CEDH : Reconduite vers le Maroc après un refus de demande d’asile : pas de preuve d’un risque réel

Publié le 28/07/2021

Le requérant est un ressortissant marocain d’origine sahraouie, qui affirme avoir milité activement pour la cause sahraouie et être en danger si on le reconduisait au Maroc.

De manière générale, la Cour rappelle que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non‑nationaux. Cependant, l’éloignement forcé d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on le renvoie vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3.

De plus, lorsque les faits litigieux ont donné lieu à une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle des cours et tribunaux internes, les autorités internes étant les mieux placées pour apprécier les faits et, plus particulièrement, la crédibilité de témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la personne concernée.

Concernant la situation générale au Maroc, la Cour relève qu’il ressort des différents rapports internationaux que cet État poursuit les efforts entrepris pour prévenir les risques de torture et de traitements inhumains et dégradants et s’efforce de se conformer aux normes internationales en matière de droits de l’homme. La Cour ne voit donc pas de raison de remettre en cause la conclusion selon laquelle la situation au jour de l’éloignement du requérant vers le Maroc n’est pas telle que tout renvoi vers ce pays d’un ressortissant marocain aurait été constitutif une violation de l’article 3 de la Convention.

Toutefois il s’agit de la première affaire de renvoi vers le Maroc dans laquelle elle est amenée à juger du bien‑fondé d’un grief tiré de l’article 3 de la Convention soulevé par un requérant qui allègue que les risques auxquels il aurait été exposé résultent de son origine sahraouie et de son militantisme en faveur de cette cause. À cet égard, la Cour note qu’il ressort des rapports précités que peuvent être regardées comme particulièrement à risque certaines catégories de la population marocaine. La Cour considère que tel est le cas des ressortissants marocains engagés en faveur de l’indépendance du Sahara occidental et les militants pour la cause sahraouie mais la Cour considère que la protection offerte par l’article 3 de la Convention ne peut entrer en jeu que si le requérant est en mesure d’établir qu’il existe des motifs sérieux de croire que son renvoi au Maroc l’expose personnellement au risque de subir des traitements contraires à cet article.

En l’espèce, le requérant se prévaut de son engagement pour la cause sahraouie qui daterait de ses années d’études à Agadir, du fait que les autorités marocaines l’auraient recherché activement avant son départ et qu’après son retour, l’intérêt de celles‑ci à son égard se serait à nouveau manifesté.

La Cour relève tout d’abord que le requérant a emprunté les deux voies de procédure ouvertes par le droit interne à l’étranger qui allègue être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour dans son pays d’origine : la saisine de l’OFPRA qui permet, le cas échéant, d’obtenir le statut de réfugié, sous le contrôle de pleine juridiction de la CNDA et la saisine du juge administratif de droit commun de recours en annulation dirigés contre le refus d’entrée en France au titre de l’asile et contre la mesure d’éloignement dont la légalité suppose l’absence de risque de subir des traitements contraires l’article 3. La Cour constate ensuite que les instances et les juridictions de l’asile ainsi que le juge administratif ont unanimement estimé, au vu des éléments apportés par le requérant – tant son récit que les preuves documentaires fournies à son soutien – et après qu’il eut été personnellement entendu à quatre reprises, qu’elles ne pouvaient tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées en raison des imprécisions et du caractère non circonstancié de son récit. En particulier, le tribunal administratif de Paris a jugé que le requérant a fait état d’éléments imprécis et non circonstanciés sur la nature et l’intensité de son engagement politique et de ses responsabilités en tant que militant, que l’OFPRA dans sa décision de rejet de la demande d’asile de l’intéressé a estimé que ses explications quant à son activité de militant politique en faveur de la cause sahraouie sont restées peu personnalisées, de même que les menaces dont il aurait fait l’objet ainsi que les circonstances dans lesquelles il aurait été arrêté. À l’instar de l’OFPRA et des juridictions administratives, la CNDA a estimé, après avoir entendu l’avocat du requérant, que les pièces au dossier ne permettaient pas de tenir pour fondées ses craintes.

Le requérant ne présente pas devant elle d’autres documents que ceux déjà examinés par les instances et juridictions internes citées ci‑dessus qui, de façon unanime, ont estimé qu’ils étaient peu probants, notamment en raison de leur caractère stéréotypé. De façon plus particulière, la Cour remarque que le requérant n’établit pas de lien de parenté avec l’auteur de l’attestation datée du 17 août 2018 qu’il présente comme l’un de ses cousins et constate, à l’instar du Gouvernement, que les faits relatés dans cette attestation ne correspondent pas au récit fait par cette personne devant la CNDA.

La Cour remarque que le requérant n’apporte aucune explication aux incohérences relevées dans son récit par le Gouvernement, restant très évasif quant à la manière dont il a réussi à obtenir un passeport marocain et un visa et à quitter en avion le territoire marocain, dans les circonstances qu’il prétend avoir traversées. La Cour rappelle que la délivrance d’un titre de voyage international à une personne dont les activités ont déjà attiré l’attention des autorités du pays dont il est le ressortissant paraît hautement improbable.

Enfin, l’intéressé est resté très évasif concernant une convocation devant un tribunal marocain et la Cour rappelle que son office se limite à vérifier s’il était raisonnable de penser à la date de son éloignement que le requérant serait maltraité ou torturé, en violation de l’article 3 de la Convention, dans ce pays.

La Cour souligne que, si elle ne mésestime pas la difficulté pour le requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que l’exécution de la mesure d’éloignement incriminée l’exposerait à un risque réel, elle remarque toutefois qu’il demeure très évasif quant aux traitements qu’il aurait subis à son arrivée au Maroc après son éloignement par les autorités françaises et qu’il n’a présenté devant la Cour aucun élément ou document étayant la réalité de ces traitements.

En conséquence, la Cour considère qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que le renvoi du requérant au Maroc l’a exposé à un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

Quant à la question de l’effectivité des différents recours exercés par le requérant pour que soit examiné un grief tiré de l’article 3 de la Convention avant son éloignement vers le Maroc alors qu’il était maintenu en zone d’attente puis placé en centre de rétention administrative (CRA), La Cour constate en premier lieu, que le requérant a bénéficié à quatre reprises de recours suspensifs de l’exécution de son renvoi au Maroc en deuxième lieu, que, dans le cadre de ces différents recours, il a été entendu à quatre reprises et, en dernier lieu, qu’au cours de ces différentes procédures, il a été mis à même, en dépit de la brièveté des délais qui les caractérise, de faire valoir utilement ses prétentions grâce aux garanties dont il a effectivement bénéficié (assistance d’un interprète, accompagnement par une association conventionnée, désignation d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle).

La Cour en déduit, au terme d’une appréciation globale de la procédure, que les voies de recours exercées par le requérant, considérées ensemble, ont revêtu, dans les circonstances particulières de l’espèce, un caractère effectif.

Sources :
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