CEDH : prévention du terrorisme : assignation à résidence

Publié le 26/01/2023

Dans le cadre de l’état d‘urgence, le requérant fut assigné à résidence, entre le 22 novembre 2015 et le 11 juin 2017, par cinq arrêtés successifs du ministre de l’Intérieur. Incarcéré pendant plusieurs mois, il fit ensuite l’objet d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et tous ses recours devant les juridictions administratives furent rejetés.

Le requérant soutient que son assignation à résidence, prise dans le cadre de l’état d’urgence, était contraire à l’article 2 du Protocole n° 4, aux termes duquel quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

À titre liminaire, la Cour estime important de souligner qu’il lui revient de tenir compte du contexte particulier dans lequel s’inscrit cette affaire, marqué par la vague d’attentats terroristes commis sur le territoire français à compter de 2015. À ce titre, la Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales de procéder à la conciliation, parfois délicate, entre la protection de la population et la garantie des droits, conformément au principe de subsidiarité. Pour autant, cette conciliation fait l’objet d’une supervision européenne dont la Cour a la charge. Dans ce cadre, la Cour accorde une attention particulière à la nature et à la portée concrète des garanties contre les abus et le risque d’arbitraire.

Le requérant se plaint, à titre principal, de l’imprécision des notions employées par le législateur.

La Cour rappelle que le niveau de précision de la législation interne qu’elle exige dépend dans une large mesure du contenu de la loi en question, du domaine qu’elle est censée couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui elle est adressée. En l’espèce, la Cour relève que les dispositions litigieuses ne peuvent être appliquées que dans le cadre de l’état d’urgence, et dans les zones où celui-ci reçoit application. Or, l’état d’urgence ne peut être déclaré que dans des situations exceptionnelles, qui sont strictement définies par la loi.

La Cour relève ensuite que l’édiction d’une mesure d’assignation à résidence est subordonnée à l’existence de raisons sérieuses de penser qu’un comportement donné constitue une menace. La loi requiert ainsi l’existence d’un risque caractérisé, une assignation à résidence ne pouvant être légalement prononcée sur la base de simples soupçons. La Cour note que ce seuil d’exigence est encore réhaussé lorsque la durée de la mesure excède douze mois, la menace requise devant alors avoir une particulière gravité.

La Cour note en outre que la préservation de la sécurité nationale et de la sûreté publique ainsi que le maintien de  l’ordre public  figurent expressément parmi les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence les droits garantis par l’article 2 précité.

À cet égard, il apparaît irréaliste d’exiger du législateur national qu’il dresse une liste exhaustive des comportements susceptibles de justifier la mise en œuvre de pouvoirs de police administrative. Selon une jurisprudence bien établie, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation et ne peut en aucun cas prévoir toutes les hypothèses, ce pourquoi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues, dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique.

Concernant l’existence de garanties contre le risque d’arbitraire, la Cour relève en premier lieu que la mise en œuvre de l’état d’urgence est strictement encadrée par le droit interne. S’il peut être déclaré par le pouvoir exécutif, sa durée initiale est limitée à douze jours et il ne peut être prorogé que par le législateur, pour une durée déterminée. Tout projet de loi en ce sens doit être soumis au Conseil d’État pour avis, conformément à l’article 39 de la Constitution. En outre, la loi prévoit que le Parlement est informé sans délai des mesures prises en application de l’état d’urgence, et lui confère des prérogatives d’enquête dont il a effectivement fait usage dans le cadre du contrôle de ce régime d’exception.

La Cour constate en deuxième lieu que le régime de la mesure d’assignation à résidence est nettement défini en droit interne. La durée de la mesure, ses modalités et le régime des obligations complémentaires dont elle peut être assortie sont précisément encadrés par la loi du 3 avril 1955, telle qu’interprétée par le Conseil d’État et par le Conseil constitutionnel. En particulier, le Conseil constitutionnel a jugé que l’assignation à résidence et l’ensemble de ses modalités doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé une telle mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence. Cette jurisprudence impose par ailleurs le renouvellement de la mesure d’assignation à résidence à chaque prorogation de l’état d’urgence. Compte tenu de la fréquence de ces prorogations entre 2015 et 2017, cette exigence a impliqué un réexamen périodique régulier des mesures d’assignation à résidence. En outre, le Conseil constitutionnel (Cons. const., 16 mars 2017, QPC n° 2017-624) a subordonné la prolongation de la mesure au-delà de douze mois à la production, par l’administration, d’éléments nouveaux et complémentaires.

La Cour observe en troisième lieu que les mesures d’assignations à résidence peuvent être contestées devant le juge des référés par la voie du référé-liberté, que la Cour a jugé effective et qui intervient à très bref délai, et le cas échéant en cours de mesure. Celle-ci peut ainsi faire l’objet d’un contrôle juridictionnel à double degré peu après sa mise à exécution. Parallèlement, ces mesures peuvent être contestées dans le cadre de recours pour excès de pouvoir. La Cour en conclut que les mesures d’assignations à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence sont soumises à un contrôle juridictionnel efficace, offrant des garanties procédurales à la hauteur de l’importance du droit en jeu. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour considère que les dispositions en cause, telles qu’interprétées par les juridictions internes, fixent avec une clarté suffisante l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation conféré au ministre de l’Intérieur et prévoient des garanties adaptées contre les risques d’abus et d’arbitraire. Elle en conclut que cette base légale était prévisible.

Par ailleurs, aux yeux de la Cour, les objectifs poursuivis par l’ingérence litigieuse, qui tendent à la préservation de la sécurité nationale et de la sûreté publique ainsi qu’au maintien de l’ordre public, étaient légitimes.

La Cour constate que l’ingérence portée à la liberté de circulation du requérant a été d’une particulière intensité, dans la mesure où elle comprenait à la fois une interdiction de quitter le territoire de la commune d’Angers, un couvre-feu nocturne, et une obligation de se présenter trois fois par jour auprès des forces de l’ordre, à peine d’emprisonnement. Elle relève en outre que le requérant a été assigné à résidence pendant une durée cumulée de plus de treize mois. Une telle restriction à la liberté de circulation ne saurait se fonder exclusivement sur les convictions ou sur la pratique religieuse d’un individu. Elle rappelle cependant que l’article 9 de la Convention ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction. En l’espèce, elle relève que le ministre de l’Intérieur s’est fondé sur un ensemble d’éléments permettant de caractériser un comportement de nature à susciter des raisons sérieuses de penser qu’il constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, dans une perspective de prévention du passage à l’acte terroriste, comme le Conseil d’État s’en est assuré. Elle souligne que cette mesure a été ordonnée quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015, à une date à laquelle la protection de la population et la prévention d’un nouvel acte terroriste constituaient, sans nul doute, un besoin impérieux.

Dans ces conditions, la Cour considère que la mesure litigieuse reposait sur des motifs pertinents et suffisants dans le contexte dans lequel s’inscrit la présente affaire, caractérisé par l’existence d’une menace pour la sécurité nationale, la sûreté publique et l’ordre public d’une gravité et d’une durée exceptionnelles.

Le requérant soutient enfin que les juridictions internes ont principalement statué sur la foi de notes blanches, qu’il considère difficiles à contester. Il dénonce leur influence prépondérante sur le juge et soutient avoir été privé de garanties procédurales minimales.

La Cour rappelle qu’elle a reconnu que l’utilisation d’informations confidentielles peut se révéler inévitable dans les affaires où la sécurité nationale est en jeu. Il lui revient en l’espèce de rechercher si la production des notes blanches a été accompagnée de garanties procédurales suffisantes.

À cet égard, la Cour relève que le droit interne exige que la note blanche soit soumise au débat contradictoire, que le juge administratif exerce un contrôle sur l’exactitude et la précision des informations qu’elle comporte, et peut à cette fin faire usage de ses pouvoirs d’instruction. En l’espèce, la Cour constate que le versement de notes blanches au débat contradictoire a permis au requérant d’avoir connaissance des éléments fondant son assignation à résidence et lui a donné la possibilité effective de demander des éclaircissements à cet égard mais que ces éléments n’ont, pour une large partie, pas été contestés par le requérant, dont la Cour note qu’il a été absent à plusieurs audiences et qu’il n’a jamais invité les juridictions internes à faire usage de leurs pouvoirs d’instruction. La Cour en déduit que le requérant a, dans les circonstances de l’espèce, bénéficié de garanties procédurales appropriées.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et, compte tenu du besoin impérieux que constitue la prévention d’actes terroristes, du comportement du requérant, des garanties procédurales dont il a effectivement bénéficié, et du réexamen périodique de la nécessité de la mesure d’assignation à résidence, la Cour conclut que celle-ci n’était pas disproportionnée. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole n° 4.

Sources :
Rédaction
Plan
X