CEDH : responsabilité de l’État pour dégradation d’un château sous scellés

Publié le 18/07/2022

La requérante est une SCI dont le gérant et président du conseil d’administration, contre lequel fut ouverte une information judiciaire notamment des chefs de blanchiment, abus de biens sociaux, banqueroute, fut relaxé des chefs de banqueroute par tenue d’une compatibilité fictive et d’abus des biens sociaux.

L’action de la requérante pour responsabilité de l’État dans la dégradation du château mis sous scellés se termina par un pourvoi rejeté.

La Cour constate qu’en l’espèce, la saisie cherchait non pas à priver la société requérante de son bien de manière définitive, mais seulement à l’empêcher d’en user de façon temporaire ou de le dissiper par changement de propriétaire, dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

Pour ce qui est de la base légale, la Cour relève que selon le rapport préparatoire à la loi n° 2010-768, le droit français présentait des lacunes à l’époque des faits s’agissant des saisies immobilières prises à des fins conservatoires. En effet, les dispositions existantes étaient conçues principalement pour permettre l’appréhension matérielle de biens meubles corporels et étaient peu adaptées aux saisies d’immeubles ou de meubles incorporels, ainsi qu’aux saisies n’impliquant pas dépossession, l’article 97 ne visant que les biens utiles à l’enquête. Dans ce contexte, la société requérante a soutenu, sans que le Gouvernement le conteste, qu’en pratique les juridictions internes avaient eu recours à des saisies sans dépossession avant même l’adoption de cette loi.

La Cour note sur ce point que les poursuites du gérant pour le délit de blanchiment se sont terminées par un non-lieu et que ce dernier n’a été condamné que pour le délit de détournement d’actifs dû à de la simple négligence de sa part et non pas à la mise en place de montages et d’opérations poursuivant un objectif frauduleux. Cela permet de conclure que le château en question n’a pas été le produit d’une entreprise « criminelle » de grande envergure.

Dans ces conditions, la Cour reste dubitative quant à la légalité de l’ingérence litigeuse ainsi qu’à la légitimité du but poursuivi par celle-ci. Elle estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de trancher ces questions dès lors que cette ingérence méconnaît l’article 1 du Protocole n° 1 pour d’autres raisons. En effet, d’abord, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but poursuivi par les mesures appliquées par l’État, y compris celles destinées à contrôler l’usage de la propriété individuelle.

La Cour rappelle en outre que c’est aux autorités qu’il incombait en l’espèce de prendre les mesures raisonnables et nécessaires à la protection et à la conservation en bon état du bien en question et de dresser un inventaire de celui-ci au moment de la saisie ainsi que lors de sa restitution. Or, il n’est pas contesté en l’occurrence que le château a subi, pendant la période de la saisie et du placement sous scellés, d’importantes dégradations allant manifestement au-delà des altérations inévitables dues à l’usure ou à des événements imprévisibles. Il semblerait en outre qu’un inventaire complet de l’état du bien n’ait pas été effectué au moment de sa saisie puisque, selon la cour d’appel de Paris, l’intérieur du château au moment de l’apposition des scellés n’était que partiellement connu.

La Cour relève également que, selon la cour d’appel, il appartenait au service public de la justice d’assurer la conservation du bâtiment sur lequel il avait fait apposer des scellés et qu’il avait donc rendu inaccessible à la société requérante. Malgré ce constat, la cour d’appel a néanmoins reproché à cette dernière de ne pas avoir assuré le gardiennage du château et n’a retenu aucune responsabilité de l’État pendant cette période. Sur ce point, la Cour observe pourtant que l’article 706-143 du Code de procédure pénale, selon lequel le propriétaire est responsable, à sa charge, de l’entretien et de la conservation du bien saisi jusqu’à la mainlevée, n’a été introduit dans le droit que plusieurs années après la restitution du château à la requérante. Bien que le Gouvernement ait indiqué que cette disposition traduisait la pratique judiciaire telle qu’elle existait avant cet amendement, aucun exemple d’une telle pratique n’a été fourni à la Cour.

Puis, en ce qui concerne les dégradations ayant pu être commises pendant la saisie du bien, la cour d’appel de Paris a admis que celles-ci ont été signalées par la requérante au juge d’instruction et a constaté qu’il y avait eu une inertie fautive du service public de la justice pendant cette période, qui trouve son origine dans l’absence de réaction du juge d’instruction, ce qui a engagé la responsabilité de l’État. La cour d’appel a cependant débouté la société requérante de sa demande en réparation, au motif que ses lettres d’avertissement ne mentionnaient aucun élément précis et n’auraient donc pas apporté une preuve certaine du préjudice directement imputable au dysfonctionnement du service public de la justice.

La Cour estime néanmoins que l’absence d’un inventaire complet effectué au moment de la pose des scellés ainsi que l’absence totale de suite donnée aux différentes alertes de la part de la société requérante, qui restait privée d’accès au château pendant toute la durée de la saisie, ont fait obstacle à ce que celle-ci puisse établir un lien de causalité entre le dysfonctionnement du service public de la justice constaté et le préjudice subi.

De l’avis de la Cour, la charge de la preuve concernant les dégradations du bien saisi incombait donc au service public de la justice, responsable de la conservation des biens pendant toute la période de la saisie et du placement sous scellés, et non à la société requérante, qui s’est vu ainsi imposer une preuve impossible, ce qui constitue une charge excessive incompatible avec le respect de l’article 1 du Protocole n° 1. Partant, il y a eu violation de ce texte.

Sources :
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