CEDH : questions de parentalité et transsexualisme

Publié le 24/04/2023 à 6h09

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Un ressortissant allemand né de sexe féminin et ayant obtenu en justice de porter des prénoms masculins et reconnu comme appartenant au sexe masculin, aurait arrêté son traitement hormonal et serait redevenu fertile. Ainsi, il donna naissance à son fils à l’aide d’un don de sperme émanant d’un donneur qui aurait consenti à ne pas avoir le statut de père légal de l’enfant. À la naissance de son fils, il demanda au service de l’état civil à être inscrit comme père de l’enfant et non pas comme mère de ce dernier. Sa demande fut transmise par l’officier de l’état civil aux juridictions allemandes qui ordonnèrent qu’il soit inscrit comme mère de l’enfant conformément au droit allemand. Les recours contre cette décision n’ayant pas abouti, il fut inscrit en tant que mère de l’enfant avec les prénoms qu’il portait avant son changement de sexe.

Les requérants considèrent qu’il y a eu ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée. Ils expliquent que, si le premier requérant est suffisamment protégé en tant qu’individu transgenre par l’inscription de son changement de genre dans le registre de l’état civil le concernant et par l’interdiction de divulguer ces informations, il n’en va pas de même pour ce qui est de son statut de parent. Ils soutiennent que la reconnaissance du changement de genre est privée d’effet si les autorités publiques lui attribuent un genre erroné qui impose des explications chaque fois que les requérants doivent présenter l’acte de naissance du second requérant et qui les expose à un traitement discriminatoire ou dégradant, que le premier requérant s’efforce d’épargner à son enfant. Le premier requérant ajoute que la mention de ses anciens prénoms féminins dans le registre des naissances a aussi porté atteinte à son droit au nom.

Dans la mise en œuvre des obligations positives qui leur incombent au titre de l’article 8, les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation.

La Cour observe ensuite qu’il n’y a pas de consensus parmi les États européens sur la question de savoir comment indiquer, dans les registres de l’état civil concernant un enfant, que l’une des personnes ayant la qualité de parent est transgenre.

La Cour relève que les transcriptions dans les registres de l’état civil revêtent une fonction de preuve particulière dans le système juridique allemand.

Pour ce qui est des droits de l’enfant, la Cour rappelle d’une manière générale qu’un État peut, sans enfreindre l’article 8 de la Convention, adopter une législation régissant des aspects importants de la vie privée qui ne prévoit pas de mise en balance des intérêts concurrents dans chaque cas, mais qui édicte une règle à caractère absolu visant à promouvoir la sécurité juridique.

Pourtant, la Cour note que la Cour fédérale de justice a explicitement examiné la question de savoir si l’attribution aux parents d’un statut juridique sans lien avec les fonctions dans le cadre de la procréation biologique était de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant, et qu’elle a d’ailleurs souligné, en réponse aux griefs que les requérants avaient soulevés dans leur recours en audition, qu’elle n’avait pas relevé d’indications suffisantes quant à l’existence d’une violation des droits fondamentaux de l’enfant. Par ailleurs, si les conclusions que la Cour fédérale de justice a formulées à cet égard contiennent des considérations générales qui n’abordent pas explicitement les droits individuels invoqués par le second requérant, cela tient au fait que les juridictions nationales saisies par l’un des parents (ou les deux) et son (leur) enfant ne peuvent pas tenir compte uniquement des intérêts invoqués par le(s) parent(s), mais doivent donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant et aussi prendre en considération les possibles intérêts futurs de celui‑ci ainsi que les intérêts des enfants qui se trouvent dans une situation comparable et auxquels les dispositions législatives régissant l’affaire devant elles s’appliquent également.

La Cour note en l’espèce que la divergence entre les intérêts du premier requérant et ceux du second requérant est naturellement apparue peu après la naissance de l’enfant, lorsqu’il a fallu déterminer quelles informations consigner dans le registre des naissances, autrement dit à un moment où le bien‑être de l’enfant ne pouvait être examiné de manière individualisée en raison de son bas âge. Par ailleurs, pour la Cour fédérale de justice, les intérêts de l’enfant se confondaient dans une certaine mesure avec l’intérêt général attaché à la fiabilité et à la cohérence de l’état civil, ainsi qu’à la sécurité juridique.

Le droit de l’enfant de connaître ses origines, que la Cour fédérale de justice a mis en avant pour limiter le droit à l’identité de genre du premier requérant, est également protégé par la Convention et englobe notamment le droit d’établir les détails de sa filiation. En ce qui concerne le droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents, la Cour observe que la Cour fédérale de justice a identifié derrière ce droit notamment l’intérêt de l’enfant à pouvoir établir et faire enregistrer, le cas échéant, la paternité de son père biologique. En effet, en cas d’inscription du premier requérant comme père dans le registre des naissances, le père biologique du second requérant ne pourrait être inscrit comme père qu’à condition que l’enfant conteste au préalable la paternité du premier requérant, option que la Cour fédérale de justice a jugée inacceptable pour l’enfant.

La Cour relève enfin que la Cour fédérale de justice a souligné que le rattachement juridique de l’enfant à ses parents suivant leurs fonctions procréatrices permettait à l’enfant d’être rattaché de manière stable et immuable à une mère et à un père qui ne changeraient pas, même dans l’hypothèse que la haute juridiction a considérée comme n’étant pas seulement théorique, où le parent transgenre demanderait l’annulation de la décision de changement de genre.

En ce qui concerne l’indication des anciens prénoms du requérant dans le registre des naissances, la Cour observe que, d’après la Cour fédérale de justice, elle correspondait au but visé par la seule possibilité prévue par la loi, à savoir l’inscription du premier requérant en tant que mère de l’enfant et servait par ailleurs à éviter à celui-ci d’avoir à révéler que son parent était transgenre.

La Cour note d’abord que, pour la Cour fédérale de justice, la solution proposée par le tribunal d’instance de Münster s’opposait à l’objectif de garder secret le caractère transgenre d’un parent afin de ne pas obliger l’enfant à présenter un acte de naissance qui permettait la conclusion que le parent était transgenre.

La Cour relève ensuite que, si la présentation, par le premier requérant (le parent), d’un acte de naissance du second requérant (l’enfant) est susceptible de révéler l’identité transgenre du premier requérant, la Cour fédérale de justice a indiqué qu’il était possible d’obtenir un acte de naissance dépourvu de toute mention des parents. De plus, d’autres documents que l’acte de naissance complet ne contenant pas d’indications du changement de genre du premier requérant peuvent être utilisés, par exemple pour un employeur, afin de prévenir tout risque de divulgation de cette information.

La Cour observe que les précautions susmentionnées sont de nature à réduire les désagréments auxquels le premier requérant, notamment, pourrait être exposé en se trouvant contraint de prouver sa qualité de parent vis‑à‑vis de son fils. Elle note par ailleurs que les requérants se sont limités à soutenir qu’ils doivent fréquemment présenter un acte de naissance complet du second requérant pour faire un certain nombre de démarches administratives, sans toutefois préciser si une version abrégée de l’acte de naissance ou un autre document pouvaient suffire aux administrations et établissements concernés, dont certains en règle générale ont déjà connaissance du caractère transgenre d’une personne et sont tenus de garder cette information confidentielle.

La Cour relève enfin, à l’instar de la Cour fédérale de justice, que dans la situation particulière où se trouve le premier requérant en tant que père célibataire, la mention de celui‑ci comme père du second requérant dans le registre des naissances concernant ce dernier ne semble pas pouvoir avoir l’effet escompté, car l’absence de mention d’une mère dans l’acte de naissance est également de nature à soulever des questions sur le statut du premier requérant. De la même façon, le remplacement, proposé par les requérants, des termes « mère » et « père » par « parent 1 » et « parent 2 » ne protégerait pas davantage les requérants contre une divulgation, dans la mesure où le « parent 1 » resterait associé à la personne qui a donné naissance à l’enfant.

Dès lors, eu égard, d’une part, au fait que le lien de filiation entre les requérants n’a pas été mis en cause en soi et au nombre limité de situations pouvant mener, lors de la présentation d’un acte de naissance du second requérant, à la révélation de l’identité transgenre du premier requérant et, d’autre part, à la marge d’appréciation étendue dont dispose l’État défendeur, la Cour estime que les juridictions allemandes ont ménagé un juste équilibre entre les droits du premier requérant, les intérêts du second requérant, les considérations relatives au bien‑être de l’enfant et les intérêts publics.

Sources :
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