d’exporter des gamètes ou des embryons à des fins prohibés par la loi française prévue par l’article L. 2141-11-1 du même code emportent violation de leurs droits.

La Cour considère que les refus litigieux qui se fondent sur les interdictions posées par le Code de la santé publique et qui ont eu pour effet de faire obstacle à la réalisation d’une insémination et d’un transfert d’embryon post mortem dans un pays qui les autorise ont entraîné des conséquences caractérisant l’existence d’une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée des requérantes.

La Cour rappelle qu’elle a maintes fois souligné que le niveau de précision de la législation interne – qui ne peut prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du contenu de la loi en question, du domaine qu’elle est censée couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui elle s’adresse. Un certain doute à propos de cas limites ne suffit donc pas à lui seul à rendre l’application d’une disposition légale imprévisible. Le contrôle concret effectué par le juge interne de la conventionnalité des conséquences engendrées par l’application de la loi pour décider que le refus litigieux est incompatible avec le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention à raison de son caractère disproportionné dans les circonstances de l’espèce, ne saurait avoir pour effet de rendre l’interprétation ou l’application de celle-ci par les juridictions internes imprévisible ou arbitraire.

En outre, à la date des demandes et des refus litigieux, la possibilité de recourir à l’AMP était subordonnée à la vérification du projet parental et du consentement de chacun des membres du couple et les ingérences litigieuses ont visé à garantir le respect de la dignité humaine et du libre arbitre et à atteindre un juste équilibre entre les intérêts des différentes parties prenantes à une AMP. La Cour relève que les interdictions litigieuses découlent de la conception de la famille, telle qu’elle prévalait à la date des faits litigieux, qui s’est notamment traduite par le refus du législateur d’autoriser le recours à l’AMP, alors conçu comme devant se borner à remédier à l’infertilité d’un couple, pour faire naître un enfant sans père, la conception posthume soulevant des questions éthiques mêlées à des considérations d’intérêt public pouvant se rattacher, entre autres, à la situation des enfants à naître.

Dans ces conditions la Cour admet que les ingérences litigieuses répondaient aux buts légitimes de la protection des droits et libertés d’autrui et de la protection de la morale.

Quant à la question de savoir si l’ingérence était légitime dans une société démocratique, d’une part, la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à la faire douter de la volonté libre et éclairée des requérantes de poursuivre les projets parentaux qu’elles avaient formés avec leurs conjoints décédés. Au vu de l’importance du droit à l’autodétermination personnelle, la Cour considère que les interdictions litigieuses soulèvent une question cruciale pour les requérantes et sérieuse au regard du droit au respect de leur vie privée.

Elle relève que la loi française interdit depuis 1994, de manière absolue, la procréation post mortem et l’exportation des gamètes ou embryons à l’étranger s’ils sont destinés à être utilisés à des fins qui sont prohibées sur le territoire national. Elle rappelle au demeurant que, tout en précisant que cela ne faisait pas obstacle à l’exercice d’un contrôle concret de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée des requérantes, le Conseil d’État a admis la compatibilité, dans son principe, de cette interdiction absolue avec l’article 8 de la Convention, une ample marge d’appréciation devant être accordée à l’État défendeur.

Il revient à la Cour de rechercher si les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu.

La Cour rappelle que l’interdiction vise la sauvegarde d’intérêts généraux relevant de considérations d’ordre moral ou éthique. Elle note que cette interdiction relève d’un choix politique et constate que le processus législatif a abouti au maintien du statu quo, compte tenu des enjeux éthiques spécifiques liés à la procréation post mortem. Elle rappelle que lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’une question de société.

La Cour relève ensuite qu’il résulte clairement des dispositions législatives applicables et de la jurisprudence du Conseil d’État que l’interdiction d’exportation des gamètes ou des embryons déposés et conservés en France est le corollaire de l’interdiction de l’insémination posthume sur le territoire national. De l’avis de la Cour, il n’y a rien d’incohérent avec l’objectif ainsi défini du législateur à admettre que l’interdiction d’exportation litigieuse est compatible par principe avec le droit au respect de la vie privée, sauf à vider de sa substance l’interdiction absolue de l’insémination post mortem.

D’une part, et jusqu’à l’intervention de la loi de 2021, le législateur s’est efforcé de concilier la volonté d’élargir l’accès à l’AMP, compte tenu des avancées médicales, scientifiques et technologiques, et le respect des préoccupations de la société quant aux questionnements éthiques délicats soulevés par la perspective de la conception posthume. D’autre part, et ainsi que l’a jugé le Conseil d’État, l’interdiction d’exportation des gamètes ou des embryons procède du souci de ménager un équilibre entre les intérêts concurrents à la lumière de l’objectif visé par le législateur de ne pas rendre possible une forme de « dumping » éthique.

En deuxième lieu, la Cour considère que les développements qui précèdent sont également pertinents en ce qui concerne l’interdiction du transfert d’embryon post mortem et que le législateur, en optant pour une interdiction du transfert d’embryons après la mort n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation.

Enfin, et en troisième lieu, la Cour souligne que le Conseil d’État a exercé son contrôle des circonstances des deux présentes affaires conformément à la méthodologie qu’il a arrêtée précédemment. Il a relevé qu’en présentant les demandes litigieuses, les requérantes avaient pour seule intention de contourner la loi française et ne faisaient état d’aucune circonstance particulière susceptible de permettre d’écarter l’application de celle-ci. Il a constaté qu’elles n’avaient pas de lien avec l’Espagne et que les seules circonstances du consentement de l’époux décédé ou de la présence d’un embryon ne suffisaient pas à établir une atteinte excessive à leur droit au respect de leur volonté. Pour sa part, et en l’absence de toute autre circonstance particulière invoquée par les requérantes devant elle, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de se départir des solutions retenues par le juge interne.

Au bénéfice de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, et que l’État défendeur n’a pas outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Sources :
Rédaction
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